Leonid Stein – Vassily Smyslov, 1972

Leonid Stein
Les grandes parties du passé : Georges Bertola replace dans la lumière un héros des échecs soviétiques quelque peu oublié : Leonid Stein. Voici sa victoire sur Vassily Smyslov en 1972, avec un « h4 » qui caractérise le 21e siècle.

Leonid Stein est un héros des échecs soviétiques quelque peu oublié. Il est né le 12 novembre 1934 à Kamianets-Podilskyï en Ukraine. Une ville qui compte actuellement près de 100.000 habitants, proche de la frontière roumaine et moldave, et qui fut aussi celle qui a vu naître la championne de France 1935 Paulette Schwartzmann (1894-1953).

Leonid Stein vs Vassily Smyslov en 1964 sous les regards de Taïmanov et Lilienthal

Comme beaucoup de Soviétiques d’origine juive, Stein vécut les horreurs de la 2e guerre mondiale. En 1941, face à l’invasion de l’armée allemande, il fut évacué juste à temps avec sa famille et put rejoindre l’Ouzbékistan pour s’installer à Tashkent. Dès les 27 et 28 août 1941 des unités de « Einsatzgruppen » (groupes mobiles d’extermination) étaient déjà stationnées à Kamianets-Podilskyï et commirent l’un des premiers grands massacres en assassinant plus de 23.000 juifs au nom de ce que l’on qualifierait bientôt de « la solution finale ». Un euphémisme derrière lequel se dissimulait l’extermination des juifs.

En 1942 son père meurt du typhus à l’âge de 36 ans. Pendant « la Grande Guerre patriotique » des épidémies de typhus frappèrent durement les populations civiles déplacées, les camps de prisonniers et l’armée allemande.

En 1948, en compagnie de sa mère et sa sœur, Leonid revient en Ukraine et la famille s’installe à Lvov, proche de la frontière polonaise, une ville au passé tumultueux avec pour l’essentiel une période polonaise, puis autrichienne et enfin soviétique jusqu’en 1991.

Leonid Stein et Anatoly Lutikov

C’est à cette époque, après avoir terminé son service militaire, que Stein débute sa carrière de joueur d’échecs au « Palais des Pionniers » en étudiant avec le maître Gorenstein. Il se fait remarquer par le maître Alekseï Sokolsky (1908-1969). L’une des contributions de Sokolsky qui a marqué l’histoire est son livre dédié à une ouverture que Tartakower désignait sous l’appellation « Orang-Outang » soit 1.b4 qu’il pratiqua beaucoup dans les parties par correspondance.

Efim Geller et Leonid Stein

A la fin des années 50, Stein bénéficia de l’aide d’un des meilleurs joueurs de l’URSS, Efim Geller. Il réussit à se qualifier pour disputer l’épreuve phare, le championnat de l’URSS. C’est sous son influence qu’il modifia son répertoire d’ouvertures en jouant régulièrement la partie Espagnole ou la défense Est-indienne.

« Stein apprit les échecs à l'école et se révéla être un talent considérable, sans nécessairement démontrer avoir la stature des meilleurs mondiaux. Il était tactiquement astucieux, jouait vite, trop vite et était impulsif, un peu comme son contemporain Mikhail Tal. » MI Colin Crouch

Ses débuts furent modestes par rapport à Spassky ou Tal, candidat maître à 18 ans, maître à 24 et il doit attendre 1961 pour participer à son premier championnat de l’URSS. Début remarqué, Stein inflige sa seule défaite au vainqueur Petrosian et partage la 3e place avec Geller devancé par Korchnoi.

Stein subit une première déconvenue lors du tournoi interzonal de Stockholm, un triomphe pour Fischer qui s’imposa avec 2 points et demi sur ses plus proches rivaux soviétiques Petrosian et Geller. Stein partagea la 6e place en compagnie de Benko et Gligoric et remporta les départages. Mais une règle limitait le nombre de participants au tournoi des candidats à trois par pays (Petrosian, Geller et Korchnoi s’étaient qualifiés) et il dut céder sa place à Benko qui obtint le billet pour Curaçao.

Leonid Stein, dessin de Sylvain Zinser

En 1963 Stein partage la 1re place avec Spassky et Kholmov au 31e championnat de l’URSS pour ensuite remporter les départages.

« Stein s’orientait dans les positions comme un extra-lucide. Alors que, lorsqu'un joueur expérimenté réfléchit à son coup, il ne voit à tout moment qu'une partie de l'échiquier, Stein saisissait l'ensemble de l'échiquier, prévoyant en quelque sorte les positions qui en résulteraient. Lorsqu'il commença à montrer les variantes qu'il avait vu, l’échiquier semblait bouger… Et pourtant, tout en possédant un talent si inestimable qui était évident pour tout le monde, Stein était très impatient, tout à fait incapable de se forcer à réfléchir à l’échiquier et prenait constamment des décisions hâtives que ses adversaires les plus expérimentés exploitaient. » Viktor Kart entraîneur

A l’interzonal d’Amsterdam en 1964 Stein obtient le 5e rang, devancé d’un demi-point par Smyslov, Larsen, Spassky et Tal. Le quota des joueurs soviétiques atteint, il se voit écarter à nouveau (avec Bronstein) des matches des candidats au détriment de Ivkov et Portisch. Cette règle du quota fut abandonnée lors du Congrès de la FIDE à Wiesbaden en 1965.

Leonid Stein et Youri Averbakh en 1965

En 1965 Stein remporte en solitaire le 33e championnat de l’URSS sans la participation du champion du monde Petrosian et des participants aux matches des candidats, Geller, Keres, Smyslov, Spassky et Tal.

Robert James Fischer et Leonid Stein

En 1966 il joue au 4e échiquier de l’équipe de l’URSS à La Havane. Lors d’un dîner organisé en l’honneur des participants par Fidel Castro, Bobby Fischer aborda Leonid Stein, alors champion de l’URSS :

«  Bobby lui proposa un match qu’ils joueraient à La Havane, soit à la fin de l’olympiade, soit au début de 1967. Le vainqueur serait celui qui gagnerait le premier dix parties, les nulles ne comptant pas. Si le match Alekhine-Capablanca pouvait servir de modèle pour cette nouvelle façon de faire (25 parties nulles avant qu’Alekhine gagne 6 parties) le match Fischer-Stein pouvait continuer au-delà de 50 parties et durer plus de 3 mois. Peut-être, dans l’enthousiasme et l’atmosphère détendue du moment, Stein accepta-t-il ce que son pays avait toujours refusé : un match USA-URSS qui ne se déroulerait pas sous l’égide de la FIDE. » Frank Brady

Mikhaïl Tal, Leonid Stein et Robert James Fischer

Voici la version soviétique :

«- Te rappelles-tu de nos parties de blitz à Stockholm, Bobby ? - demanda Stein. - Ne serait-il pas agréable de jouer quelques parties maintenant aussi ?

- Pourquoi des blitz - répondit Fischer. Nous devrions jouer un vrai match. Tu es le champion de l’URSS et je suis le champion des États-Unis. Ne serait-il pas intéressant de s’affronter ? Les deux joueurs ont immédiatement élaboré les conditions; jouer jusqu'à 6 victoires, sans tenir compte des nuls. Fischer a pris le président de la Fédération cubaine d'échecs José Luis Barreras par la main et l'a conduit au Ministre-président. - Vous ne pourriez pas organiser un match avec Stein à Cuba ? - Je ne m'oppose pas à l'idée - dit Castro. Je garantis toutes les conditions. Quand voulez-vous jouer ? -

- Immédiatement après l'olympiade - a suggéré Fischer.

- Immédiatement ? - répondit Stein surpris - L'olympiade se termine le 20 novembre et le championnat URSS commence dans un mois. Je ne peux pas rater ce tournoi car c'est un zonal et si je n'y joue pas, je perdrai ma chance de me battre pour le titre de champion du monde. Peut-être que l’on pourrait jouer l'année prochaine ?-

- Seulement maintenant - insista Bobby Fischer. »

GM Gufeld et Lazarev

La vision américaine :

« Lors d’une conférence de presse qu’il convoqua presque immédiatement après, Bobby annonça aux journalistes : - Le ministre Président est d’accord pour sa part et, en outre, il viendra assister au match. -

On commença les préparatifs, on télégraphia à Edmondson à New York comme si c’était un fait accompli mais le lendemain matin, Stein prétendit qu’il n’avait jamais pris la proposition de Bobby au sérieux et qu’il avait cru que c’était une simple manœuvre publicitaire. Il est évident que lorsque la nouvelle de cette rencontre improvisée était arrivée à Moscou, les Russes avaient télégraphié à Stein et au capitaine de l’équipe soviétique un niet immédiat. » Frank Brady

Leonid Stein et Bent Larsen

En 1967 il conserve le titre à Tbilisi en remportant le 34e championnat de l’URSS.

Cette même année lors de l’interzonal de Sousse, Stein partage la dernière place qualificative en compagnie de Reshevsky et Hort.

Un match de départage se dispute à Los Angeles sans désigner un vainqueur avec 4 points chacun. Il est écarté pour la 3e fois dans la course pour le titre mondial, cette fois par la loi du « Sonneborn-Berger ». Pourtant dans l’avant dernière ronde, Hort lui avait offert la nulle…

C’est le vétéran Reshevsky qui passe, sans avoir gagné une seule partie, pour se faire éliminer en quart de finale par Korchnoi.

En 1969 Stein n’obtient que la 6e place lors du 37e championnat de l’URSS. Il n’a pas son billet pour le tournoi interzonal. C’est Petrosian qui remporte le titre et les 4 places qualificatives vont à Polugaevsky, Geller, Smyslov et Taimanov.

En 1970 Stein est premier réserviste dans l’équipe soviétique opposée au « Reste du Monde ». Lors de la 4e et dernière ronde, il remplace Spassky « malade » au premier échiquier. C’est sans doute la première fois qu’il est en pleine lumière dans ce match très médiatisé. Il n’avait affronté Larsen que deux fois jusqu’ici avec une belle victoire lors de l’Interzonal d’Amsterdam en 1964. Mais Larsen prit sa revanche pour obtenir un score positif au premier échiquier de l’équipe « Reste du Monde ».

Moscou 1971

En 1971 il remporte à Moscou en compagnie de Karpov l’un des plus forts tournois de la décennie, le mémorial Alekhine. Il devance le champion du monde Spassky et trois ex-champions, Smyslov, Tal et Petrosian.

Pour la première fois en 1972 Stein fait partie des 8 joueurs sélectionnés pour l’interzonal sans passer par les qualifications. Il peut se préparer en toute quiétude pour participer au tournoi interzonal qui se jouera au Brésil fin juillet 1973.

Son palmarès est plus qu’élogieux. Il obtint des scores positifs contre :

Bronstein (+4 =11 -1) Tal (+2 =12) Petrosian (+1 =7) Spassky (+3 =10)

Fit jeu égal face à :

Botvinnik (+1 =2 -1) Smyslov (+1 =8 -1) Korchnoi (+2 =11 -2)

Négatif contre :

Fischer (=1 -1) Karpov (=3 -2)

Et pourtant dans une publication aussi prestigieuse quel le dictionnaire « Larousse », le triple champion soviétique se trouve réduit à ce petit paragraphe :

« Stein Leonid, 1934-1973. Russe. Triple champion de l’URSS en 1963, 1965, et 1967. Le grand-maître Stein, mort prématurément, a eu cependant l’occasion de remporter des succès impressionnants. Il s’est imposé, entre autres, lors du tournoi de Moscou 1971 à égalité avec Karpov. Dans ce tournoi participaient quatre ex-champions et un futur champion du monde : Smyslov, Tal, Petrosian, Spassky et Karpov. »

C’est à peu près l’espace équivalent accordé à un MI français …!

« La capacité à prendre un risque créatif est l'une des caractéristiques les plus brillantes qui différenciera toujours un joueur d'échecs de n'importe quelle merveille de la technologie. Stein était l'un des grands maîtres les plus "non programmés". Si les affirmations sur l'existence d'un style intuitif sont légitimes, Stein appartient à juste titre à cette tendance. Sa manière de jouer était particulièrement proche de Tal. » GM Gufeld

« Ce désordre était fait exprès pour cacher le piège ; les pions feignaient la déroute pour tromper l’ennemi, les Cavaliers feignaient l’épouvante, le Roi feignait la fuite. » Arrigo Boito dans « Le Fou Noir » publié en 1867.

Stein,Leonid (2620) - Smyslov,Vassily V (2620) URS-chT Republics 12th final A Moscow (2), 09.03.1972. Anglaise [A17]

1.c4 f6 2.c3 e6 3.f3 b6 4.e4 b7 5.e2

Après 5.♕e2

« Dans l’esprit de la vieille idée de Chigorin contre la défense Française 1.e4 e6 2.e2!? avec l’intention d’empêcher la poussée d7-d5 et augmenter l’efficacité de e4-e5. » Kasparov. Jugé douteux par Petrosian dans l’Informateur.

5...b4

Une partie Portisch – Matanovic (Erevan 1965) ou apparemment le coup insolite 5.e2 avait fait son apparition se poursuivit avec 5...c5 6.e5 g8 7.d4 cxd4 8.xd4 c6 9.xc6 (9.db5!? joué par le GM Ftacknik est à considérer.) 9...xc6 10.d2 e7 11.0-0-0 c7 12.b1 (12.h4!? MI Crouch) 12...f5 avec une position jugée égale. Une partie que Stein avait pu suivre car il jouait le tournoi.

6.e5 g8

L’ouverture noire est traitée dans l’esprit de la défense Alekhine, elle provoque la poussée e4-e5 pour ensuite miner le centre avec la poussée d7-d6.

7.d4 d6

« Confronté à une surprise dans l’ouverture, Smyslov joue un coup spontané mais imprécis. Attaquer la chaîne de pions à son point le plus fort n’apporte rien. » Kasparov « Correct était 7...e7! 8.d2 (Ou 8.d3 d5 9.exd6 cxd6 10.a3 xc3+ 11.xc3 (Moscou 1974 7e du match) 11...d7! suivi de 12…Tc8 » Kasparov) 8...0-0 9.0-0-0 d5 Korchnoi- Karpov (Moscou 1974 4e du match).

« Ce n'est qu'ainsi qu'un doute peut être levé sur le 5e coup artificiel des Blancs. La décision de Smyslov de défier le fer de lance de la chaîne de pions des Blancs est beaucoup moins efficace car le développement temporairement retardé des Noirs donne aux Blancs le temps d'attaquer son aile-Roi à l'étroit. » GM Keene

8.a3

« Assez souvent celui qui innove opte pour la variante la plus tranchante, tandis que les joueurs suivants adoptent des lignes plus calmes et plus sûres. Stein était vraisemblablement assez heureux de gagner un pion supplémentaire, bien que doublé, au centre. Plus tard, les joueurs ont préféré 8.d2 après 7...d6 ou 7...e7, en gardant la structure des pions intacte, ou bien 8.d3, avec la même intention en libérant le Fou f1. Korchnoi a expérimenté ce genre d’idée contre Karpov en 1974, bien qu’il n’ait obtenu que 3 parties nulles. » MI Crouch

8...xc3+ 9.bxc3 e7 10.h4!

Après 10.h4!

« Le début d’un plan tranchant qui vise à ouvrir le jeu au profit de la paire de Fous.  » GM Kasparov

« Il semble que les Blancs se lancent dans un défi contre les principes classiques :
- Ils n’ont pas terminé leur développement.
- Le centre n’est pas suffisamment soutenu.
- Le Roi n’a pas encore roqué.
- Les Tours ne sont pas liées.
- Et voici que le pion latéral, comme un soldat indiscipliné, part pour une campagne militaire risquée.

Tout cela n'était vrai que vu d'un côté, du côté blanc, et du côté noir ? Les Noirs n'avaient pas non plus toutes leurs forces prêtent au combat. Si les Blancs commençaient à organiser leur camp, alors les Noirs ne seraient pas en reste. Stein a essayé de renforcer ses principaux atouts, l'avantage spatial et la pression le long des cases noires, à l'aide d'un coup de pion audacieux. Dans la bataille qui s'ensuivit, il s'appuya également sur la force de ses deux Fous. » GM Gufeld et Lazarev

« Introduisant un climat violent qui devait être un anathème pour l'ex-champion du monde. Lors de leur précédente rencontre décisive, Stein avait été lentement écrasé dans une fin de partie technique dans laquelle Smyslov excelle. Alors à cette occasion, il se résout à le prendre la gorge. - Il n'y aura pas de fin de partie cette fois - C’est ce que Stein a dû penser en jouant ce coup. » GM Keene

C’est certainement le genre d’approche qui caractérise le 21e siècle. La transgression des principes, qui s’appuie sur des variantes concrètes, a ouvert de nouveaux horizons. Aujourd’hui cette poussée du pion « h » bouleverse la théorie dans de nombreuses ouvertures, notamment lorsque les Noirs ont développé le Fou en fianchetto sur l’aile Roi. Par exemple 1.d4 f6 2.c4 g6 3.h4!? Fedoseev-Carlsen (Krasnaya Polyana 2021).

10...d7

« Il fallait préférer 10...d5!? avec l’idée 11.cxd5 a6 12.c2 (12.c4 exd5) 12...xf1 13.xf1 exd5 14.h5 h6 15.g1 0-0 16.a4 bc6 17.d3 d7 =  » Kasparov

« C’est parfaitement acceptable pour les Noirs, mais Smyslov a dû flairer que Stein s’était montré trop pressé. Alors pourquoi viser la simple égalité ? » MI Crouch

11.h5 xf3

« Poursuivant systématiquement dans le plan entrepris, qui prévoit la destruction du centre ennemi, mais il fallait absolument jouer avant 11...h6 (recommandation de Petrosian dans l’Informateur 11…h6 +=). Après 12.f4 xf3 « Si les Blancs choisissent logiquement de renforcer le centre avec 12.f4, les Noirs ont une suite à la Morphy après 12...0-0! et si 13.exd6 cxd6 14.xd6 e5!! offrant un autre pion pour ouvrir le jeu et exploiter l'avantage de développement. Peu importe ce que les Blancs jouent, qu'ils prennent e5 ou non, les Noirs poursuivront avec ...e8 et ...f5 ou ...c5 selon les circonstances. Par exemple :

15.0-0-0 (15.dxe5 e8 16.0-0-0 f5 17.d3 xd6 18.xd6 xf3 19.gxf3 xe5; 15.xe5 e8 16.0-0-0 c6 17.d2 cxe5 18.dxe5 e7!! 19.xd7 xa3+ = » MI Engqvist) 15...e8 16.c2 exd4 17.cxd4 c8 18.b1 b5 19.c5 f5! avec suffisamment de contre-jeu pour le pion sacrifié.) 13.xf3 dxe5 14.dxe5 c6 15.d1 c7 16.e2 0-0-0 17.0-0 la position des Blancs reste supérieure mais pas autant que dans la partie » Kasparov

12.xf3

« Bien sûr 12.gxf3 serait idiot. » GM Keene. Effectivement endommager à nouveau la structure est à éviter après 12...dxe5 13.dxe5 f5 14.g1 et la colonne « g » n’est pas une compensation insuffisante 14...h4 15.e4 0-0!? semble nettement favorable aux Noirs au vu des structures des pions. (15...xe4+?! 16.fxe4 xe5 17.e2 d6 18.xg7 = MI Crouch)

12...dxe5

« Maintenant 12...h6 n’est pas trop recommandable au vu de 13.g4 f5 14.d3! » GM Gufeld et Lazarev. Kasparov poursuit avec 14...0-0 15.exd6 cxd6 16.f3 suivi de la poussée g2-g4-g5 avec une terrible attaque.

13.h6

Après 16.h6

« C'est définitivement un jeu de gambit. Stein veut attaquer. Il n'est pas intéressé par le maintien de l'équilibre, il veut faire une percée rapide. Parfois on a l'impression que bon nombre de pions n'ont pas beaucoup d'importance, sauf si l’on peut les conduire à une promotion dans une finale lointaine. Pendant ce temps, ici les pions ouvriront le jeu, les Rois à l’arrière seront bientôt exposés, avec peu de chances de roquer, pour l'un ou l'autre camp. «  MI C. Crouch

« A ce moment-là, la moitié des joueurs de la « Spartakiade » s'étaient réunis autour de l’échiquier car personne ne comprenait ce qui se passait. Il est clair que les Noirs ont un pion de plus mais les menaces des Blancs sont encore assez obscures, même si désagréables pour les Noirs. » GM Mikhalchishin et Kart

13...gxh6

« Même un joueur légendaire comme Smyslov ne perçoit pas le dynamisme de cette position insolite. Un moindre mal était 13...g6! 14.dxe5 net avantage selon Petrosian 14...0-0
a) 14...xe5 15.f6
b) Selon Crouch seul les Blancs ont des possibilités de gain et il opte pour 14...c6 15.g5 c7 16.e2 c5 (Le MI Engqvist préfère 16...b5 +=  avec léger avantage blanc grâce à l’espace et la paire de Fous.) 17.d1 et les Blancs conservent un jeu dynamique. 15.g5 xe5 16.f6 f5 17.xd8 axd8 18.xd8 xd8 avec une certaine compensation pour la perte de la qualité et des perspectives de nul. » Kasparov

14.xh6

14.d3! pointé par Kasparov accélérant la mobilisation des pièces est très prometteur. 14.dxe5? xe5 15.f6 7g6 GM Speelman

14...exd4

« Si 14...f5 15.g5! f6 et les Blancs devraient sans aucun doute être en mesure de conserver l'avantage de plusieurs manières : Le GM Speelman suspectait que 16.d5 était bon pour les Blancs (GM Speelman) mais (16.g4 une autre suggestion de Speelman conduit à des positions aux complications « inhumaines » dont celles-ci 16...xd4! 17.cxd4 fxg5 18.h6 e7! et la coordination des pièces lourdes rétablies permet de s’opposer à l’attaque : 19.d5 (Kasparov) (19.c6! f7 20.g2 g7 21.xe6 f8 22.0-0-0 et c’est finalement le Roi blanc qui se retrouve le moins exposé après 22...xe6 23.dxe5! e8 24.d7+ f8 25.xa8 xa8 26.xa8 avec une finale avantageuse pour les Blancs. (MI Engqvist). L’apport des outils informatiques a révolutionné le traitement des ouvertures mais le GM Speelman avait une bonne intuition en 1982 !) 19...f8! 20.xe6+ d8 avec des chances égales.) 16...fxg5 17.dxe6 0-0! 18.h3 e7 19.d3 h4 20.exd7 ad8 et selon le MI Crouch c’est plutôt les Noirs qui sont bien. L’ami Fritz confirme !

15.g7 g8 16.xh7

Après 16.♖xh7

« Une autre pièce se rue directement dans la mêlée. L'attaque blanche est maintenant extrêmement forte. Smyslov joue la seule défense sensée mais il a probablement déjà perdu. » GM Speelman

« Il est fascinant d'observer la manière dont les pièces de Stein sont parvenues au cœur du conflit directement de leurs cases d'origine sans s'arrêter pour franchir le stade du développement conventionnel. » GM Keene

16...f5?!

Kasparov a proposé une meilleure défense 16...f8! 17.xf8 xf8 et ici : 18.0-0-0 (18.d1!? c5 19.cxd4 cxd4 20.h4 c8 21.hxd4 c7 avec une position noire encore solide (MI Engqvist)) 18...c5! 19.d3 b8 20.c2 b5 (Kasparov) avec du contre-jeu mais le Roi blanc n’est pas au mieux sur l’aile-Dame.

17.xd4 c5

Le MI Crouch sanctionne 17...f8 à tort après 18.f6 mais (Une variante pointée par le MI Engqvist qui améliore avec 18.h5 xd4 19.cxd4 d7 20.h7 f6 21.h4 et les pièces blanches sont très actives.) 18...xf6! 19.xa8+ e7 20.h3 g3! 21.f3 e5+ 22.e2 xe2 23.xe2 xe2+ 24.xe2 xg2 avec des chances de nulle.

18.g4!

« Une bataille féroce se déroule. Stein est dans son élément et achève la mobilisation de ses forces sans interrompre le combat. » GM Gufeld et Lazarev

18...cxd4

Sinon les Blancs exercent une pression décisive via la colonne « d » après 18...d6 19.g7! c8 20.f4 e5 21.h6 +- ( Dvorestsky) 21...e4 22.d3 g5 23.f5! xh7 24.xh7 e7 25.0-0-0 avec une attaque gagnante (Engqvist).

19.gxf5

Après 19.gxf5

« Maintenant cela recommence à devenir plus compliqué. Comptez les pièces et les pions et vous voyez qu'ils sont égaux. Vraisemblablement les Blancs doivent donc être bien mieux car leurs pièces sont plus actives et mieux développées. Ils exercent une pression considérable sur les cases blanches, sur la grande diagonale et les lignes menant à f7 et e6. Les Noirs ont le choix entre plusieurs coups mais ce n'est pas un choix facile. Tout mauvais coup et ils perdront rapidement. Tout bon coup et avec de la chance ils resteront dans la partie. » MI Crouch

19...e5

Les Noirs contrôlent les cases noires après avoir réussi à échanger un puissant Fou blanc. Mais maintenant il y a des faiblesses sur les cases blanches.

D’autres possibilités : 19...e5 20.e4 dxc3 (avec le piège 21.d1? c2 22.xd8+ xd8 23.xc2 f3+ 24.e2 d4+) n’allait pas après 21.a2! pointé par Stein. Speelman poursuit 21...d4 22.xa8+ e7 23.b7+ d6 24.fxe6 g1 25.d5+ xd5 26.cxd5 d3+ 27.e2 c1+ 28.e3 fxe6 29.c2 xf1 30.dxe6 xe6 31.xc3+-
19...f6 20.fxe6 fxe6 21.h6 dxc3 22.d3! g1+ 23.e2 xa1 24.xf6 a2+ 25.e3 avec gain.
Le mieux selon Engqvist était 19...exf5 20.0-0-0 f6 21.h3 e4 22.c2 avec toutefois un net avantage blanc.

20.d5! f8 21.cxd4 c8

Après 21...♖c8

« Pour le moment les Blancs ont un pion de plus, mais l' acquisition de matériel ne signifie aucunement une diminution de leur initiative. » GM Keene

22.d1?! Plusieurs coups ont été proposés :

22.dxe5?? c5 permet d’égaliser.
22.a2!? Dvorestsky
22.c5!? avec la menace 23.b5. GM Gufeld et Lazarev 22...bxc5 23.c4+- (23.b5?? a5+)
22.0-0-0 qui est le plus convaincant, et ici : 22...g5+ (22...e7 23.h3 f6 24.b7 b8 25.c7 suivi par 26.dxe5 ou 26.e2 et 27.h5+ MI Engqvist

« On peut imaginer que les deux joueurs étaient sous la forte pression de temps, en raison des échecs inhabituellement complexes et originaux du début de partie, et que Stein voulait simplement jouer un coup décent rapidement, plutôt que de penser ici à cette position d’exception. » MI Crouch

En effet, roquer en plein courant d’air du côté de ce qui semble la mort n’est pas une décision évidente.) 23.b2 xf5 24.h3! xf2+ 25.b1 c7 26.dxe5 et les Blancs gagnent. MI Crouch

22...e7?

Une meilleure défense rendue possible à cause du Roi blanc sur e1 était 22...exd4 23.xd4 (23.d2 f6!) 23...c5! qui forçait l’échange des Dames. MI Engqvist.
Si 22...f6? 23.xd7+!

23.g2 Libérant la case f1 pour le Roi. 23...g8 Les Noirs font de la place pour leur Roi. Il y avait 3 autres possibilités : 

23...exd4+ 24.f1 c5 (24...f6 25.xd4 xh7 (25...d7 26.h6 xd4 27.xd4 d7 28.c6 +- Kmoch) 26.e1 et la Dame et le Fou sont clairement supérieurs aux forces noires désorganisées. MI Engqvist) 25.e4+ d8 26.xd4 xa3 27.h4+ c7 28.f4+ d8 29.d5 +- Kasparov; 
23...xa3?! 24.c5! (Kmoch) jugé avantageux par Engkvist car la Dame noire est hors-jeu Kmoch indique 24...exd4 25.e4+ d8 26.h4+ e8 27.f1 +- avec attaque gagnante.; 
23...e4 et selon Kmoch ce coup ne peut être réfuté de manière immédiate mais 24.h3 conserve l’attaque.

24.b7! Le plus précis.

Après 24.♕b7!

24.f1 f6 25.b5+ f8 26.h3 exd4 27.xd4 c5=; 
24.dxe5 et ici : 24...f6 (24...xe5+ 25.f1 xd5 26.xd5 f8 27.xf7+! xf7 28.e1+ f8 29.h8++-) 25.b5+ f8 26.e6!! xh7 (26...e8 27.f1+-) 27.d7 +- MI Engqvist

24...xc4?

« Les Noirs sont de toute façon perdus mais il est toujours de notre devoir de se défendre le plus habilement possible afin de rendre plus difficile pour l'adversaire d’obtenir le point. » MI Engkvist

24...exd4+ 25.f1 c5 26.e4+! offrait plus de résistance : 26...e5 (26...f8 27.xf7+! xf7 28.e6+ f8 (28...g7 29.d5! f8 30.g6+ h8 31.h5+ g7 32.xd4+-) 29.d5! g7 30.f6+- MI Engkvist) 27.xe5+ xe5 28.e1 gagne une pièce.; 
Une autre variante proposée par le MI Saidy ne résiste pas à l’attaque après 24...b8 25.xa7 exd4+ 26.f1 d6 27.e1+ f8 (27...d8 28.xf7+-) 28.e6!!

25.dxe5

Le simple 25.a8+ d8 26.d5 avec attaque double gagnait facilement mais le « zeitnot » sévissait. Pourtant, ce coup est loin d’être une erreur, même si sanctionné par le MI Crouch.

25...xe5+ 26.f1 b5

Si 26...c7 27.a8+ b8 (27...c8 28.d5 f8 29.f6+-) 28.e1+ f8 29.d5 +- MI Crouch

27.g1

Un coup  logique qui évente un petit piège. Si 27.e1+?? e4+ renverse la situation, mais 27.a4! pointé par Crouch à la faveur des ordinateurs.

27...c6 Il n’y a plus de défense.

27...cg4 28.c8+ e7 29.xf7+! xf7 30.xd7+ (Petrosian) et ici : 30...f6 (30...xd7 31.xd7+ f8 32.f6! xg2+ 33.f1 et les Noirs doivent rendre une Tour pour éviter le mat. MI Engkvist) 31.d6+ e5 32.e6+ f4 33.e3+ xf5 34.e6+ f4 35.f6+ f5 36.d4#; 
Si 27...xg2+? 28.xg2 xf5 avec des complications incroyables selon S. H. Postma, est facilement contré par 29.g8+ e7 30.xf7+! xf7 31.xd7++-

28.xc6 xc6

Après 28...♖xc6

29.h8!!

Un sacrifice décisif qui permet de déclouer le Fou.

« Ce coup fulgurant montre que l'avantage des Blancs a en fait atteint son moment critique, il gagne le Cavalier sinon une Tour, peu importe ce que font les Noirs. » Kmoch

29...cg6 30.fxg6 xh8 31.c6 g8 32.xd7+ e7 33.f5 fxg6 34.d7+ f6 35.d3 1-0

Après 35.♗d3 1-0

Cette partie fut considérée comme l’une des meilleures de l’Informateur 13 avec des commentaires succincts de l’ex-champion du monde Petrosian.

« La caractéristique la plus remarquable du jeu de Stein était peut-être son extraordinaire capacité de conduire l’attaque. Rappelez-vous que dans cette partie, il jouait contre un adversaire immensément fort et solide, l'ex-champion du monde Smyslov. Le fait remarquable de cette partie est la façon dont les pièces blanches se lancent directement dans l'attaque à partir de leurs cases d'origine. » GM Speelman

« Je suis attiré par la lutte et par les aspects psychologiques du jeu. » Stein

« Depuis ma jeunesse, je suis fasciné par les parties d'Alexander Alekhine. Autant que je peux, j'essaye d'imiter le style de ce virtuose sans pareil de l'attaque. » Stein

Le GM Mikhalchishin et Viktor Kart : « Juillet 1973. Au cours d'un petit-déjeuner matinal dans un petit hôtel de la rue du Bac à Paris, les auteurs feuillettent le Figaro quand soudain ils tombent sur un long article nécrologique, le grand maître Leonid Stein est décédé à l'âge de 38 ans. Impossible de le croire. Nous l'avions récemment vu et passé du temps avec lui et nous savions qu'il s’était investi dans une préparation sérieuse pour le tournoi interzonal qui allait se dérouler au Brésil. Lors de l'une de ses dernières interviews, Stein avait déclaré qu'il était maintenant prêt à se battre pour le championnat du monde et qu'il comptait gagner. »

Stein devait décéder à Moscou le 4 juillet, des suites d’une crise cardiaque après avoir reçu des soins inappropriés en l’absence d’un médecin. Il allait se rendre à l’aéroport pour rejoindre Bath en Angleterre et disputer le championnat d’Europe par équipes. Stein était classé no.12 mondial et n’avait pas encore 39 ans. Comme beaucoup de joueurs de cette génération, il ne se souciait guère de sa santé.

« Il avait l’air de bien se porter, en forme mais il fumait trop de cigarettes. Lorsque je lui ai demandé s’il suivait un régime pour maintenir sa condition physique, Stein a simplement haussé les épaules pour allumer aussitôt une autre cigarette. » MI Saidy en 1973

« Je le connaissais bien, nous étions devenus amis. En 1973 c’était un très fort Grand-Maître qui pouvait prétendre se qualifier pour les matchs des candidats. J’ai le souvenir d’un homme chaleureux et passionné. Je l’ai vu pour la dernière fois la veille de sa mort, nous devions nous rendre à Bath mais le lendemain très tôt le matin il a eu un malaise. Une infirmière a voulu lui porter secours en lui faisant une piqûre mais cela n’a fait que précipiter sa mort. » Anatoly Karpov au Cap d’Agde en novembre 2021

Peu avant sa mort Stein lui-même, bien que conscient de la maladie cardiaque dont il souffrait, était optimiste. Il avait émis des paroles prophétiques à l’un de ses collègues : « Tu vas être surpris. Quand je serai au Brésil, toute ma vie prendra un autre cours. Tu ne me reconnaîtras pas. Alors je vais vraiment commencer à jouer. »

Leonid Stein en 1973

« Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles et tous les lecteurs de leur soutien. » Georges Bertola

Stein,Leonid - Smyslov,Vassily V URS-chT Republics 12th final A Moscow, 09.03.1972

Sources principales :

– Leonid Stein Master of Attack GM R.D. Keene (London Robert Hale & Company 1976)
– Leonid Stein Siep H. Postma (Smit Publishing/Uitgeverij Smit Van 1876 Hengelo 1985)
– Leonid Stein H. Wieteck (Rochade Europa 1994)
– Leonid Stein Master of Rysk Strategy GM Eduard Gufeld Efim Lazarev (Thinkers’ Press Inc. Davenport, Iowa 2001)
– Stein Move by Move T. Engqvist (Everyman Chess 2015)
– Chess Secrets Great Attackers C. Crouch (Everyman Chess 2009)
– Best Chess Games 1970-80 J. Speelman (London George Allen &Unwin 1982) New in Chess 1995/2
– Chess Life & Review 1972/12
– My Great Predecessors part III G. Kasparov (Everyman Chess 2004)

La Palme pour découvrir ce grand joueur revient à Thomas Engkvist qui a signé un ouvrage remarquable.

Le livre de Thomas Engkvist

Publié le , Mis à jour le

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Les réactions (3)

  • jaskarov

    Encore un article très intéressant. Merci Mr. Bertola.

  • Icare

    Merci à Georges Bertola et Gérard Demuydt pour cette chronique, toujours aux confins de l'histoire des échecs et de l'Histoire tout court. Quand on en commence la lecture, on ne peut plus s'arrêter avant la fin!

  • SylvainRavot

    Un grand merci à Georges Bertola et Gérard Demuydt pour ce superbe article !