« La FFE n'a pas les moyens de ses ambitions »

C'est le constat de Laurent Vérat, directeur général de la Fédération Française des Echecs, qui fait un bilan après 5 ans à ce poste.

Quel est votre rôle à la FFE ?

Mon rôle à la la fédération française des échecs est double : je cumule les fonctions de Directeur Technique National, et celle de Directeur Général.

En quoi consistent ces fonctions ?

Le directeur technique national est le garant de la politique sportive de la Fédération, notamment par rapport au ministère de tutelle. Nous avons un contrat d'objectifs pluri-annuel avec le Ministère de la jeunesse et des sports, mais chaque année celui-ci est réactualisé en fonction des priorités définies par la ministère, par exemple l'accès des publics défavorisés à la pratique sportive, ou la plus grande présence de femmes, y compris dans les instances dirigeantes.

En interne, je siège dans presque toutes les instances. Même si je n'ai pas le droit de vote dans les corps élus (Comité Directeur et Bureau Fédéral), ma mission est d'assurer une cohérence à l'ensemble de la Fédération, et d'être en contact avec tous les acteurs au sein de celle-ci.

La fonction de directeur général, quant à elle, est plus vaste. C'est un poste extrêmement transversal, qu'il est délicat de définir tant le champ d'action est diversifié. J'ai d'abord la charge de l'organisation administrative de la Fédération, qui est une petite PME de 10 personnes. J'ai également la charge de la mise en application de nombreux dossiers, et donc des différents budgets et documents que nous devons fournir à notre autorité de tutelle et aux différents partenaires, institutionnels ou privés.

Je suis également une interface, que ce soit entre les élus de la fédération et les salariés, les représentants des clubs, des départements et des ligues. Un petit exemple concret, un inspecteur de circonscription de l'éducation nationale fraîchement nommé était opposé à la pratique du jeu à l'école. A la demande du club, je suis intervenu pour rappeler l'existence d'une convention signée au niveau national, dont le respect s'imposait.

J'interviens donc en interne, mais également avec les partenaires extérieurs, que ce soit les collectivités locales ou les partenaires, notamment BNP.

Cette double activité est passionnante, je ne sombre jamais dans la routine, mais elle est vraiment très vaste en termes de charge de travail. Même si depuis septembre 2007, l'aide de Jordi Lopez, DTN adjoint, me soulage de nombreuses tâches, qu'il assume avec beaucoup d'efficacité.

Quel est votre rôle par rapport à JC Moingt, président de la fédération ?

Pour parodier Renaud Muselier, je pourrais dire ironiquement que je fais tout et qu'il fait le reste ; ou l'inverse ! Disons qu'on travaille beaucoup ensemble et qu'on est assez différents, mais complémentaires.

Plus sérieusement, j'entretiens des liens très anciens et très privilégiés avec Jean-Claude. Il est accaparé par ses obligations protocolaires, et par le lobbying intense qu'il mène en faveur des échecs. Il essaye de faire avancer notre cause par les contacts qu'il noue, et charge à moi ensuite de traduire ça en actions concrètes.

Après 5 ans en poste, quel est votre bilan ?

Concernant la FFE, le premier indicateur est le nombre de licenciés. Il est aujourd'hui d'environ 55 000, ce qui est une progression ; ces adhérents se répartissent à part environ égale entre licences A et licences B.

Il faut aussi noter le partenariat avec la BNP, qui est le premier de cette ampleur dans l'histoire de la Fédération.

Notre organisation est également louée par de nombreuses personnes que je rencontre, en termes d'organisation et de structure. Et en la matière, le dernier championnat de France jeunes à Troyes est considéré comme un modèle ; il n'est pas si facile de réunir plus de 1.200 enfants dans une compétition, tout en conservant efficacité et convivialité

Néanmoins, après ces 5 années, mon analyse est qu'aujourd'hui, la Fédération n'a pas structurellement les moyens de ses ambitions. Notre budget n'est que de 1,8 millions d'euros, ce qui est insuffisant, pour les raisons suivantes :

  la part du financement public dans notre budget est infime, bien inférieur à celui de fédérations similaires.

  la fédération ne touche que 55% du prix des licences, tout en assumant toute leur gestion.

  Nous ne sommes pas délégataires, ce qui nous prive de nombreuses ressources, tout d'abord financières. De plus, nous n'avons pas le droit d'avoir de fonctionnaires détachés et payés par le ministère, pas le droit aux diplômes d'état pour valoriser nos formations, pas le droit au statut de joueur de haut niveau pour nos meilleurs représentants. Les échecs sont également exclus, tant que nous ne serons pas délégataires, de l'accès aux paris en ligne. Si tel n'avait pas été le cas, nous aurions probablement pu nouer un partenariat à ce sujet.

L'un des problèmes principaux des échecs est qu'il faut lutter en permanence contre des conservatismes, des chapelles, en interne comme en externe. Il faut convaincre ceux qui s'opposent au développement du jeu, et qui sont bien plus nombreux qu'on croit. D'autre part, il est difficile de faire évoluer les gens, tout changement perturbant naturellement l'équilibre qui s'est constitué de facto.

Face à ces problèmes, quelles sont vos priorités ?

En premier lieu, il est impératif de trouver le moyen de rendre notre jeu plus médiatique. Je suis persuadé que si l'on réunit certaines conditions, ca peut devenir un véritable spectacle susceptible d'intéresser une télévision (notamment via le blitz). L'ouverture vers le grand public est une condition nécessaire à notre développement.

En interne, il faut changer la perception qu'ont certains de la Fédération. Nous ne sommes pas un organe central dirigiste coupé des réalités et raisonne toujours en termes d'intérêt général. Au contraire, la Fédération a une vision d'ensemble. Il est épuisant de devoir tout stopper pour justifier tout ce que nous faisons, tout ce que nous entreprenons - je parle de « nous » en tant que responsables fédéraux collectivement -, de nos contacts avec les politiques ou les partenaires aux sélections voire même aux simples calendriers d'interclubs, par exemple.

A l'international, nous sommes très impliqués dans la campagne d'Anatoly Karpov pour la présidence de la FIDE, nous travaillons étroitement avec toute son équipe de campagne. La victoire d'Anatoly pourrait changer beaucoup de choses pour la FFE...

Et n'oublions pas la quête du statut de fédération délégataire, tâche à laquelle je vais me consacrer dès la rentrée, avec, je l'espère, des arguments nouveaux, un angle d'attaque différent, et une issue favorable...


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