Mères et championnes d'échecs

Fête des mères et échecs

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Alexandra Kosteniuk et sa fille Francesca en 2009 - photo http://www.chessblog.com/

En bref

À l’occasion de la fête des mères ce dimanche 25 mai, Europe Echecs vous propose une rétrospective sur ces femmes joueuses de haut niveau mais aussi mères de famille pour qui la contrainte de la maternité n’a pas été un frein définitif dans leur carrière sportive. Si la maternité bouleverse la vie des joueuses, elles ont pour certaines d’entre elles su rebondir et atteindre leur meilleur niveau dans les années suivantes.

Par César Texier

Humpy Koneru

Photo Chessbase India

C'est une véritable icône qui incarne la puissance échiquéenne indienne, à l'instar de son compatriote Vishy Anand en son temps. GMI à l'âge de 15 ans et 1 mois, elle est la troisième plus grande joueuse de l'histoire avec un classement record de 2625 élo établi en juin 2009. En 2011, elle dispute le match de championnat du monde féminin contre Yifan Hou (battue 2,5 - 5,5 NDLR). 

En 2017, après 15 années passées au plus haut niveau de la hiérarchie mondiale, Koneru voit l'arrivée de sa petite fille Ahana, un heureux évènement qui va l'éloigner des compétitions échiquéennes durant plus de 2 ans. D'octobre 2016 à novembre 2018, elle ne dispute quasiment aucune partie classique.

Une absence qui ne l'a pas empêchée de revenir au plus haut niveau dès sa reprise en 2019. En septembre et décembre de la même année, elle remporte le Grand Prix féminin de Skolkovo puis celui de Monaco (ex-equo avec Kosteniuk et Goryachkina avant de s'adjuger le titre de championne du monde de parties rapides à Moscou quelques semaines plus tard.

Dans une interview donnée au Times of India en 2025, elle se confiait sur cette période qui a changé sa mentalité : « Quand je suis revenue aux échecs, la pratique et la préparation n’étaient pas optimales mais j’étais devenue une personne beaucoup plus forte. […] J’ai appris que je suis même capable de travailler sans avoir une alimentation appropriée. »

Humpy Koneru, championne du monde 2024 de parties rapides - photo Lennart Ootes

Un comeback impressionnant qui démontre la grande résilience de la championne indienne qui continue toujours de briller. En décembre dernier, elle est de nouveau sacrée championne du monde de rapides à New-York, devançant d'un demi point la quadruple championne du monde Ju Wenjun. 

Un modèle de régularité, elle qui n'a pas quitté le top 6 mondial depuis 2004, elle était alors âgée de 17 ans. 

Judit Polgár

Judit Polgár - photo Lennart Ootes

C’est sans conteste la plus grande joueuse de l’histoire des échecs. GMI à l’âge de 15 ans et 4 mois, battant à l’époque le record de précocité de l’Américain Bobby Fischer, elle est encore aujourd’hui la seule femme à avoir atteint la mythique barre des 2700 Elo.

En août 2004, elle donne naissance à son fils Olivér, suivi de sa fille Hanna en juillet 2006. Cette période marque une pause dans sa carrière, mais elle revient rapidement à la compétition. Dès janvier 2005, elle participe au tournoi de Wijk aan Zee, partageant la quatrième place avec 7 points sur 13.

En mai de la même année, elle se classe quatrième au MTel Masters, un tournoi de catégorie 20 à Sofia. En septembre 2005, elle devient la première femme à participer au championnat du monde d'échecs de la FIDE, une performance historique malgré une dernière place (8ème avec 4,5/14).

Bien que discrète à ce sujet, Judit Polgar a évoqué les défis rencontrés pour concilier vie familiale et carrière professionnelle. Dans une interview recueillie par Lars Grahn pour Chess Magazine en 2011 : elle avait déclaré :  « C’est très difficile, c’est certain. Quand mon fils Olivier est né, je me réjouissais déjà beaucoup de son arrivée. […] Peu après sa naissance, j’ai participé au championnat du monde à San Luis, je voulais tout avoir, mais ce n’était tout simplement pas possible, d’autant que ma fille Anna est née 23 mois plus tard. »

Malgré les difficultés, elle a continué à performer à un niveau élevé. En 2011, elle termine troisième au championnat d'Europe individuel à Aix-les-Bains (remporté par le Russe Vladimir Potkine).

Polgár a également souligné les aspects positifs de la maternité sur sa carrière. Elle a mentionné que s'occuper de ses enfants lui apportait une perspective différente et une énergie renouvelée pour le jeu.

Judit Polgár et les enfants du Global Chess Festival de 2017 - photo Lennart Ootes

Aujourd'hui, Judit Polgár reste une source d'inspiration, sur le plan échiquéen mais également endehors, elle qui a créé peu de temps après sa retraite sportive en 2014, la Judit Polgar Chess Foundation visant à promouvoir le développement social, l'éducation et l'apprentissage tout au long de la vie par le biais des échecs. 

Alexandra Kosteniuk

Alexandra Kosteniuk et sa fille Francesca, alors âgée de 5 ans, en 2012 au Championnat de Suisse - photo https://en.chessqueen.com/

Grand Maître International à seulement 20 ans, Alexandra Kosteniuk a marqué l'histoire des échecs féminins en devenant championne du monde en 2008. Une performance d’autant plus remarquable qu’elle s’était mise en retrait des grandes compétitions quelques mois plus tôt.

Le 22 avril 2007, elle donne naissance à sa fille, Francesca Maria, née prématurément. Cette période marque une pause dans sa carrière, mais elle ne tarde pas à revenir sur les échiquiers. Dès 2008, elle remporte le championnat du monde féminin à Naltchik en battant la prodige chinoise You Hifan 2,5-1,5 en finale, un exploit qui fait d’elle la 12e championne du monde féminine de l’histoire.

En 2009, dans une interview accordée à la MIF Beatriz Marinello, Kosteniuk confiait : « Avoir un bébé change tout, et il m’a été très difficile de retrouver la forme et de recommencer après une pause d’environ un an. » Elle souligne également l'importance du soutien familial : « J’ai eu beaucoup de chance lorsque mon mari et ma mère ont accepté de me soutenir pleinement lorsque je leur ai dit que je voulais essayer de me préparer et de jouer au championnat du monde féminin, alors que mon bébé n’avait même pas un an. »

Malgré les difficultés, Kosteniuk a continué à performer à un niveau élevé. En 2021, elle remporte la Coupe du monde féminine (1,5-0,5 en finale contre Goryachkina) et le championnat du monde de parties rapides. En 2023, elle remporte la deuxième étape du Grand Prix féminin de la FIDE, se qualifiant pour le tournoi des candidates 2024.

Photo Lennart Ootes

Aujourd'hui, Alexandra Kosteniuk continue de faire partie des meilleures joueuses du monde, et partage depuis 2015 sa vie avec le GMI Pavel Tregubov. Elle défend par ailleurs exclusivement les couleurs de la Suisse et a quitté la Russie pour s’installer en France depuis plusieurs années.

Marie Sebag

Comment ne pas citer Marie Sebag, la première et à ce jour la seule Française à avoir obtenu le titre de Grand Maître International en 2008. Championne d'Europe chez les jeunes, double championne de France (2000, 2002), et plusieurs fois quart-de-finaliste en championnat du monde, elle s’est installée durablement dans le top 15-20 mondial pendant plus d’une quinzaine d’années.

Marie Sebag et sa fille Shaina au Championnat de France Jeunes 2024

Mais derrière cette très belle carrière, Marie Sebag est aussi maman. Une double vie qui l’a mise légèrement en retrait durant cette période de maternité en 2016-2017.

Sa fille Shaina, qui joue aujourd’hui dans la catégorie des -8 ans a d’ailleurs terminé 5ème au championnat de France jeunes en 2024.

Dans le n°754 de la revue en juin 2024, elle expliquait son bonheur de pouvoir partager sa passion avec sa fille qui s’est rapidement prise au jeu. Un nouveau rôle en plus d’entraîner également des jeunes au sein du club du petit Pouchet depuis de nombreuses années.

En 2024, je suis venue au Championnat de France Jeunes pour la première fois en tant que mère. Ma fille Shaina a commencé la compétition en 2023, et elle s’est qualifiée pour disputer l’édition 2024. Je suis très contente de pouvoir partager ma passion avec elle et qu’elle montre de l’intérêt et du sérieux pour les échecs.

Marie Sebag
Marie Sebag - Photo Lennart Ootes

Cette période de sa vie a nécessité des ajustements, tant sur le plan personnel que professionnel. Mais elle n’a pas pour autant délaissé les grandes compétitions. En 2019, elle remporte la médaille d’argent au championnat d’Europe féminin à Antalya (devancée au départage par Alina Kashlinskaya) et très récemment, en 2024, elle remporte le championnat de France de blitz en ligne chez les femmes.

Être mère et jouer aux échecs à haut niveau, c'est un équilibre à trouver. Il faut savoir gérer son temps et ses priorités.

Marie Sebag, interviewée lors du Festival de Gibraltar

Parallèlement à sa carrière de joueuse, Marie Sebag est également psychologue spécialisée pour les enfants et les adolescents. Elle utilise parfois le jeu d'échecs comme outil de médiation, montrant un réel intérêt à la pratique du jeu commen moyen de thérapie cognitive et comportementale. 

Yuliia Osmak

Photo : compte Facebook de Yuliia Osmak

Née en Ukraine, Yuliia Osmak a rapidement fait ses preuves dans le monde des échecs, atteignant des sommets internationaux dès son plus jeune âge, comme en témoigne son titre de championne du monde des moins de 12 ans. Contrainte de fuir son pays natal en raison de la guerre, elle a trouvé refuge en France grâce au soutien du club de Chartres.

Aujourd’hui, classée parmi les 20 meilleures joueuses du monde, Yuliia est mère d'une petite fille née en 2024. Nous partageons un extrait de l'interview publiée dans la revue Europe Echecs de mars 2025, dans laquelle elle aborde le sujet de la maternité pour les joueuses professionnelles.

"Être mère est un vrai changement mais, étonnamment, je trouve que c’est plus facile maintenant. Avant, j’avais du mal à organiser mon temps, je pouvais travailler tard dans la nuit et manquer de discipline. Aujourd’hui, avec ma fille, je profite de chaque moment disponible pour travailler efficacement. J’ai aussi un rythme plus stable, car je me cale sur ses horaires de sommeil. J’ai la chance qu’elle dorme bien, ce qui me permet d’avoir deux à trois heures par jour pour m’entraîner aux échecs. Ma grossesse n’a pas été un problème non plus. Aux alentours du cinquième ou sixième mois, j’ai ressenti une clarté mentale exceptionnelle, encore plus grande qu’avant. Mon cerveau était totalement concentré sur les échecs et j’étais plus disciplinée. C’est peut-être lié à un équilibre biologique : le corps féminin est conçu pour porter un enfant, et après la grossesse, il se stabilise. J’ai étudié la biologie en Ukraine et ce sujet m’a toujours passionnée. Aujourd’hui, je ressens cette stabilité et cette discipline dans mon travail aux échecs. La maternité m’a permis d’être plus organisée et plus efficace dans mon entraînement."

Yuliia Osmak - photo Lennart Ootes

On s'habitue aux nuits blanches avant une partie importante ou aux choix tactiques en poussette… 👶 Mais le plus difficile, c'est la séparation avec le bébé pendant les tournois. Je tiens à remercier la Commission des échecs féminins de la FIDE, Anastasiya Sorokia, Dana Reizniece-Ozola et Francisco Cruz pour l'initiative unique #ChessMom qui permet à toutes les mères de jeunes enfants de participer aux Olympiades d'échecs sans se soucier de leurs enfants. Je suis heureuse de participer à ce nouveau projet de la Fédération internationale des échecs.

Yuliia Osmak

Yuliia Osmak a apporté son soutien à l'initiative ChessMom de la FIDE. L'objectif est d'aider les joueuses d'échecs professionnelles, mères d'enfants de moins d'un an, pour couvrir les frais liés à l'accompagnement ou à la prise en charge de dix joueuses voyageant avec leurs enfants à la 45e Olympiade d'échecs qui s'est déroulée en Hongrie en 2024.

Nous avons fait le choix de présenter cinq grandes championnes de ces 20 dernières années mais elles ne sont pas des cas isolés. L’on aurait pu présenter d’autres très fortes joueuses telles que Harika Dronavalli, Pia Cramling, Kateryna Lagno, ou encore Susan Polgar qui ont également connu un parcours et un palmarès exceptionnels tout en alliant une vie de mère de famille. En ce 25 mai, nous souhaitons une excellente fête à toutes les mères qui jouent aux échecs !

Nous remercions César Texier, étudiant en première année de bachelor en journalisme sportif et auteur de cet article, qui rejoint l'équipe d'Europe Échecs pour un stage qui lui permettra de vous faire découvrir de nombreux sujets sur l'univers des échecs !