Edwin Bhend 1931-2025

Publié le - Mis à jour le
Edwin Bhend 1931-2025

En bref

Edwin Bhend s’est éteint le 20 juin à l’âge de 93 ans. Il fut l’un des meilleurs joueurs suisses dans les années 60. En 1959, lors du tournoi de Zurich, Edwin Bhend connut son heure de gloire en infligeant une défaite au futur champion du monde Mikhail Tal.

Edwin Bhend s’est éteint le 20 juin à l’âge de 93 ans. Né à Zurich le 9 septembre 1931, la même année que Korchnoi, il fut l’un des meilleurs joueurs suisses dans les années 60. En 1960 il obtient le titre de Maître International par la FIDE, à l’époque très convoité, et rejoint un cercle restreint de titrés avec Hans Johner (1889-1975) et Henri Grob (1904-1974) en 1950, Martin Christoffel (1922-2001) en 1952, Max Blau (1918-1984) en 1953, Josef Kupper (1932-2017) en 1955 et Dieter Keller (né en 1936) en 1961.

Johner, Christoffel, Bhend, Blau en 1955

Il remporta de nombreuses compétitions dans le cadre national et fut membre de l’équipe olympique à 10 reprises.

Bhend fut également un auteur prolifique avec une dizaine de livres consacrés à la théorie des ouvertures et au milieu de partie.

L’un de ses plus grands exploits fut sa victoire au tournoi des jeunes maîtres de Zagreb en novembre 1955. Edwin Bhend partageait la première place en compagnie de Bent Larsen (1935-2010), futur candidat au titre mondial. Il réussit même à l’emporter dans la rencontre qui les opposa.

« Dès les premières rondes, j’ai réalisé que ma connaissance des ouvertures était à peine suffisante pour ce tournoi et j’ai donc tenté de compliquer le jeu avec des coups inhabituels, ce qui a souvent eu pour conséquences d’amener des positions inférieures, voire la perte d’un pion. Qui ose...gagne ! » Edwin Bhend

Matulovic, Bhend et Larsen en 1955

Il devançait des futurs GMI comme le Hongrois Bilek, le Yougoslave Matulovic . Il faut se souvenir qu’à l’époque la Yougoslavie était la plus grande puissance échiquéenne après l’URSS. Le niveau des joueurs était au-dessus des Occidentaux. En 1950, un match sur 10 échiquiers contre les USA, avec la meilleure équipe américaine possible, Reshevsky et Fine aux premiers échiquiers, permit aux Yougoslaves de s’imposer.

Son succès, alors que Bhend n’était que maître national, eut un certain retentissement et notamment sa victoire contre Milan Matulovic (1935-2013) considéré au début des années 60 comme l’un des meilleurs joueurs yougoslaves en compagnie de Gligoric et Ivkov.

Matulovic - Larsen

À l’issue de l’avant-dernière ronde, Bhend était seul en tête avec 11 points et demi mais il ne put vaincre le Yougoslave Bogdanovic, alors que Larsen s’imposait face à la lanterne rouge du tournoi pour le rejoindre au classement.

Milan Matulovic 0-1 Edwin Bhend

Matulovic,Milan - Bhend,Edwin, Zagreb Junior International, 05.11.1955

1.e4 c6 2.d4 d5 3.c3 dxe4 4.xe4 f6

« Une suite risquée, mais qui promet en revanche aux Noirs une approche très souple de la partie. » Bhend — À l’époque. la plupart des maîtres considéraient 4...Cf6 comme incorrect car les Blancs peuvent créer, après l’échange des Cavaliers, des pions doublés chez les Noirs. Depuis, la pratique a montré que 5...exf6 ou 5...gxf6 sont devenus usuels et constituent une branche importante de la théorie de la Caro-Kann.

5.g3

« À part l'échange sur f6, ce coup est également tout-à-fait jouable. » Bhend — Il a même la préférence dans les premiers ouvrages dédiés à la Caro-Kann.

Milan Matulovic - Edwin Bhend, 5.g3

5...g4

« Ce coup excentrique est une erreur flagrante. Il aurait dû être précédé de la poussé h7-h5, ce qui s'est produit dans une partie ultérieure. » Bhend. Un exemple tiré de la pratique récente se poursuivit avec 5...h5 6.d3 h4 7.e4 xe4 8.xe4 d7 9.c4 f6 10.d3 h5 11.f3 d5 12.e5 e6 13.d2 d6 14.0-0-0 0-0-0 Omonova-Paichadze (Moscou 2018). Apparemment, rien n’est forcé et il y a encore beaucoup de possibilités à expérimenter. Dans le même tournoi contre Larsen, la suite fut 5...g6 6.c4 g7 7.f3 0-0 8.0-0 g4 9.c3 bd7 10.h3 xf3 11.xf3 e6 += Larsen–Bhend (Zagreb 1955)

6.d3

Possible est 6.f3 e6 7.c3 g6 8.d3 g7 9.1e2 0-0 += joué par le GM Seirawan; 
Ou encore 6.e2 xe2 7.1xe2 e6 8.d3 bd7 9.0-0 e7 10.c4 0-0 11.b3 e8 12.b2 a5 =. Unzicker-Lein (Afrique du Sud 1979)

6...bd7 7.h3 e6

Jusqu’ici tout avait été joué dans la partie Spielmann-Capablanca (New York 1927) qui se poursuivit avec 7...h5 8.xh5 xh5 9.f3 e6 10.g3 d6 11.g2 0-0 12.0-0 c7 13.b3 hf6 14.b2 e5 15.dxe5 xe5 16.f5! et les Blancs ont l’initiative.

8.1e2

Avec l’idée de tirer profit de la position inconfortable du Fou de cases blanches adverse.

8...b6 9.b3 g6

Malgré une positon resserrée, les Noirs poursuivent logiquement leur développement.

10.f4 d7

« Il est difficile de dire si le Fou aurait eu intérêt à retourner en c8. Les Noirs prévoient de poursuivre avec ...Dc7 suivi de ...Td8 ou ...0-0-0. » Bhend

Milan Matulovic - Edwin Bhend, 10...d7

11.e2 g7

Une bonne diagonale pour le Fou de cases noires.

12.0-0 c7

Ce coup a l’avantage de laisser planer le doute sur l’adresse du Roi.

13.f3

N’améliore en rien la position de la Dame. Il y avait des coups plus utiles comme 13.Ff3!? ou 13.Te1.

13...fd5 14.d1 e5

« Cela permet aux Noirs de se libérer quelque peu. Échanger sur f4 était faible. » Bhend [Par exemple 14...xf4 15.xf4 e5? 16.dxe5 xe5? Bhend 17.e3! l’exploitation du Roi noir resté au centre avec un clouage apporte un avantage décisif 17...f6 18.e4 +- menace 19.Cxf6+

15.xd5 cxd5 16.a3!?

« Meilleur que de jouer pour un pion isolé après 16.dxe5 xe5 17.b1 0-0 qui était loin d’être une faiblesse. » Bhend

16...e4

Milan Matulovic - Edwin Bhend, 16...e4

17.e3

« Le sacrifice du Cavalier n'est pas suffisant dans cette position. Par exemple 17.xe4 dxe4 18.xe4+ d8! (mais pas 18...e6 19.d5 xa1 20.b5++-) 19.e7+ c8 20.d6 d5 21.xf7 xd6 22.xg7 e8 =+. » Bhend — Si 23.f3 f6 force l’échange des Dames 24.h6 f4! , etc.

17...0-0-0

À considérer un coup comme 17...Fc6!? qui évitait les complications qui vont suivre.

18.e7!

« Bien que ce Fou semble être dans une meilleure position en f4, il offre une opportunité de contre-attaque. » Bhend. 18.c4 a été envisagé, avec l'intention de poursuivre avec A) À considérer 18...dxc4 19.bxc4!? (19.ac1) 19...f5 20.d2 avec des chances égales. » Bhend. Cette dernière variante permet 20...e3!-+ à l’avantage noir qui exploite la position en l’air du Cavalier sur g3.; B) 18...c6 19.c5 d7 20.b4 a6 21.b5!? (21.b3!)

18...de8 19.g5 f6!?

« Meilleur que 19...h6 20.f4 c6 21.c4 g5 22.e5 f6 (22...xe5 23.dxe5 xe5 24.cxd5 xd5 25.d4+-) 23.cxd5 xd5 24.d2 b6 25.ac1+ d8 +-. »  Bhend — Car ici 26.f1 fxe5 27.dxe5 xe5 28.e3 +- regagne avantageusement le matériel.

20.f4 c6 21.c4?!

« Après ce coup, les Noirs offrent simplement la Dame et conservent suffisamment de matériel. Le coup correct était 21.Cf1!, après quoi les Noirs pouvaient développer une initiative dangereuse à l'aile Roi. » Bhend. Cela reste à démontrer, par exemple 21.f1 g5 22.h2 f5 23.xg5 h6 24.h4 hg8 (24...f4 25.xf4 xf4 26.xf4 hg8 analysé par Bhend laisse les Blancs avec un net avantage après 27.e3 xh3 28.c4 ef8 29.h2+- et l’attaque ne passe pas.)

Milan Matulovic - Edwin Bhend, 21.c4?!

21...g5 22.cxd5?

Dans la logique du coup précédent qui était d’ouvrir la colonne « ç ». Intéressant était 22.d6!? xd6 23.c5 c6 24.cxb6 xb6 mais les Noirs ont la paire de Fous et un pion de plus.; Plus difficile à évaluer est le sacrifice de pièce axé sur la puissance des pièces lourdes et la position inconfortable du Roi noir qui survient après 22.ac1 gxf4 23.xf4 d8 24.h5 avec des compensations pour la pièce selon l’ordinateur. La menace est 25.cxd5 Cxd5 26.Db8+ Re7 27.Fxe8 Txe8 28.Dxa7.

22...xd5 23.d2 gxf4 24.ac1 fxg3 25.b5

« Matulovic avait misé sur ce coup. » Bhend

Milan Matulovic - Edwin Bhend, 25.b5

25...e3!

« Cela signifie que le pion g3, qui est important pour boucler le réseau de mat, reste sur l’échiquier. » Bhend

26.fxe3 h6 27.xc6+ xc6 28.a5 xe3+ 29.h1 xb5 30.xb5 d8

Les Noirs ont 3 pièces pour la Dame (Tour, Fou et Cavalier) bien coordonnées et actives. Ils peuvent renforcer leur position alors que les Blancs n’ont pas de contre-jeu et la Tour blanche est réduite à la passivité.

Milan Matulovic - Edwin Bhend, 30...d8

31.a4 b8 32.c5 he8 33.a5 e6 34.c2 f2 35.xh7 de8 0-1

Milan Matulovic - Edwin Bhend, 35...de8 0-1
Mikhail Tal en 1959

En 1959, lors du tournoi international de Zürich, Edwin Bhend connut son heure de gloire dans la première ronde en infligeant une défaite au futur champion du monde Mikhail Tal. Bhend fut le joueur suisse le plus performant face aux GMI venus de l’étranger avec des victoires face au Hongrois Barcza et au Hollandais Donner, ainsi que le partage du point avec l’Estonien Keres et le Danois Larsen.

Edwin Bhend en 1959

Tal, de retour à Riga, devait confier à son entraîneur Koblenz, alors qu’il avait pris un maximum de risques face à des joueurs de classe « inférieure » comme Bhend ou Keller : « Heureusement que tu n'étais pas là ! À Zürich, mon jeu t'aurait causé trop de soucis. »

Glauser, Bhend, Kupper et Keller en 1968

J’avais aperçu Edwin Bhend pour la première fois lors de l’Olympiade de Lugano en 1968 où il avait réalisé la meilleure performance de l’équipe (+5 =6 -1) au 3e échiquier.

Plus tard, vers la fin des années 70, lors d’une rencontre de championnat suisse par équipe qui opposait Bâle à Lausanne, j’ai pu assister à une analyse post-mortem où Bhend secondait mon adversaire...

Edwin Bhend

Malheureusement, il ne parlait que l’allemand et je n’ai pas pu bénéficier pleinement de ses conseils.

Je me souviens aussi de la facilité avec laquelle il neutralisa Korchnoi lors du tournoi international de Montreux en 1977.

Il resta très actif bien au-delà des 80 ans pour devenir « légendaire » grâce à des résultats exceptionnels face à des joueurs de renommée mondiale. Lors d’une de ses dernières participations au festival d’échecs de Bienne, nous avions convenu d’un rendez-vous pour un entretien, malheureusement entre-temps, il avait dû abandonner le tournoi pour raison de santé.

Edwin Bhend à 85 ans

J’étais fasciné par son parcours tout au long de la 2e moitié du XXe siècle. Je souhaitais en savoir plus sur certaines personnalités qu’il avait rencontré à l’échiquier. Notamment à propos de Fedir Bohatyrchuk (1892-1984). Bhend avait remporté une victoire lors de l’Olympiade d’Amsterdam en 1954 contre ce joueur « maudit » qui jouait sous les couleurs du Canada. Un personnage de roman, médecin à Kiev, un participant du célèbre tournoi de Moscou 1925 et champion de l’URSS en 1927. Bohatyrchuk avait pour singularité d’être la bête noire du patriarche des échecs soviétiques Mikhail Botvinnik. Des questions restées sans réponse...

L’équipe d’Europe-Echecs présente ses sincères condoléances aux membres de sa famille.

Georges Bertola

« Je remercie Gérard Demuydt pour la mise en page de cet article. »