- Tu viens d’enchaîner les Olympiades, la Sinquefield Cup puis le Championnat d'Europe des clubs. Quel bilan tires-tu de ces tournois ?
Ce fut une opportunité d'enchaîner les parties de très haut niveau, notamment à la Sinquefield Cup. Cela m'a permis de m'étalonner et de voir ce qui s'apparente à mes limites du moment, notamment une préparation un peu juste. Mais en général je n'ai pas été satisfait de mon niveau de jeu dans ces trois tournois, contrairement à mon niveau de jeu à Bienne qui s'était achevé juste avant les Olympiades. Tout simplement trop d'erreurs et de mauvaises décisions, notamment contre Mamedyarov, Aronian, Wang Yue, Topalov, Leko... dont je n'étais plus coutumier ces derniers temps.
- Quel est ton programme d'ici la fin de l'année 2014 ?
J'ai encore un programme chargé avec des tournois à Isle of Man et à Doha, mais bien entendu mon tournoi le plus important sera ma rentrée dans le Grand Prix FIDE à Tachkent fin octobre. Il conviendra de bien débuter le cycle là-bas pour pouvoir défendre mes chances. Par la suite, en décembre, j'aurai les World Mind Games à Pékin qui est toujours un bon moment même si ce n'est pas non plus une partie de plaisir malgré les cadences rapides.
- Quels sont tes objectifs à court terme et à moyen terme ?
Je souhaite d'abord me stabiliser dans le top 10, les places sont chères mais je pense qu'avec quelques réglages je peux y appartenir sans discussion, et bien entendu les Grands Prix qui arrivent vite, et seront terminés fin mai. D'une manière où d'une autre il faut que je songe à me qualifier pour un tournoi des Candidats même si la tâche sera très compliquée, que ce soit via les Grands Prix ou la Coupe du Monde. Et d'un point de vue classement, pourquoi pas une place dans le top 5, cela ne me semble pas improbable ne serait-ce que si je parviens à avoir mon niveau de jeu de début d'année, certes contre une opposition plus relevée car sans partie "facile".
- L'équipe de France peut-elle envisager la médaille d'or lors des prochains Championnats d'Europe ou des prochaines Olympiades ?
C'est également un objectif, et cela l'était déjà cette année. L'année dernière, notre médaille d'argent m'a agréablement surpris mais cette année nous avions sans conteste une équipe qui pouvait l'emporter, et le match contre la Chine nous a laissé beaucoup de regrets puisqu'avec deux positions très avantageuses pour Etienne et moi-même, et deux positions solides pour Laurent et Romain, nous avions largement nos chances de remporter ce match et de jouer un dernier match pour la médaille d'or. Par ailleurs, Laurent et moi-même n'étions clairement pas au meilleur de notre forme. Même si c'est très compliqué à réaliser, si une année prochaine nous arrivons tous à notre meilleur niveau, nous sommes parmi les favoris.
- Bientôt se déroulera le Championnat du monde. Quels sont les points forts de chaque adversaire, et ses éventuelles faiblesses ?
Le point fort de Vishy est sa préparation dans les ouvertures. Malgré tout, le répertoire de Magnus avec les noirs est extrêmement pointu et il est très difficile de le prendre à défaut avec les blancs. Vishy n'aura que très peu d'opportunités d'emporter une partie puisque Magnus ne fait que très peu d'erreurs, et il devra donc saisir sa chance, mieux que l'année dernière où il aurait dû être plus "au taquet". Surtout que même si cela est peut-être un peu moins vrai ces derniers temps, Magnus ne laisse que rarement passer une opportunité de l'emporter, aussi mince soit-elle de prime abord.
- Quel est ton pronostic pour ce match ?
Victoire de Magnus, 6.5-4.5.
- Fabiano Caruana a réalisé des performances exceptionnelles récemment. A t-il franchi un palier et est-il la menace la plus sérieuse pour Carlsen ?
Forcément. Fabiano a toujours été un des adversaires les plus dangereux pour Magnus mais a acquis une certaine stabilité et est dans une spirale vertueuse de confiance qui ne peut qu'aider son niveau de jeu. Une série comme celle de la Sinquefield Cup ne peut intervenir par hasard et est le fruit d'un énorme travail de sa part. A cet instant, c'est la menace la plus sérieuse pour Magnus et il ne nourrit aucun complexe face à lui.
- Quelles sont les différences entre le haut niveau (les Grands Maîtres) et l'élite mondiale dont tu fais désormais partie ?
Qu'il s'agisse du niveau de préparation théorique, du jugement des positions, de la profondeur de calcul..., ce n'est simplement pas le même jeu. Et il faut encore que je m'améliore pour me considérer comme faisant réellement partie de l'élite mondiale, puisque par exemple ma préparation dans les ouvertures n'est pas tout le temps au point, seulement par périodes.
- Quelles sont tes méthodes d'entraînement ? Travailles-tu avec des secondants ? Outre la préparation des ouvertures, travailles-tu également tactique, finales, etc ?
Je travaille en priorité les ouvertures, et dorénavant l'utilisation des logiciels est indispensables tant ils sont performants. Mais il m'est également utile de travailler certaines variantes et positions avec un secondant, un sparring partner... Mon travail sur les finales est plus ou moins terminé désormais même si quand une partie débouche sur une finale intéressante je l'analyse avec plaisir. Pour la tactique, je me conserve en forme en résolvant des exercices, soit aussi rapidement que possible (par séries), soit des positions réellement compliquées qui me mettent à l'épreuve. De plus, la préparation dans les ouvertures de nos jours implique évidemment la transition avec les milieux de jeu, voire les finales typiques qui peuvent découler de l'ouverture en question, ce qui rend la préparation dans les ouvertures un travail plus universel qu'à d'autres époques. En effet, tout le monde a les mêmes outils et pour faire la différence, il faut réussir à être en terrain plus connu après l'ouverture.
- De quelles aides bénéficies-tu ?
J'ai un sponsor depuis quelques années, il s'agit d'AOS Studley, une société spécialisée dans l'immobilier. J'ai la chance que Gilles Betthaeuser, son PDG, soit un véritable passionné d'échecs - il passe me voir pendant les tournois dans la mesure du possible. L'aide que j'ai reçue depuis le début de ce sponsoring m'a été très précieuse, que ce soit pour travailler avec mes coachs et secondants, m'acheter le bon matériel informatique... J'ai également eu la chance d'avoir sa confiance continuellement, même (et surtout !) quand les résultats n'étaient pas au rendez-vous.
- Est-il difficile de se faire inviter dans des grands tournois ?
Cela dépend du classement. Une fois rentré dans le top 10 les invitations se sont enchaînées et outre la Sinquefield Cup je vais également jouer à Wijk aan Zee l'année prochaine. Ce qui fait qu'avec les Grand Prix où je me suis qualifié, mon calendrier est presque complet jusqu'à juin prochain ! Une place dans le top 10 est donc une bonne garantie à priori, mais sinon il faut faire ses preuves dans ces tournois très relevés. Mais évidemment c'était très compliqué pendant un certain temps d'obtenir de telles invitations et j'ai donc un certain déficit d'expérience que je m'efforce de combler.