En bref
Le champion d'échecs Gata Kamsky a annoncé lundi 16 juin qu'il jouerait désormais pour la France, comme son épouse Vera Nebolsina ! L'ancien n°4 mondial, joueur et entraîneur au club de Chartres, quitte donc la fédération américaine. Ce transfert permet à la France de gagner bien plus qu'un grand joueur : Gata Kamsky est en effet un formidable ambassadeur pour notre discipline. Il apporte une vision bienveillante et positive des échecs, du fait de son histoire personnelle très touchante. Vous retrouverez dans votre revue Europe Échecs de juillet une interview exclusive du champion !
Mon transfert vers la Fédération française des Échecs est achevé ! Vive la France !
C'est par ces mots enthousiastes que Gata Kamsky a révélé qu'il jouait à présent pour la France. Il devient le n°5 français, et peut désormais intégrer l'équipe de France lors des compétitions internationales.
| 1 | Alireza Firouzja | 2766 | |
| 2 | Maxime Vachier-Lagrave | 2736 | |
| 3 | Etienne Bacrot | 2633 | |
| 4 | Maxime Lagarde | 2621 | |
| 5 | Gata Kamsky | 2607 |
Une chance immense pour les échecs tricolores, car à 51 ans Kamsky a évolué au plus haut niveau, et son expérience pourrait beaucoup apporter aux tricolores. Gata Kamsky joue aussi un rôle crucial dans la montée en puissance des échecs à Chartres, avec un rôle d'entraîneur et d'ambassadeur des échecs. Figure attachante, son histoire mérite d'être racontée pour prendre la mesure de l'importance de son transfert.
Gata Kamsky, un des plus grands prodiges de l’histoire des échecs
Né le 2 juin 1974 à Novokouznetsk (Union soviétique), son talent est rapidement repéré, et il remporte à deux reprises le Championnat d'URSS des moins de vingt ans. En 1989, il émigre aux États-Unis, et devient grand maître international l'année suivante. Dans les années 1990, le parcours de Gata Kamsky éblouit la planète échecs : n°8 mondial dès 16 ans, champion des États-Unis à seulement 17 ans, il frôle le sacre suprême en 1996 à 22 ans, s’inclinant seulement en finale face à Anatoli Karpov.
Si l'histoire retient cette finale perdue, il se forge alors un superbe palmarès, remportant notamment les tournois de Tilburg en 1991, de Las Palmas en 1994 et de Dos Hermanas en 1995. Il est alors clairement considéré comme l'un des meilleurs joueurs du monde, capable de rivaliser à l'avenir avec Kasparov.
Il fait alors régulièrement la Une d'Europe Échecs, qui présente ses exploits lui permettant d'atteindre en 1995 la place de numéro 4 mondial !
Une enfance marquée par un père abusif
Si ses résultats sont brillants, l'envers du décor est tragique. La jeunesse de Gata Kamsky est marquée par un père abusif, qui souhaite seulement "fabriquer" un champion et ainsi gagner de l'argent.
Mon père était très superstitieux à propos de mes résultats et même dans de rares moments de bonne humeur, il faisait toujours ces blagues dénigrantes ridicules. Certains parents veulent que leurs enfants vivent des expériences et fassent des choses qu’eux-mêmes n’ont pas pu faire dans leur propre vie, et parfois ils oublient que les enfants sont des personnes avec des désirs, des intérêts et peut-être des projets différents pour leur propre avenir. Toutes les décisions qui ont été prises dans les années 90 l’ont toujours été par mon père seul, il ne se souciait pas de mon avis, juste de ce qu’il pensait être la meilleure chose à faire.
Dans une longue vidéo disponible en replay, il raconte son enfance. Une interview poignante que nous vous invitons à écouter, car Gata Kamsky a dévoilé ce passé douloureux pour éviter que d'autres enfants ne connaissent le même destin. Son histoire permet de comprendre les dégâts causés par certains parents obsédés par la seule recherche de performance.
Après sa défaite face à Karpov en finale du championnat du monde, Gata Kamsky stoppe sa carrière de joueur d'échecs professionnel. Il mène alors des études de médecine puis de droit aux États-Unis.
J'ai perdu le match contre Karpov en finale du championnat du monde. Mon père a décidé que c'était terminé. J'étais heureux, j'en avais assez de ces voyages avec lui. Je suis allé à l'université, mais je n'étais pas encore indépendant.
Un retour au plus haut niveau, libéré de son père
En 2004, à l'âge de trente ans, Gata Kamsky coupe les ponts avec son père, et parvient enfin à vivre de façon indépendante. Comme libéré d'un carcan, débute alors pour lui un incroyable comeback échiquéen que personne n'attendait.
La raison pour laquelle je suis revenu, c’est que j’ai ressenti qu'à ce moment-là, j’étais libre, que je pouvais jouer aux échecs indépendamment de mon père. Je voulais me prouver à moi-même que je pouvais faire quelque chose sans son aide.
Malgré son éloignement des échiquiers pendant plusieurs années, son niveau de jeu reste étonnamment élevé. La raison est simple : le jeu en ligne !
J’ai découvert les échecs en ligne. Donc, j’ai beaucoup joué sur internet, j’ai disputé des milliers de parties contre des joueurs comme Nakamura ou Radjabov. J’ai donc mis à profit cette possibilité d’entraînement libre en usage chez ces jeunes joueurs. Cela m’a permis de me maintenir en forme. J’ai joué beaucoup de lignes de jeu sur internet et, quand je suis revenu en 2004, j’ai senti que grâce aux échecs en ligne, je n’étais pas trop à la traîne.
En 2007, Gata Kamsky remporte la Coupe du Monde, l'une des compétitions les plus prestigieuses du calendrier échiquéen. Sa victoire en finale contre Alexei Shirov a un goût de revanche sur sa propre histoire. Il avait gagné, non pas seul, mais sans son père.
Je crois que cette rencontre est la plus grande victoire de ma carrière. Avant j’avais joué un match contre Karpov, mais j’avais perdu. Cette fois j’ai gagné ! Je ne voulais pas démontrer à tout le monde que j’étais le meilleur. C’était ce que voulait mon père. Il avait cette âme de guerrier. Si je gagnais, il croyait qu’il gagnait. Je pensais différemment. Ok, c’était bien que je gagne, mais le plus important, c’était que je sois heureux dans ma vie. C’est ce qui compte.
Cette victoire ouvre à nouveau à Gata Kamsky les portes du cycle pour devenir champion du monde. Mais il s'incline contre Topalov lors de ce match des candidats.
Il y a des parties dont le résultat importe tellement que vous en avez des cauchemars pendant des années. Le meilleur exemple pour moi est la partie contre Topalov en 2009, pendant le match des Challengers. C’était la dernière partie. J’étais gagnant, mais à cause du zeitnot, en un coup, ma partie gagnante s’est transformée en nulle. Après une deuxième erreur, j’ai perdu la partie. Si je l’avais gagnée, le match continuait et je jouais la partie 8 avec les Blancs. Donc, j’avais des chances de gagner le match et de jouer contre Anand pour le titre de champion du monde. C’était une partie incroyablement importante, et j’étais si proche du but… Quand vous manquez ces opportunités, c’est terrible… Je savais que je n’aurais pas forcément une autre chance.
Malgré cette défaite, Gata Kamsky continue à briller au plus haut niveau, ajoutant quatre nouveaux titres de champion des États-Unis en 2010, 2011, 2013 et 2014, après celui remporté en 1991.
Entre Gata Kamsky et la France, une histoire d'amour
En 2016, Gata Kamsky remporte en solitaire l'open de Cappelle-la-Grande, l'un des plus prestigieux organisés chaque année. Et ce succès ne passe pas inaperçu dans le milieu échiquéen français, qui redécouvre Gata Kamsky après ses exploits des années 1990 ! De nombreux clubs cherchent alors à attirer de forts joueurs étrangers pour renforcer leur équipe, et surtout pour encourager la progression de leurs jeunes joueurs. Redoutable devant l'échiquier, mais aussi véritable gentleman soucieux de transmettre son savoir, Gata Kamsky a le profil idéal.
En 2020, Gata Kamsky décide de vivre à Strasbourg, pour renforcer le Cercle d'Échecs de Strasbourg. Le quotidien régional Les Dernières Nouvelles d'Alsace annonce alors cette nouvelle avec enthousiasme :
Une véritable légende du jeu d’Echecs a déposé ses valises dans la capitale alsacienne ! Une surprise de taille, un événement inattendu qui, d’une certaine façon, ressemble bien aux autres étapes de la vie romanesque de ce champion hors du commun.
Puis, en 2021, Gata Kamsky s'installe à Chartres, pour apporter son expérience au projet échiquéen ambitieux déployé par la ville et le club. Si le projet sportif a séduit Gata, il est très vite tombé sous le charme de la ville.
Avec mon épouse Vera Nebolsina nous vivons à Chartres depuis quatre ans. Nous avons vu la ville évoluer. Elle est devenue très internationale. Il y a des touristes qui parlent japonais, anglais, espagnol et qui viennent visiter Chartres de tous les endroits du monde. Il y a de plus en plus d’habitants. Nous sommes près de Paris et, bien sûr, nous avons ce club puissant qui fait rayonner les échecs. Il soutient les jeunes. Le jeu est enseigné à l’école.
Habitant en France, pays qui l'a adopté avec un immense plaisir, Gata Kamsky ne voit plus de raison de continuer à jouer pour les États-Unis, dont il critique la fédération.
La fédération américaine est immature, elle se soucie peu des professionnels. Elle tient à jour les classements, organise des championnats, elle fait le travail.
Et en juin 2025, la procédure lui permettant de jouer pour la France aboutit enfin !
Un compétiteur toujours redoutable
À 51 ans, Gata Kamsky ne peut plus rivaliser avec les jeunes prodiges. Mais son niveau de jeu reste extrêmement élevé, et il continue à agrandir son palmarès. Une des leçons de ces dernières années est que lorsque Gata Kamsky joue dans une équipe, elle a de fortes chances de gagner !
Ce n'est pas votre résultat qui compte, c'est celui de l'équipe ! J’aimais gagner des tournois à titre individuel, bien sûr, mais lorsque vous jouez en équipe, vous vous réunissez avec d’autres joueurs. Certains sont plus forts que vous. Ensemble, vous réalisez quelque chose qui vous dépasse.
Il est notamment l'un des artisans des deux victoires consécutives de Chartres en Top 16, le championnat de France par équipes. Son expérience et son calme sont des éléments très rassurants pour ses coéquipiers.
Il joue surtout avec les Noirs, ce qui nous aide beaucoup. Encore plus que Vasyl (Ivanchuk), c’est notre joueur le plus expérimenté. Il est très stable. Il sait comment il faut gérer une partie décisive. Il ne prend pas beaucoup de risques, mais il est efficace.
En 2024, Gata Kamsky a joué un rôle décisif dans la victoire de l'équipe d'Europe Échecs au Championnat d'Europe des entreprises. Il a offert à l'équipe 7 points en 9 parties. Invaincu et solide comme un roc, il a partagé le point contre Maxime Vachier-Lagrave dans le match décisif contre l'équipe Léonard. Coéquipier modèle, il a fait l'unanimité au sein de l'équipe !
Gata Kamsky est un joueur très touchant, d'une grande retenue et gentillesse. Le tournoi à peine fini, je pense encore à lui et aux sourires de sa femme Vera, certainement très apaisants pour cet immense champion dont la jeunesse fut si compliquée.
Le plaisir retrouvé de jouer aux échecs sous toutes ses formes
Gata Kamsky, loin de la pression de son enfance, joue désormais pour le plaisir et explore de nouveaux territoires.
Il a ainsi remporté la quatrième édition de la B-Cup, tournoi hybride disputé en ligne, mais dans lequel les joueurs sont rassemblés dans un même lieu. Autre originalité : la présence d'un public nombreux, à quelques mètres seulement des participants ! Gata Kamsky a battu Laurent Fressinet en finale, et remporte ce trophée qui montre qu'il reste un champion tout-terrain et ouvert aux nouveautés.
Gata Kamsky a aussi décidé de tester le Chess 960, variante des échecs dans laquelle les pièces sont disposées de façon aléatoire au début de la partie. Il apprécie beaucoup cette innovation, qui permet selon lui de donner un nouveau souffle aux affrontements.
Aux échecs Fischer le pourcentage de nulles est incroyablement bas comparé aux échecs classiques. C’est une excellente chose. La complexité de la position de départ est bien plus grande. Dès lors, je le répète, il est logique que cette formule puisse devenir la variante la plus courante du jeu.
Il réalise une excellente performance à l'open 960 de Grenke : 40e en terminant invaincu, avec trois victoires et six nulles. Il a pourtant affronté six joueurs à plus de 2700 Elo, dont la quasi intégralité de l'équipe des USA.
La France accueille un immense champion désormais apaisé
Entraîneur au club de Chartres, Gata Kamsky vit avec son épouse Vera Nebolsina, ancienne championne du monde juniore. Elle aussi affiche désormais le drapeau tricolore sur le site de la Fédération internationale !
Que Gata Kamsky soit avec nous à Chartres, c’est extraordinaire. C’est une force dont les gens ne se rendent pas compte ! Les joueurs comme Gata et Vasyl (Ivanchuk), et maintenant Laurent (Fressinet), transmettent leur savoir aux jeunes, et ça fonctionne.
Décisif en Top 16, Gata Kamsky est désormais l'un des piliers du club de Chartres, en tant que joueur mais aussi en tant qu'entraîneur. Avec Namig Guliyev, il entraîne notamment Timothé Razafindratsima qui a remporté le titre de Champion d'Europe des moins de 18 ans.
Timothé Razafindratsima est l’un de mes élèves. Il a un immense talent et il est déjà très fort. Aujourd’hui, ma seule motivation est de transmettre ce que je sais et de soutenir mon équipe.
Toujours dans une volonté de transmettre son savoir, Gata Kamsky analyse chaque mois une partie dans la revue Europe Échecs.
Ses commentaires sont particulièrement appréciés, car le champion parvient à rendre compréhensibles les coups des champions.
Gata Kamsky endosse également le rôle d'ambassadeur des échecs, en particulier auprès des jeunes. Son aura, sa gentillesse et son talent sont autant d'atouts qu'il met au service d'une vision positive et accueillante des échecs.
Du fait de son histoire personnelle, Gata Kamsky souhaite transmettre aux enfants de façon saine et bienveillante sa passion pour les échecs. En 2024, il est allé à la rencontre des écoliers qui apprennent les échecs à Chartres. En 2025, il a participé à la grande fête des échecs au Blanc-Mesnil : accessible et amical avec les enfants, il a donné aux enfants l'occasion unique de jouer avec un ancien vice-champion du monde !
Enfin, face aux violences sexistes et sexuelles, Gata Kamsky porte un message fort auprès de la communauté des joueurs d'échecs.
Nous sommes confrontés actuellement à des scandales en rapport avec les femmes, au harcèlement qu’elles subissent. Car c’est toujours un sport dominé par les hommes. Mais heureusement, de plus en plus de voix sont entendues. Les hommes et les femmes sont égaux, et nous espérons avoir plus de femmes dans les échecs. C’est difficile car, fondamentalement, les échecs sont un sport très compétitif, vous avez besoin de vaincre votre adversaire, mais c’est possible. On peut en faire un monde meilleur.
Cinquième joueur tricolore au Elo, on peut se demander s'il fera partie de l'Équipe de France lors des prochaines compétitions internationales. Mais cette question semble aujourd'hui presque secondaire, tant son apport aux échecs français peut prendre de formes différentes. Gata Kamsky avait en effet été programmé par son père pour être une machine à calculer. Aujourd'hui, il est bien plus que cela : un champion humain et empathique qui révèle le meilleur de notre discipline. Qu'il intègre ou non l'équipe nationale, la France peut se réjouir de son transfert, bien au-delà des raisons purement sportives !
Vous retrouverez dans votre revue de l'été une longue interview de Gata Kamsky, qui a accepté de répondre à nos questions après sa victoire lors du Championnat de France des clubs avec Chartres. Toute l'équipe sera à l'honneur, avec des analyses de Deimante Daulyte-Cornette, Timothé Razafindratsima, Vasyl Ivanchuk, Maxime Lagarde, et les interviews de Namig Guliyev et François Gilles.
Bonus : la superbe victoire de Kamsky contre Morozevich en 2013
Impossible de terminer cet article sans présenter une partie de Gata Kamsky, qu'il remporte lors du Grand Prix FIDE de Thessalonique en 2013.
Solide et cherchant l'harmonie, il fait face à Alexander Morozevich, créatif et friand de positions nouvelles et complexes. Dans cette partie, Alexander Morozevich mène le jeu vers une position extrêmement ouverte, n'hésitant pas à mettre en danger son Roi pour favoriser l'activité de ses pièces. Gata Kamsky va réussir à mener une attaque par un sacrifice décisif contre le Roi noir, prouvant qu'il n'est pas seulement un fin stratège, mais aussi un tacticien hors pair.
