Interview de Gilles Betthaeuser

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Gilles Betthaeuser

En bref

Longtemps, Maxime Vachier-Lagrave a arboré les couleurs de AOS Studley. Aujourd’hui, il s’affiche sous celles de Colliers International, mais le sponsor reste le même, Gilles Betthaeuser.

Longtemps, Maxime Vachier-Lagrave a arboré les couleurs de AOS Studley. Aujourd’hui, il s’affiche sous celles de Colliers International. La dénomination a changé, mais le sponsor reste le même, Gilles Betthaeuser. Cet amoureux du jeu, homme d’affaires puissant dans l’immobilier d’entreprise, a noué au fil des ans une relation rare avec “son champion”. Au-delà du mécénat, c’est une sublime aventure humaine qui unit le n°1 français à son soutien financier principal.

Passion d’enfance

« Mon grand-père m’avait appris à jouer. Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours joué aux échecs. C’est une passion qui remonte à l’âge de 4 ou 5 ans. J’ai ensuite joué en amateur à un petit niveau. J’ai toujours aimé ça, mais je n’y ai jamais consacré suffisamment d’assiduité pour atteindre un niveau respectable. J’ai joué en club à Lyon quand j’étais étudiant et je m’y suis remis sérieusement il y a quelques années, quand j’ai commencé à suivre Maxime. Je dois avoir aujourd’hui un niveau de 2100 Elo, ce qui me permet de comprendre à peu près comment les choses marchent dans ses parties. Il faut quand même qu’il m’explique parfois deux ou trois trucs. Entre un 2100 et un 2800, le fossé est abyssal !

Langage universel

C’est un jeu très simple, qui ne nécessite pas beaucoup de moyens. Il peut se jouer n’importe où, avec n’importe qui, dans n’importe quelles conditions. J’adore ça, jouer dans des jardins, dans des gares, dans des endroits improbables. J’ai vu des gens jouer sur des plages, dans des marchés, dans des bus, en Russie, en Chine, partout. C’est un jeu universel avec un langage universel ! Après, je trouve que c’est une extraordinaire combinaison entre une simplicité apparente et une complexité phénoménale, dans la stratégie, l’exécution, le calcul des positions, la transposition et cette dualité entre simplicité et complexité qui rend ce jeu fascinant.

Symbolique

Les échecs remontent au plus loin de notre histoire. C’est un jeu intemporel et transgénérationnel. On peut jouer à tous âges et à tous les niveaux et prendre du plaisir. Il n’y a pas besoin d’être un grand compétiteur pour s’éclater. Et puis, d’un certain point de vue, indépendamment de l’évolution des technologies, des bases de données et tout ce qu’elles ont apporté en matière de connaissance, c’est resté un jeu à dimension humaine. La dimension psychologique reste importante, comme la stratégie. L’erreur est possible. En ce sens, les échecs ressemblent à un sport. Il y a tout ce que ce jeu représente, symbolise et véhicule, alors que nous vivons dans un monde où tout est digital, intermédié, technologique. C’est une façon de connecter les gens qui, justement, s’affranchit de la technologie et qui est extraordinairement moderne. C’est un langage universel et mon sentiment est que tout le monde devrait pouvoir, savoir ou avoir envie de jouer aux échecs.

Marque des champions

Je soutiens Maxime depuis la fin de l’année 2009. Je suis un lecteur assidu d’Europe Echecs et j’ai suivi ses exploits depuis son plus jeune âge à travers votre revue. J’ai eu envie, à ma manière, d’accompagner un jeune prometteur. Je trouvais désolant qu’il n’y ait pas de joueurs de très haut niveau en France. Je l’ai fait à titre totalement désintéressé. J’ai pensé qu’il y avait quelque chose à faire avec ce garçon qui, au-delà de sa dimension échiquéenne, est absolument intéressant à connaître. La relation que nous avons pu créer est très chouette. Chacun est dans son rôle. Je l’aide au niveau de l’appréhension de ce jeu dans toutes ses dimensions, la façon de l’aborder et de se préparer, comment s’organiser et mieux gérer son temps, ne pas perdre d’énergie en se dispersant à jouer n’importe quel tournoi. Si l’on veut arriver au plus haut niveau mondial, c’est une somme de détails, plus qu’une capacité à dominer le jeu, comme ce fut le cas au temps de Kasparov. Je pense que ce n’est plus possible. Aujourd’hui, Maxime a une stabilité familiale et se sent bien dans ses pompes. Son équilibre de vie est aussi un facteur important. Et puis, dans votre revue, il n’a jamais oublié de mentionner son sponsor. Je l’ai vu grandir. Il a une élégance de vie qui le caractérise. C’est la marque de fabrique des gens bien.

N°5 mondial

C’est plus un bonheur partagé qu’un élément de fierté. Maxime a beaucoup travaillé pour arriver à ce niveau et il a surmonté des périodes difficiles. Il a su se ressourcer quand l’incertitude était là. Il a réussi à aller de l’avant. C’est la marque d’un champion ! Nous parlons parfois de la dimension égotique. Évidemment, il a un ego extraordinairement fort, mais à la différence d’autres champions, il a une intelligence supérieure à son ego. Je pense que ça va l’aider à aller plus loin. Aujourd’hui, il joue tous ses tournois pour les gagner et il a encore une marge de progression. L’objectif est le prochain Tournoi des Candidats, non pas pour y participer, mais pour en sortir vainqueur comme Karjakin l’a fait cette année. Tout est possible. Il faut juste se donner les moyens d’y arriver. S’il faut faire un effort financier, j’ai toujours dit à Maxime que je serais là pour l’accompagner. Évidemment, je n’ai pas la puissance de feu de la Russie ou d’un milliardaire américain, mais je sais aussi ce qu’il faut faire.

Grand Chess Tour

Cette initiative, portée par Malcom Pein, est un formidable tremplin pour la promotion des échecs dans le monde. L’idée de l’organiser à Paris est de permettre à Maxime de continuer à jouer ce type d’épreuves, qu’il puisse s’épanouir et soit invité. Je ne vais pas le lâcher maintenant. J’ai de plus en plus envie de l’aider, même s’il a de moins en moins besoin de moi, pour être très honnête. Au-delà du soutien financier, je pense qu’il est arrivé à un stade où il n’a plus trop besoin qu’on l’accompagne. Aujour d’hui, Maxime est devenu un homme. Si vous voulez parler de satisfaction et de fierté, je suis super content qu’il soit n°5 mondial, mais c’est l’aventure humaine qui prime.

Dynamique

Le budget du Grand Chess Tour à Paris est de 450 000 euros. En fait, je le coorganise avec le groupe Vivendi qui a acquis les droits de l’organisation. Audelà de ce tournoi ambitieux, j’ai enviede créer une initiative qui permette durablement de structurer et d’orchestrer un événement de cette nature à Paris. Et surtout, de promouvoir le jeu en essayant de trouver des âmes charitables, pour créer une dynamique. Je crois que les échecs ont besoin d’un entraînement collectif. Plus que jamais, l’union doit faire la force ! Dans cette optique, avoir

rencontré chez Vivendi des gens qui sont aussi passionnés par les échecs me laisse penser que nous avons trouvé un relais important. Ce sera le plus fort tournoi jamais organisé à Paris, avec des têtes d’affiche. Carlsen et Maxime seront présents, ainsi que Kasparov. L’idée est aussi d’organiser tout un tas de manifestations pour promouvoir la pratique du jeu. Pas simplement la compétition, mais faire valider avec Vivendi, le groupe Canal + et autres, le fait que l’on doit communiquer autour des échecs. Que l’on en parle beaucoup plus, au-delà de votre magnifique « canard ».

École Française

Nous avons une formidable opportunité pour faire de la réussite de Maxime un tremplin pour promouvoir l’excellence des échecs. Faire décoller cette école, qui mérite d’aller de l’avant. Quand on voit les résultats aux Olympiades, on se dit que c’est la première fois dans l’histoire que l’on a une équipe aussi forte. Il n’y a pas que Maxime, il y a aussi Étienne Bacrot, Laurent Fressinet et les jeunes qui sont à un super niveau. Je pense que l’on peut aller encore plus loin. Quand le talent se conjugue au travail, on arrive à produire de tels résultats. C’est simplement chouette pour tous les échecs en France.

Excellence

J’ai un autre projet : créer un centre d’excellence et d’entraînement pour la compétition pour les jeunes, en France, un peu comme le « Clairefontaine du Foot ». Je suis en train de m’organiser pour lever des fonds et structurer cette démarche. C’est possible de le faire. Il n’y pas de fatalité. Dans ce domaine, il y a beaucoup de gens qui s’intéressent au sujet. Il suffit de les trouver, de les coordonner et de faire un peu de buzz autour de ça. Avec un peu de chance, nous aurons bientôt un joueur dans le Top 3 mondial, et peut-être un jour champion du monde. C’est extraordinaire ! Pour l’instant, Carlsen est dans une autre dimension. Est-ce que Maxime peut le rattraper ? Ce n’est pas certain. En tous cas, il y a match avec tous ceux qui sont juste derrière. Après Stavanger, il vient d’enchaîner 44 parties classiques sans défaite ! C’est ce qu’il m’a dit ce matin. »

Propos recueillis par Jean-Michel Péchiné

Europe Echecs n° 666 — juin 2016

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