Juan Manuel Bellón López

Georges Bertola et Juan Manuel Bellón López en 2020
Le quintuple champion d’Espagne Juan Manuel Bellón López fête ses 70 ans le 8 mai 2020. Il est marié avec Pia Cramling avec qui il a une fille, Anna, également joueuse d’échecs.

Juan Manuel Bellón, Lausanne 2020

Il a reçu le titre de GMI lors de l’assemblée générale de la FIDE à Buenos Aires en 1978. Cette même année il avait partagé la seconde place, derrière l’ex-champion du monde Boris Spassky, en compagnie de géants comme Miles, Hort et Gligoric au tournoi de Montilla-Moriles pour devenir le 3e Grand-Maître espagnol de l’histoire.

Henrique Mecking

En 1977, déjà remarqué par le Brésilien Henrique Mecking candidat au titre mondial, il fut son secondant dans le match très tendu contre le Russe Lev Polugaevsky, en quart de finale du championnat du monde à Lucerne.

Depuis 1988, il est marié avec la championne GMI suédoise Pia Cramling avec qui il a une fille, Anna, également joueuse d’échecs.

Présent à Lausanne lors du « FIDE WOMAN GRAND PRIX », j’ai pu interviewer Juan Bellón le 9 mars 2020.

Arturo Pomar et Juan Manuel Bellón

Georges Bertola : Avec un nom comme Bellón López vous étiez sans doute prédestiné pour les échecs. Quels étaient les principaux rivaux en Espagne lorsque vous remportez votre 1er titre de champion d’Espagne en 1969 ?

Juan Bellón  Je devançais de 1,5 point (+10 =5) le GM Arturo Pomar (un enfant prodige qui a 13 ans avait reçu des leçons particulières d’Alekhine). Pomar était le plus connu avec le MI Antonio Medina, tous deux sept fois champion d’Espagne. La plupart des forts joueurs étaient présents, notamment Roman Toran. Seul manquait Jesus Diez del Corral, le deuxième joueur espagnol à recevoir le titre de GM avant moi. Pour ma carrière, ce fut un moment très important de gagner ce championnat d’Espagne car l’année précédente et en 69, j’avais déjà gagné le championnat junior de mon pays. Le GM Pomar était mon idole, il venait de Majorque comme moi, lorsque je l’ai battu, je me suis dit que je pourrais devenir un professionnel, vivre des échecs. C’était la première fois dans l’histoire des échecs espagnols que quelqu’un gagne la même année à la fois le championnat d’Espagne et le championnat junior.

G.B. Lorsque vous remportez vos premiers succès, le championnat d’Espagne et vice-champion d’Europe junior en 1969/70 derrière Adorjan mais à égalité avec Beliavsky, ressentiez-vous l’effet Fischer, les échecs étaient-ils devenus plus populaires en Espagne ? 

Bellón Champion d'Espagne

J.B. Oui, cela a tout changé mais pas seulement en Espagne, dans le monde entier. Après Fischer, tout le monde connaissait les échecs. Je l’ai vu jouer lors de l’interzonal de Palma de Majorque en 1970 mais je n’ai jamais joué ou analysé avec lui. J’étais venu bénévolement déplacer les pièces sur les échiquiers de démonstrations dans la salle de jeu. Il s’était fait remarquer en arrivant régulièrement avec un peu de retard devant l’échiquier pour éviter les photographes et repartait aussitôt la partie terminée.

G.B. Votre palmarès est impressionnant, une dizaine de participations aux Olympiades. Quelle est celle qui vous a laissé le meilleur souvenir ?

J.B. Buenos Aires en 1978. Non seulement on m’a décerné le titre de Grand-Maître et aussi parce que j’avais réalisé un tournoi fantastique. Juste une ombre au tableau, j’ai perdu la médaille d’or dans la dernière ronde. Si je n’avais pas joué, je l’aurais obtenue. C’est la raison pour laquelle, depuis 1978, je ne propose plus jamais nul, si quelqu’un me propose nul, je peux accepter mais ne le propose plus moi-même. Voilà ce qui est arrivé : Mon capitaine m’a dit - Tu dois jouer la dernière ronde, tu as fait un excellent résultat et nous avons besoin de toi. Et j’ai répondu - A une condition : Vous suivez l’évolution de la partie de mon concurrent le plus proche. Durant la partie, mon capitaine m’a informé que mon rival avait fait nul et que je pouvais à mon tour proposer nul ! Je l’ai fait alors que j’étais un peu mieux. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que le Philippin Glenn Bordonada qui n’avait joué que huit parties avant la dernière ronde, a gagné la dernière et a obtenu ainsi la médaille d’or avec 7 points sur 9. (+5 =4) avec un meilleur pourcentage 77,8 % alors que moi avec 10 sur 13 (+8 =4 -1) je n’avais que 76,9% !

Anatoli Karpov et Juan Manuel Bellón

G.B. Combien de champions du Monde avez-vous rencontré sur l’échiquier ?

J.B. J’ai joué contre Smyslov, Petrossian, Tal, Spassky, Karpov, Anand et en simultanée contre Euwe. J’ai joué plusieurs fois contre Korchnoï, un joueur fantastique, mais il n’était que vice- champion du Monde !

Mikhaïl Tal et Vassily Smyslov

G.B. Qui est celui qui vous a le plus marqué, impressionné comme personnalité et comme joueur  ?

J.B. Comme personnalité, l’ex-champion du monde Smyslov. Un vrai gentleman. Je me souviens lors d’une partie jouée à Graz en 1984 en Autriche, il m’a proposé nul pendant la partie et j’ai refusé. Après la partie (qui s’est finalement terminée par le partage du point), il m’a dit « Je suis désolé, je vous ai offert la nulle, j’ai fait une erreur, c’est terrible ! » C’est incroyable venant de la part d’un champion du monde… Mon joueur favori était Mikhaïl Tal. J’ai aussi un bon souvenir de Tal, la première partie que nous avons jouée, c’était au championnat d’Europe par équipes en 1970. Tal m’a battu en une quinzaine de coups à peine ! Après la partie, il a voulu continuer de jouer et nous avons fait des blitz, ce qui pour un joueur comme moi qui n’était pas encore titré (MI en 1974) était fantastique.

Bobby Fischer, Palma de Mallorca 1970

G.B. Et que représente Bobby Fischer ? 

J.B. Il représente le plus grand joueur que j’ai pu voir. Certains pensent que Kasparov est meilleur mais je préfère Bobby Fischer. Il a été champion du Monde, il a joué aux échecs d’une manière extraordinaire, sans ordinateur, sans secondant, il jouait seul ! Bobby Fischer avait des bonnes idées dans les ouvertures, notamment dans la partie espagnole. C’était le meilleur joueur du monde.

G.B. Que pensez-vous de Magnus Carlsen ?

J.B. Je ne suis pas un fan ni d’ailleurs de la plupart des jeunes joueurs d’aujourd’hui. Evidemment, ils jouent très bien mais tout est devenu superficiel avec les ordinateurs. J’aime les échecs devant l’échiquier comme on jouait encore il y quinze ou vingt ans. Je n’aime pas quand les ordinateurs aident les joueurs. Maintenant, même quelqu’un qui n’a pas de talent particulier pour les échecs peut obtenir de bons résultats.

G.B. À cette époque, on étudiait les livres. Quelles étaient vos références ?

J.B. Je ne lisais pas de livres d’échecs. Bent Larsen a fait un joli article à ce sujet qui ne comprenait pas comment j’ai pu devenir champion d’Espagne sans étudier. Avant d’être champion d’Espagne, je n’avais aucun livre d’échecs à la maison. Lorsque j’ai commencé à jouer à l’âge de 12-13 ans, j’avais deux frères aînés qui m’ont appris mais sans être de forts joueurs, je ne savais même pas qu’on pouvait roquer. Dans mon premier tournoi, je n’ai donc jamais roqué. Après le tournoi, quelqu’un m’a dit : « Dans cette position, on doit roquer. Vous connaissez le roque, n’est-ce pas ? » Moi, j’ai répondu : « Mais si, bien sûr ! » Mais en réalité, je ne le savais pas ! J’ai avant tout appris à jouer en regardant les autres jouer et analyser dans les tournois à Palma de Majorque.

Zurich 1984

G.B. À Zürich en 1984 vous obtenez une belle victoire contre Korchnoï à son apogée, il venait de jouer deux championnats du monde. Comment se sent-on après une telle victoire ?

J.B. J’ai battu Korchnoï en 1984. Mais la première partie contre lui que j’ai jouée fut dans un tournoi international à Palma de Majorque en 1972. J’ai fait nul, une très jolie partie. Voici une anecdote à ce sujet. Je jouais tout le temps b3 au premier coup. Lorsque vint le tour de jouer contre Korchnoï, comme d’habitude j’avais l’intention de jouer b3, mais cinq minutes avant la partie j’ai rencontré un ami espagnol au bar qui m’a dit :  « Juan, toi qui est un tacticien, pourquoi joues-tu b3 ? Tu devrais jouer 1.e4 ! » Je me suis dit puisque je vais perdre pourquoi ne pas jouer 1.e4 et ceci sans avoir rien préparé ! Une très belle partie comme vous pouvez le voir dans l’Informateur (14/237), une défense française.

Voici son credo : « J’ai toujours aimé la créativité mais en sachant que lorsque vous créez quelque chose de nouveau, vous pouvez parfois vous tromper. »

Basé sur les commentaires de Bellón dans « Le Joueur d’Echecs » et Ivkov dans « L’Informateur ».

Viktor Kortschnoj, dessin de Sylvain Zinser 1973

Bellon Lopez,Juan Manuel - Kortschnoj,Viktor Lvovich, Palma de Mallorca Gran Torneo-08 (12), 12.12.1972. Défense Française C00

1.e4 e6 2.c3 d5 3.f3 d4 4.e2 c5 5.b4!? b6?!

Avec l’intention de réfuter le jeu adverse. Normal 5…Cc6.

6.a4!? f6

Si 6...xb4 7.a5 et la Dame est en danger, l’idée 8.c3 suivi de 9.Ta4. GM Ivkov

7.a5 c7 8.d3 [8.bxc5!?] 8...c6 9.b5!? xa5 10.f4 d8 11.h3 a6! 12.c3 axb5 13.cxd4 d7 14.g4 c6 [14...c4!?] 15.g5 d7 16.g2 e7 17.h4

Une position déséquilibrée jugée incertaine par Ivkov.

Après 17.h4

17...0-0 18.h3 c4 19.h5 cxd3!

Malgré le jeu créatif des blancs, les noirs ont un net avantage, maintenant si 20.Dxd3 Cc5 -+

20.g3!? [20.xd3 c5-+] 20...c4 21.xa8 xa8 22.g6

L’attaque à tout prix, si 22.d5? exd5 23.exd5 xd5 24.xd7? xf3 25.xf3 a1+ 26.d1 b4+ -+ GM Bellón

22...d2+ 23.e2?

Meilleur 23.Fxd2 ou Cxd2.

23...b4 24.h6 b5!

Les blancs sont perdus.

Après 24...♗b5!

25.gxh7+ xh7 26.hxg7 xg7??

Après 26...b2+! 27.xd2 xd1 jugé peu clair à l’époque, c’est totalement perdant. 28.xe6+ (28.gxf8 a2+ 29.xd1 b3+-+) 28...g8!-+

27.f5+!!

La renaissance des blancs, ce sacrifice permet de gagner un tempo pour utiliser la colonne "g" !

27...f6

Si 27...exf5 28.g1+ f6 29.g5+ e6 30.d5# GM Bellón

28.g5+ g6 29.xe7+ g7 30.h6+!

Bellón pensait que 30.f5? était gagnant  mais 30...h8! réfute (30...exf5? 31.h7+! xh7 32.h1+ g7 33.h6#) 31.xh8 xh8 32.g1 ce5+! 33.e3 xf3 34.xf3 d1+ 35.xd1 h5+-+

30...f6

Si 30...xh6?? 31.xe6+! suivi du mat.

Après 30...♔f6

31.g7+?

Après 31.g5+!? g7 32.h6+ forçait la répétition, si 32...h7 33.f5+!+-

31...xe7 32.xf8+ xf8 33.a1?! xa1?

Après 33...b8!! 34.xd2 f4 35.xc4 xc4+ 36.e1 xe4+ 37.d2 f4+ 38.e1 f3 le Roi blanc ne peut survivre à l’attaque.

34.xa1 e5+!? 35.e3 xf3 36.xf3 a4!

C’est à nouveau l’équilibre.

Après 36...♗a4!

37.e2 d1+ 38.xd1 xd1+ 39.xd1 g6 40.c2 f4 41.f1 d6 42.b3 e5 43.dxe5+ xe5 44.f3 f6 45.xb4 d6 46.b5 c7 47.c4 h3 48.c5 b6+ 49.b4 g5 50.e2 e6 51.c4 g5 52.e2 ½-½

Après 52.♗e2 ½-½

G.B. Voilà ce qu’on appelle des échecs créatifs, dynamiques et acrobatiques !

J.B. J’ai joué une nouveauté au 5e coup, personne n’avait joué ça avant. A cette époque, on ajournait les parties. J’avais hâte d’arriver au 40e coup pour pouvoir analyser la partie et avais une position probablement gagnée mais j’ai fait une erreur en donnant échec sur une mauvaise case. A l’ajournement, j’ai d’abord mis un coup sous enveloppe, c’était peut-être la première fois que ça m’arrivait. Puis je me suis rendu compte que je m’étais trompé car je n’étais pas habitué avec la notation algébrique. Je suis allé vers l’arbitre pour lui demander de réécrire mon coup. Polugaevsky, qui avait vu la scène, a dit à Korchnoi :

- Bellón doit perdre la partie, tu dois exiger le gain ! 

Mais Korchnoï, très gentleman, a dit :

- Je veux jouer ! 

En 1984 j’ai gagné ma première partie contre Korchnoï mais après j’ai perdu plusieurs fois. Pour la petite histoire lors de la cérémonie d’ouverture j’ai dit à Pia Cramling :

-C’est un tournoi avec 24 joueurs, je suis le numéro 13 et Korchnoi numéro 1. Je vais donc jouer contre lui et cela va être la première fois de ma vie que je vais perdre dans la 1re ronde d’un open.

Pia m’a rétorqué :

-Non, tu n’es pas venu ici pour perdre!

J’ai réussi à battre Korchnoi, ce qui était très difficile, et surtout à continuer à ne pas perdre une partie dans la première ronde d’un open, c’est pourquoi j’étais tellement heureux après cette victoire. Il faut ajouter que 20 jours avant j’avais battu Mikhaïl Tal à Barcelone. L’année 1984 a été fantastique pour moi !

GB. Je suis très étonné que vous n’aviez jamais lu un livre d’échecs, aujourd’hui comment vous préparez-vous pour un tournoi ?

J.B. Bien sûr aujourd’hui j’utilise un ordinateur mais avant je jouais seul pour trouver mes coups, mes idées les plus folles dans les ouvertures. D’ailleurs, il y a quelques ouvertures qui portent mon nom. Le gambit Bellón dans l’Anglaise après 1.c4 e5 2.c3 f6 3.f3 e4 4.g5 b5!? par exemple. Maintenant lorsque je travaille avec Pia, nous avons des ordinateurs, je la seconde depuis plus de trente ans et il n’aurait pas été possible d’atteindre ce niveau sans cette technologie. J’aime étudier et préparer les ouvertures mais ce que j’aime surtout c’est étudier l’aspect psychologique de l’adversaire, analyser les ouvertures qu’il n’aime pas, surtout en ce qui concerne les adversaires de Pia. Tout a changé, il faut beaucoup plus travailler. Autrefois quand on connaissait un piège dans l’ouverture, on pouvait l’utiliser 4 ou 5 fois, maintenant après une seule partie ce n’est plus possible, l’information est instantanée, c’est terrible ! Je préférais les échecs au moment où j’ai commencé à jouer… Je ne pense pas que des légendes comme Alekhine ou Tal auraient été de forts joueurs aussi créatifs en utilisant des ordinateurs.

G.B. Avez-vous du plaisir à étudier les parties des joueurs du passé ?

J.B. Non, rien de tout cela. Je n’étudie pas dans les livres, ni les parties des joueurs du passé ! Comme Bent Larsen le remarquait, comment étais-je arrivé à mon niveau sans étudier. J’en suis moi-même étonné !

Bellón_Cramling_Lucerne_1982 001 (2)

Juan Manuel Bellón et Pia Cramling, Lucerne 1982

J’ai retrouvé ces photos d’un ami photographe (Michel Burdet) qui m’avait remis un dossier sur l’Olympiade de Lucerne 1982 et, comme par hasard, Juan et Pia étaient côte à côte ! (Georges Bertola)

G.B. Aujourd’hui vous êtes avant tout le coach de Pia ou il y a-t-il d’autres entraîneurs ?

J.B. C’est depuis 1986 que nous travaillons ensemble! Je prépare ses ouvertures. Avant que je connaisse Pia, je travaillais uniquement 1.e4. Depuis que nous sommes ensemble, j’ai changé mon répertoire pour jouer 1.d4 car je sentais que Pia comprenait mieux ce genre d’ouverture plus positionnelle, plus stratégique. J’ai changé mon style pour mieux l’aider.

G.B. Pour revenir à l’actualité, le tournoi des candidats commencera bientôt. Il y a-t-il des joueurs qui vous inspirent ?

J.B. Personne ne m’inspire dans ce tournoi. Ils font tous les mêmes choses, les mêmes ouvertures, ils sont comme des perroquets qui répètent la théorie. Je préfère suivre les parties des femmes comme ici par exemple, c’est plus intéressant. Je dois toutefois ajouter que ce sont bien entendu de très forts joueurs, si je devais jouer dans ce tournoi, je perdrais probablement toutes les parties. Mais je n’aime pas leur façon de jouer, sans véritable créativité, sans trop de talent.

G.B. Que pensez-vous du Fischer Random ou Chess 960, qui lui évite toute cette théorie, cette préparation qui rendent le jeu plus aride et s’opposent peut-être à la créativité ?

J.B. Non, pour moi, le Fischer Random ce n’est pas les échecs, je préfère les échecs classiques qui sont si merveilleux. Mon idée est d’essayer quelque chose de différent ; de ne pas savoir contre qui tu vas jouer, par exemple connaître les appariements seulement cinq minutes avant chaque ronde.

G.B. Mais cela n’est pas possible dans un tournoi fermé ?

J.B. Pour les tournois fermés, vous faites appel au « loto des rondes » en les tirant au sort juste avant le commencement. Par exemple la ronde une devient la sept, puis le lendemain la ronde deux devient la cinq et ainsi de suite. Quelque chose comme cela, pourquoi pas, qui rend les préparations beaucoup plus difficiles.

Román Torán Albero

G.B.Dans le monde des échecs, avez-vous rencontré une personnalité qui vous a marquée, pas forcément par ses talents de joueur ?

J.B. Pour moi, la personne la plus importante en Espagne fut le MI Román Torán Albero. Je l’ai connu comme joueur, président de la Fédération espagnole et journaliste échiquéen. Il m’a beaucoup aidé. Nous étions très amis et je me trouvais bien en Espagne. Depuis qu’il est décédé (2005), je ne me suis pas entendu avec son successeur, qui était un ennemi de Toran, et je vis et joue sous les couleurs de la Suède depuis 2017.

Sur le plan international, j’appréciais beaucoup le Président de la FIDE Florencio Campomanes, qui a très tôt cru en moi et a facilité ma participation à des tournois.

G.B.Pourtant Campomanes, un homme fortuné proche du dictateur philippin Ferdinand Marcos, n’avait pas une bonne réputation ?

J.B. Je sais, on associait parfois même son nom avec le mot mafia. Mais si Campomanes a fait de mauvaises choses, il a aussi réalisé de très belles choses. C’est grâce à lui que le premier Grand-Maître philippin Eugenio Torre a pu vivre plusieurs années à Madrid et participer à des tournois en Europe pour faire ses normes. Il vivait à quelques pas de Román Torán et des bureaux de la FIDE où se trouvait souvent Campomanes.

Florencio  Campomanes et Bobby Fischer 1974

G.B. À part le jeu d’échecs, avez-vous d’autres passions dans la vie ?

J.B. J’aime le sport, le football que je pratiquais étant jeune et le tennis. J’ai aussi joué au ping-pong mais pas très sérieusement. Avant tout, je vis et pense échecs.

G.B. Aujourd’hui avez-vous toujours du plaisir en jouant aux échecs, des ambitions chez les vétérans ?

J.B. J’ai été cinq fois champion d’Espagne, j’ai joué quatre championnats de vétérans en Espagne et les ai tous gagnés, trois championnats de vétérans en Suède que j’ai également gagnés. Ce genre de tournoi commence à m’ennuyer et je n’ai pas envie de jouer le championnat du Monde des vétérans. Je préfère les tournois normaux, les opens internationaux, c’est plus intéressant et je me sens encore jeune et plein d’énergie.

Pia Cramling, Anna Cramling Bellon et Juan Manuel Bellón, 2016

G.B. Comme voyez-vous l’avenir de votre fille Anna, joueuse d’échecs ?

J.B. Je ne pense pas qu’elle va devenir professionnelle comme Pia. Pour l’instant, elle a un travail intéressant dans le monde des échecs avec le streaming, très populaire en ce moment. Anna travaille 2-3 jours par semaine, principalement de nuit avec les Etats-Unis. Anna s’intéresse surtout à commenter et participer à des transmissions en direct via Internet mais cela n’est pas très adapté aux études qu’elle poursuit en parallèle.

Georges Bertola et Juan Manuel Bellón en 2020

A la fin de l’entretien je demandais à Juan Bellón s’il avait une victoire inoubliable. Il me cita celle-ci ! Son adversaire Kiril Georgiev, ancien champion du monde junior, 25 ans à l’époque et plus de 2600 Elo, était le plus fort joueur venu de Bulgarie jusqu’à l’arrivée de Veselin Topalov.

Kiril Georgiev

Basés sur les commentaires des GM Bellón et Ftanick

Bellon Lopez,Juan Manuel (2445) - Georgiev,Kiril (2605), Terrassa (4), 1990. Gambit Dame [D58]

1.d4 f6 2.c4 e6 3.f3 d5 4.c3 e7 5.g5 h6 6.h4 0-0 7.e3 b6 8.c2

« L’idée de base de ce coup est de roquer du grand côté, avec l’intention de développer une attaque sur l’aile Roi avec les pions pour tirer profit de la poussée h6. » Polougaïevsky

Après 8.♕c2

8...b7 9.xf6 xf6 10.cxd5 exd5 11.g4!?

Le début des opérations agressives sur l’aile Roi.

Après 11.g4!?

11...c5

Face à l’action aventureuse sur l’aile, cette réaction pour déstabiliser le centre est adéquate.

12.0-0-0 cxd4 13.exd4

13.xd4 ne ferait que détourner le Cavalier de l’aile Roi et 13...c6! force les blancs à prendre une décision sinon les noirs échangent sur d4 et 14.xc6?! xc6 suivi de 15…Tc8 et l’activité des pièces noires assure l’initiative.

13...c6

La poursuite du développement est plus logique que l’exemple historique 13...c8 14.g1 e6 15.d2 c6 16.b5 c8 17.h4!? xh4 18.g5 xg5 19.xg5 hxg5 20.xg5 avec quelques compensations dynamiques pour le pion sacrifié. 0-1 (57) Veresov,G-Makogonov,V Moscow 1940 URS-ch

14.h4 g6

Une autre possibilité 14...d6 15.d2 e7 16.d3 ac8 17.b1 a5 Bellón-Greenfeld (Hastings 1985/86) 18.g5!? +=; 
Instructif 14...c8 15.g5 hxg5 16.hxg5 xg5+ 17.xg5 xg5+ 18.f4 xf4+ 19.b1 f5 20.d3 b4? 21.xd5! xd5 22.xf5 fd8 23.df1 +- Pia Cramling-Viliavi-Senso (Las Palmas 1988)

15.g5 hxg5 16.hxg5

Après 16.h5?! pour piéger l’adversaire, par exemple 16...g4 (Les noirs se sont défendus avec succès dans la partie Uhlmann-Spassky (Moscou 1967) après 16...g7! créant une situation dynamique compliquée (Polougaïevsky) 17.hxg6 fxg6 18.b5?! pour amener l’autre Tour sur l’aile Roi 18...g4! et les noirs font mieux que se défendre.) 17.hxg6 gxf3? 18.g7! Bobotsov-Lehmann (Zevenaar 1961) avec une attaque décisive.

16...xg5+!

Après 16...♗xg5+!

Courageux, les noirs acceptent le sacrifice de pion même si l’ouverture de la colonne g peut devenir une source d’ennuis. 16...g7?! 17.d2 d6 18.h4 ac8 19.b1 a6 20.d3 c7 21.dh1 et les blancs ont l’initiative. ½-½ (69) Bellon Lopez,J (2463)-Hellers,F (2605) Sweden 2000

17.b1 f6

Intéressant 17...g7!? 18.a3 f6!? 19.xg5 xg5 20.b5 e7 21.hg1 f6 22.d3 h8 et les noirs consolident l’aile Roi avec un pion de plus. 0-1 (31) Bellon Lopez,J (2376)-Aravindh,C (2500) Caleta 2016; 
Douteux est 17...c8?! 18.a3 f5 19.d3 xd3 20.xd3 g7 21.e5 e7?! 1-0 (33) Cramling,P (2435)-Maric,A (2365) Belgrade 1988 22.h3! h8 23.dh1 xh3 24.xh3+-

18.d3 b4

Sur 18...g7 le GM Bellón indique le piège subtil 19.dg1 f6?! (19...d6!?) 20.xd5! xf3 21.e4 et la Dame noire n’a plus de cases. Le GM Ftacnik poursuit 21...xe4 22.xe4 fe8 23.f3 xd4 24.f6+ xf6 25.xb7+-

Après 18...♘b4

19.xg6!!

Les deux !! sont de Bellón et cela était pour le moins inattendu.

19...xc2 20.h7+ g7

Après 20...h8 21.xc2+ g8 22.dg1+ g7 23.h7+ h8 24.c2+ g8 avec la nulle car 25.h7? f6 26.e5 fe8 les noirs se défendent victorieusement, le GM Bellón López indique 27.g4?! xd4 28.h6+ f8 29.f5 xf2 30.hxg7 (30.gxg7 e1+ 31.d1 xd1+ 32.xd1 xf5+-+) 30...e1+ 31.xe1 xe1+ 32.d1 c8-+

21.dg1+ g5 22.xg5

Mais pas 22.xg5+? xg5 23.xg5 xd4 et les blancs n’ont pas de compensation pour le pion sacrifié et la perte de la qualité.

22...f6

Perd sur le champ 22...xd4?? 23.ge4+ suivi du mat.

23.h6+

Le plus matérialiste 23.xc2?! permet 23...h8! pour contester la domination des pièces blanches.

23...e7

Forcé car 23...g7?? 24.e6+ xh6 25.h1+ suivi du mat.

24.xc2

Les blancs n’ont qu’une paire de Cavaliers pour la Dame mais le Roi noir reste très exposé. Est-ce suffisant ?

Après 24.♗xc2

24...d7

Un bon coup qui empêche les pièces mineures blanches d’occuper les cases b5 et f5. Si 24...d7? 25.b5! (Bellón avec la terrible menace 26.Ff5) 25...e7 26.f5+ e8 27.c1!! et le harcèlement des pièces blanches se poursuit 27...xg5 28.d6+ d8 29.xb7+ e8 30.e1++-

25.e1+ d8 26.e5

L’autre possibilité qui mérite examen est 26.f6!? GM Bellón.

26...c7

En 2004 une partie Bellón-Chandler se poursuivit avec 26...g4!? avec ce jugement porté par le GM Chandler : Je n’avais pas trop tenu compte de la partie de Bellón-Georgiev dans ma préparation et je ne pensais pas qu’il allait répéter les coups. Je ne suis pas certain d’avoir trop préparé 26…g4 car je pensais que les noirs étaient OK dans une telle position. Bellón répondit avec le plus que douteux 27.a4? 0-1 (42) Bellon Lopez,J (2429)-Chandler,M (2508) Catalan Bay 2004 (27.h7! semble suffisant pour maintenir l’équilibre. 27...f6 (27...xd4 28.f5) 28.ee7=) 27...c8! avec l’idée d’amener le Roi sur b8 est fort.; 
Bellón analysait aussi 26...e8!? 27.d6 (27.h7!?) 27...xd6 28.xf7+ d7 29.f5+ c6 30.xd6 xd6 31.b5+ c6 32.xa7+ c7 33.b5+ c6=

27.f5 d8 28.e6!!

Après 28.b5+ b8 29.g4 a6 30.d6 axb5 31.xd8+ les blancs récupèrent la Dame mais les noirs ont l’avantage de la qualité.

Après 28.♗e6!!

28...f6! 29.xd5 fxe5?!

Faible 29...fxg5? 30.h7+ b8 31.xb7+ c8 32.g7 avec la menace 33.Tee7 +-; 
Critique 29...xd5! 30.xd5+ b8! jugé favorable aux blancs par Bellón, Ftanick poursuit (30...c6? 31.b4+ b7 32.h7+ c8 33.e2! avec la menace 34.Tc2 +-) 31.e6 fxe5 (31...c8!?) 32.xd8 xd8 33.b4 xd4 34.c6+ b7 35.xd4 exd4 36.d6 f8 37.xd4 xf2 et c’est nul.

30.h7+ b8!

Mais pas 30...d6 31.ge4#; 
Si 30...c8 31.xb7+ b8 32.a6 exd4 33.b7+ c8 34.e6 dxc3 35.f7+ b8 36.xd8 xd8 37.bxc3 avec avantage blanc. GM Bellón

31.xb7+ c8 32.e6 exd4?

Si 32...f6 33.xf8 xf8 34.f7 xf7 35.xf7 exd4 36.d5 b8 37.e2 avec avantage. GM Bellón.; Pourtant, après 32...d6!? 33.xf8 exd4! 34.e6 dxc3 les blancs n’ont rien de mieux que l’échec perpétuel 35.c7+ b8 36.b7+=

33.xd8 dxc3?

Bradant la partie mais il n’y avait plus de défense.

34.e6 f5 35.c7+ b8 36.d7 c2+ 37.xc2 xf2+ 38.c3 1-0

Après 38.♔c3 1-0

Cette partie illustre le problème de la quadrature du cercle devant lequel sont confrontés aujourd’hui les meilleurs joueurs face aux performances des ordinateurs. Le sensationnel 19.Fxg6!! amène des complications tactiques exceptionnelles mais pour paraphraser Marcel Pagnol : Une nouveauté théorique basée sur la tactique, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois !

Voici une miniature contre le GM portugais, Antonio Antunes. Elle fut jugée comme l’une des meilleures de l’Informateur 62. Juan Bellón a certainement été inspiré par le magicien de Riga dans le choix de son ouverture.

Antonio Antunes

Bellon Lopez,Juan Manuel (2460) - Antunes,Antonio (2510) Platja d'Aro Barcino, 1994. Semi-Slave [D44]

1.d4 d5 2.c4 c6 3.c3 f6 4.f3 e6 5.g5 dxc4

Caractérise le système Botvinnik.

6.e4 b5 7.a4

Un coup qui permet d’éviter d’entrer dans la grande variante 7.e5 h6 8.h4 g5 etc. et la masse de théorie qui l’accompagne.

7...b6

Critique, les noirs s’accrochent au pion de plus.

8.xf6

L’opportunité d’affaiblir la structure est logique. Pourtant une partie se poursuivit avec 8.e2 bd7 9.d5 exd5 10.exd5 b4 11.dxc6 xc6 12.b5 c5 13.0-0 b7 14.bd4 d5?! (14...c7 15.xc4 0-0=) 15.c1 c3 16.bxc3 bxc3 17.xf6! xf6 18.b5+ f8 19.xc3 avec avantage blanc. 1-0 (32) Mamedyarov,S (2767)-Kasimdzhanov,R (2657) Khanty-Mansiysk RUS 2019

8...gxf6 9.e2 b7 10.0-0 a6

Possible 10...d7!? pour accélérer le développement, par exemple 11.a5 c7 (11...a6!?) 12.a6 c8 13.d5 e5! 14.d4 b4 15.a4 avec des complications difficiles à juger. 0-1 (33) Berczes,D (2313)-Graf,A (2637) Deizisau 2005

11.d5

Sur les traces de Mikhaïl Tal qui avait poursuivi de cette façon contre Keller (Zürich 1959) dans une partie d’anthologie. Une idée logique  pour ouvrir le jeu car le Roi noir n’est pas encore en sécurité. Très optimiste selon le GM Sadler qui préfère le moins tranchant 11.b3

11...d7

La partie Tal-Keller se poursuivit avec des complications extraordinaires avec 11...cxd5 12.exd5 b4?! 13.a5 c7 14.dxe6 bxc3 15.d4 g8 16.a4+ d8 Une partie que le GM Hübner analyse sur plus de 40 pages dans « The Magic Tactics of Mikhail Tal » (New in Chess 2012). 1-0 (34) Tal,M-Keller,D Zuerich 1959.

12.d4!?

Après 12.♘d4!?

Une nouveauté. 12.dxc6 xc6 13.axb5 axb5 14.xa8+ xa8 15.d4 c6 et les noirs, toujours avec un pion de plus, ont les meilleures perspectives selon le GM Hübner.
12.dxe6 fxe6 13.d4 c5 14.h5+ d8 15.c2 b4 =+

12...c5?

Deux ans plus tard le GM portugais améliora sensiblement avec 12...cxd5! 13.exd5 c5! 14.dxe6 fxe6 15.f3 xd4 16.xb7 d8! 17.c6 0-0! 18.xd7 xd7 19.e2 h8 et les noirs ont conservé le pion de plus et contestent avantageusement l’initiative. 0-1 (30) Campos,J (2485)-Antunes,A (2540) Mondariz 1996
Après 12...d8? 13.xe6!+- si 13...fxe6? 14.h5+ e7 15.d6#

13.c6 g8

13...xc6 14.dxc6 xc6 15.axb5 axb5 16.xa8+ xa8 17.xb5 avec avantage blancs. GM Bellón

14.h5! xc6 15.dxe6!

L’avantage est déjà décisif selon Bellón.

Après 15.dxe6!

15...e5?

Un peu mieux 15...0-0-0 16.exd7+ xd7 (16...xd7 17.g4+-) 17.d5 avec net avantage. GM Bellón

16.axb5 xb5

16...axb5 17.xa8+ xa8 18.xf7+ xf7 19.d7# GM Bellón
16...d8 17.xf7+! (17.xa6!) 17...xf7 18.h5+-

17.d5! a7

Le seul coup selon Bellón car 17...d8? 18.exf7+ e7 19.fxg8#! ne sauvait pas la partie.
17...xg2+ 18.xg2 d8 19.exf7+ e7 20.fd1!+-

18.xb5 xb5

18...axb5 19.xa7 xa7 20.exf7+ xf7 21.e6+ e7 22.xf7++- GM Bellón.

19.fd1!?

19.exf7+! gagnait aussi.

19...b6

19...b8 20.exf7+ xf7 21.e6+ suivi du mat.

20.xa6!! xg2+ 21.xg2 xa6 22.xf7+ e7 23.d7+! 1-0

Après 23.♕d7+! 1-0

Une très belle miniature, de quoi sabler le champagne en mémoire de Tal.

Joyeux anniversaire Juan !

Mikhaïl Tal, Lucerne 1982
Les parties commentées de l'article

Georges Bertola

Je remercie Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles.


Publié le , Mis à jour le

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Les réactions (3)

  • rical

    L'occasion de connaitre un joueur dont la mémoire n'avait reconnu que le nom !!

  • Azimut

    Chaque article de Georges est pour nous un cadeau de Noël !
    Merci Georges !

  • Purkinje

    Triste. "C'était mieux avant ".
    Un peu aigri notre ami.