Bonjour tristesse

Le billet quotidien d'Yves Marek sur la partie majoritaire Karpov - Reste du Monde, disputée à l'occasion du Tour de France.

Yves Marek

Cette tristesse n'est pas celle de Françoise Sagan, ni celle de Peter Sagan, révélation du tour 2012, qui continue à porter le maillot vert. C'est une tristesse multiforme qui nous étreint. Quelle est cette langueur qui pénètre mon coeur ?

 

D'abord, jour de repos. Il nous manque ce tour ! La jeunesse débridée de ces coureurs enthousiastes, le chatoiement des maillots multicolores, la caravane couverte de publicités qui sont l'annonce d'autant de plaisirs dépensiers à hâter pour soutenir la conjoncture, le plaisir de découvrir à la télé qu'il y a même des endroits en France où le soleil brille en juillet, on s'y était habitués et nous en étions comme ...dopés.

Et les coureurs ne pourront même pas, profitant de cette agréable étape dans la bonne ville de Mâcon, d'autant plus hospitalière qu'elle a un excellent sénateur maire qui s'appelle justement Courtois, profiter pleinement de la ville et de son divin breuvage, sa consommation étant peu compatible avec les produits dopants - pardon! je voulais dire avec l'hygiène rigoureuse des sportifs.

 

Ce malheureux lapsus, bien sûr involontaire et fortuit, jailli des noires profondeurs de l'inconscient et des réminiscences des substances illicites chères à Françoise Sagan, est l'occasion de rappeler brièvement qu'aujourd'hui, à l'initiative d'un juge d'instruction marseillais, un coureur du Tour de France a été interpellé et que ce triste feuilleton du dopage que nous croyions aussi oublié que "ma sorcière bien aimée" et "Madame est servie" s'invite dans notre joie estivale.

Espérant que, comme l'indiquent les titres de romans de Françoise Sagan, "dans un mois, dans un an", une fois guéris nos "bleus à l'âme", nous penserons à ces épisodes avec "un certain sourire", et que nos coeurs battront à nouveau "la chamade" en voyant ces valeureux coureurs et que nous nous dirons que ce n'était qu'"un chagrin de passage". Comme cette partie contre Anatoly Karpov qui pourrait vite nous attrister si nous ne réagissons pas. Nous imaginions, guillerets, pour mettre quelque ambiance, sortir notre fou. Nous espérions que le grand Karpov sortirait le sien - plus on est de fous plus on rit, c'est connu - et voilà qu'il entame une manoeuvre dangereuse du cavalier vers c4 via d2 qui serre notre coeur.

Mais la vraie tristesse, celle qui ne nous quittera pas, c'est la décision imbécile et funeste du journal Libération de supprimer la rubrique échecs excellente et rigoureuse de Jean-Pierre Mercier. Ces quelques centimètres carrés de pure intelligence qui ont su agréger autour de ce journal toute la communauté des échecs dont c'est (c'était) Le quotidien. Sans doute n'imaginent-t-ils pas qu'il y a des centaines de Français comme moi - beaucoup vu la diffusion squelettique de la presse française - qui n'achètent que ce journal et qu'à cause de cette rubrique, commencent par cela, voire ne lisent que cela. Et ainsi, notre pays, la cinquième nation échiquéenne au monde, forte de 50.000 licenciés et dix fois plus de joueurs occasionnels n'aura plus un seul titre de presse générale dont elle se sentira proche et qui parle d'échecs.

Pourtant, pour en avoir parlé récemment avec un dirigeant du Parisien, on sait dans la presse que l'attachement à un journal, au grand dam des "grands" éditorialistes, tient souvent à quelque chose en apparence aussi futile que les mots croisés (longtemps de Michel Laclos pour le Figaro ), à une rubrique à laquelle on s'identifie. France-Soir a pu mesurer récemment que son lectorat dépendait surtout de ses pages tiercé au point que même la tentative diablement affriolante de les remplacer par des photos de playmates dévêtues n'a pas réussi à faire revenir les amateurs de juments. Patrons de Libération, Saint-Esprit de Serge July flottant sur la rédaction, David de Rothschild, qui que vous soyez, rendez-nous Jean-Pierre Mercier !

Yves Marek

auteur de "Art, échecs et mat" (éditions Actes Sud)

Anatoly Karpov | Photo : Claude Baranton (DR)
La partie après 11. Cd2