Compte-rendu de la commission de discipline

Triche à Khanty-Mansiysk: Les 3 joueurs accusés condamnés en 1ère instance. Les éléments clé de l'audience et, en exclusivité, les attendus de la décision.

Comme prévu, la réunion tant attendue de la commission de discipline a commencé à 10h30, dans les salons d'un hôtel parisien, en présence d'une trentaine de personnes.

Les articles précédents
  11 mars 2011: La Fédération Française, déboutée en référé, attend la suite
  26 février 2011: La Fédération Française intente une action disciplinaire

L'affaire en quelques dates (selon les témoignages)

  du 19 septembre au 4 octobre 2010 Olympiade de Khanty-Mansiïsk (Russie), jours de repos les 26 septembre et 2 octobre 2010.
  le 27 septembre 2010 découverte d'un texto compromettant par Joanna Pomian.
  le 30 septembre 2010 Joanna Pomian informe Laurent Vérat qui avertit Jean-Claude Moingt.
  le 1er octobre 2010 Jean-Claude Moingt, à Khanty-Mansiïsk, tente d'obtenir un flagrant délit pendant le match de la France contre l'Ukraine, mais sans y parvenir.
  le 2 octobre 2010 pendant la journée de repos, Jean-Claude Moingt exige la sortie de Sébastien Feller de l'équipe de France. Arnaud Hauchard annonce aux autres joueurs de l'équipe que Feller est malade.
  le 11 octobre 2010 réunion entre la Fédération Française des Echecs, Sébastien Feller et Arnaud Hauchard au siège de la FFE.
  le 05 janvier 2011 au cours d'une séance d'entraînement, Arnaud Hauchard avoue la triche à Maxime Vachier-Lagrave après que celui-ci ait reçu un appel de la FFE. Puis Maxime avertit Laurent Fressinet.
  le 11 janvier 2011 déjeuner avec Romain Edouard, Maxime Vachier-Lagrave, Laurent Fressinet et Arnaud Hauchard, où Arnaud reconnait qu'il y a eu triche, mais qu'il n'a eu qu'un rôle passif.
  le 19 janvier 2011 la Fédération Française des Echecs publie un communiqué pour révéler l'affaire de la triche.
  le 19 mars 2011 réunion de la commission de discipline à Paris.

Le compte-rendu de la commission de discipline
Étaient présents 3 groupes distincts :
  les 4 membres de la commission de discipline. Ils auraient dû être 5, mais un des membres est excusé pour raisons personnelles. C'est eux qui jugeront de la culpabilité des mis en cause, et d'une éventuelle sanction.
  La partie qui a engagé l'action, en l'occurrence le comité directeur de la FFE. Sont présents Jean-Claude Moingt, Président de la Fédération, Joanna Pomian vice-présidente, Léo Battesti, Christian Cureau. Les deux premiers présentent la qualité d'être également témoins, aussi est ce Léo Battesti qui s'exprimera au nom de la FFE. Sont également présents, Laurent Vérat (Directeur Général), Jordi Lopez (directeur technique adjoint), et l'avocat de la Fédération Française des Echecs, Me Nicolas.

  Les défendeurs : les 3 joueurs mis en cause (Sébastien Feller, Arnaud Hauchard et Cyril Marzolo) ne sont pas dans la salle, mais ils sont représentés par leurs conseils respectifs: Maîtres Charles Morel, Anthony Bem et Hadrien Gillier.

L'avocat d'Arnaud Hauchard excuse l'absence de son client en raison de son état psychologique fragile, attesté par un certificat médical.

La commission de discipline. Photo @ Yann Buisson

Le Président Antoine Canonne expose le déroulement de la journée:

La matinée sera consacrée à l'exposé des faits par l'accusation, auquel la défense répondra.

Dans l'après-midi, la commission auditionnera les personnes qu'elle a choisi d'entendre comme témoins.

La Commission de Discipline a choisi de faire appel à des témoins. Ceux-ci sont, comme indiqué ci-dessus, Jean-Claude Moingt et Joanna Pomian, Laurent Vérat et Jordi Lopez, mais également les membres de l'équipe de France présents aux Olympiades: Maxime Vachier-Lagrave, Laurent Fressinet, Vladislav Tkachiev et Romain Edouard, ainsi que Pavel Tregubov et Thal Abergel, présents à Khanty-Mansiysk comme capitaines d'équipes étrangères. M. Canonne annonce que Maxime Vachier-Lagrave et Romain Edouard sont présents, Laurent Fressinet et Pavel Tregubov ont envoyé une lettre. Vladislav Tkachiev et Thal Abergel n'ont pas donné de nouvelles. Les textes ne contraignaient pas les personnes à témoigner si elles ne le souhaitent pas.

La procédure commence avec l'examen de la demande de renvoi présentée par les défenseurs. La commission la rejette au motif que la prochaine tenue du Championnat d'Europe à Aix-les-Bains ne permet pas de trouver de date convenable.

Les accusations de la FFE

Son 1er argument est juridique : il s'agit de savoir si la commission de discipline est compétente pour juger l'affaire. Pour la FFE, la commission est évidemment compétente, comme le reconnaissent les textes (art. 2-2-1 du règlement). Elle peut donc juger valablement les 3 joueurs.

Le 2e argument concerne les faits eux-mêmes. Selon la FFE, la triche est établie par la reconnaissance par des faits lors d'une réunion entre les joueurs et les dirigeants le 11 octobre 2010, et elle est corroborée par la facture détaillée du portable qu'utilisait Cyril Marzolo. Durant les Olympiades, près de 200 sms ont été envoyés à Arnaud Hauchard et Sébastien Feller. Ces échanges n'avaient lieu que les jours où Sébastien Feller jouait, pendant les parties, avec plus d'une vingtaine de SMS par partie envoyés par Cyril Marzolo.

La triche est donc, selon l'accusation, établie grâce aux éléments ci-dessus. Il s'agit d'une atteinte très grave à l'éthique sportive qui mérite d'être sanctionnée.

Après l'exposé de l'avocat, Léo Battesti, porte-parole de la FFE dans cette affaire, fait un plaidoyer pro domo (pour sa propre cause). Il souligne que la FFE n'avait aucun intérêt à dénoncer ses propres joueurs et il rend un hommage appuyé au courage de Jean-Claude Moingt et de Joanna Pomian. Il conclut en mettant en cause le cynisme des joueurs.

Les représentants de la FFE

Les arguments de la défense

Arnaud Hauchard, représenté par Maître Bem

Arnaud Hauchard (GM)

Selon lui, le rapport d'instruction établi par Jean-Luc Hinault ne contient aucune preuve de la tricherie alléguée. C'est écrit 6 fois dans le rapport de l'instructeur fédéral. Le Procès-verbal de la commission de la FFE qui a auditionné les joueurs au retour des Olympiades le 11/10 n'est, selon lui, que mensonges.

De plus, la FFE est à la fois celle qui se plaint et celle qui fournit les preuves, ce qui laisse planer un doute sur la véracité.

Sur l'aspect juridique, voici les arguments de l'avocat d'Arnaud Hauchard :
  les factures détaillées des communications entre Cyril Marzolo et Arnaud Hauchard ne sont pas des preuves recevables. Elles sont couvertes par le secret de la correspondance. Il souligne qu'en les utilisant, Madame Pomian tombe sous le coup de l'article 226-15 du code pénal, relatif au secret des correspondances.
  Le courrier de l'instructeur montre un parti-pris, puisqu'il est demandé à Arnaud Hauchard de donner des arguments "pour [sa] défense", comme s'il était présumé coupable.

Cyril Marzolo, représenté par Maitre Gillier
Il commence par souligner que son client est lui aussi dans un état psychologique difficile suite à cette affaire. Il s'attaque d'abord aux éléments constitués des 4 attestations (Pomian, Moingt, Vérat, Lopez) et des supposés aveux des joueurs.
  Le sms suspect a été vu par Madame Pomian le 27/09 et elle n'a prévenu le Directeur Général de la FFE, Laurent Vérat, que 3 jours après, le 30/09; il s'interroge sur les raisons d'un tel délai. De plus, elle a allégué que Marzolo ne travaillait plus pour elle, ce qui est faux selon Me Gillier. Ces fausses accusations mettent en cause la véracité de son témoignage.

Cyril Marzolo (MI)

  Outre l'attestation de Madame Pomian, les 3 autres attestations constatent uniquement que Madame Pomian a fait état de soupçons de triche.
  Quant aux "prétendus" aveux, ils n'ont pas été signés par les joueurs. L'avocat souligne qu'il aurait pourtant été aisé, à l'issue de l'audition, de faire signer une sorte de procès-verbal aux personnes présentes.

Enfin, il conclut en remarquant que Cyril Marzolo n'a jamais été interrogé par l'instructeur fédéral. Il n'existe aucune preuve que durant les parties de Sébastien Feller, Cyril Marzolo analysait les dites parties avec un ordinateur.

L'avocat de la FFE intervient brièvement pour rappeler que Marzolo a été convoqué par l'instructeur, et qu'il n'a pas répondu.

Antoine Canonne rétablit l'ordre en donnant la parole à Maître Morel, représentant de Sébastien Feller.

Sébastien Feller, représenté par Maître Morel

L'avocat commence par souligner qu'il n'est pas là pour défendre une quelconque triche : "Nous ne sommes pas les avocats de la triche".

Comme ses collègues, il commence par s'attaquer à la procédure. Il s'agit de savoir si selon les textes en vigueur, la commission est compétente. Ce n'est pas le cas de son point de vue, les Olympiades n'étant pas organisées par la FFE et ne se déroulant pas sur le territoire français. Ceci justifie à ses yeux l'incompétence de la commission de discipline.

Sébastien Feller (GM)

Un autre point est soulevé : en faisant un communiqué, la FFE a jeté en pâture le nom des joueurs, contrairement à ses propres règlements et aux principes du droit. De plus, d'autres communiqués, repris dans le monde entier, ont mis en cause les joueurs et leur ont causé un préjudice considérable.

Il ironise ensuite sur la conception variable de la présomption d'innocence de Léo Battesti, évoquant ainsi la supposée triche d'un joueur corse lors des Championnats de Paris, ce qui provoque l'ire du dirigeant corse, et un vif échange les oppose avant qu'Antoine Canonne ne ramène le calme.

Selon Maître Morel, l'affaire de triche ressemble à l'affaire Renault : on met la pression sur les joueurs, on jette leur nom en pâture et on ne vérifie qu'ensuite la véracité des accusations.

Il justifie la non-réponse de Sébastien Feller à Jean-Luc Hinault, l'instructeur fédéral. Cette lettre ne contenait aucune accusation précise, il ne pouvait donc pas se défendre.

Le Procès-verbal du 11/10 (jour de la réunion au siège de la FFE des dirigeants et de Sébastien Feller et Arnaud Hauchard) est plein de contradictions selon lui et les sms, comme les factures détaillées, sont couvertes par le secret des correspondances, comme l'a établi le juge des référés et ne peuvent donc pas être évoqués.

Il met en doute la véracité du témoignage de Madame Pomian, allant même jusqu'à la qualifier de "faussaire". Avant même le début des Olympiades, celle-ci consultait les textos du téléphone de Cyril Marzolo.

L'après-midi a été consacré à l'audition des témoins. Selon la procédure en vigueur, seuls les membres de la commission étaient autorisés à interroger les témoins, les 2 parties ne pouvant intervenir pour interroger les témoins.

 

Les auditions

L'audition de Joanna Pomian

JCM et Mme Pomian. Photo @ Yann Buisson

La commission a d'abord demandé de préciser la date à laquelle elle avait découvert les faits. C'est le lundi 27 septembre 2010 qu'elle a pris connaissance du texto reçu par Cyril Marzolo, qui était passé à son domicile lui remettre des papiers. Les relations entre elle et Cyril Marzolo sont complexes : elle le connait depuis 2003, sa famille l'a hébergé pendant un temps et elle lui a trouvé un travail. Il a en effet travaillé au sein de la société de Madame Pomian, d'abord à temps partiel et ensuite à temps complet. Le contrat de travail a pris fin et Cyril Marzolo s'est retrouvé au chômage. Elle l'a réembauché en novembre /décembre 2010.

Le travail de Cyril Marzolo était à temps partiel puis à temps plein à partir de 2009; il s'agissait d'un travail de classement de papiers, de retranscription d'entretiens et de calcul de T.V.A..

Le président a ensuite interrogé Madame Pomian sur la ligne téléphonique payée par elle mais utilisée par Cyril Marzolo. Elle précise qu'il s'agissait pour elle d'aider Cyril Marzolo, en proie à des difficultés financières et "blacklisté" chez les opérateurs de téléphonie mobile. C'est la raison pour laquelle elle a souscrit l'abonnement à son nom.

La commission l'a également interrogée sur le délai entre la découverte du sms (le 27/09), et la date à laquelle elle a prévenu la Fédération.

Elle se justifie en invoquant à la fois des raisons professionnelles (elle devait passer un entretien important le mardi 28), et des raisons d'éthique. La situation était complexe, elle a hésité devant la gravité des faits.

La question suivante a pour objet de savoir comment elle a su que les textos étaient destinés à Sébastien Feller. Sa réponse est qu'elle savait que les 2 joueurs étaient très liés, par exemple, elle a été sollicitée pour aider à installer l'ordinateur de Sébastien Feller chez Cyril Marzolo. Elle fait également état de rumeurs qu'elle a entendu aux Championnats de Paris 2010 sur d'éventuels soupçons de triche. A l'occasion de cette compétition, Feller et Marzolo avaient lourdement insisté pour être hébergés par Madame Pomian et Feller se montrait très confiant en ses chances de victoire finale.

Plutôt que l'affaire d'espionnage chez Renault, elle compare sa situation à celle du docteur Irène Frachon qui a révélé le scandale du Mediator. Antoine Canonne, médecin de profession, lui fait remarquer qu'une affaire de triche n'a que peu de rapports avec une affaire ayant causé plusieurs centaines de morts.

Laurent Vérat

Son audition est assez brève; le 30 septembre, Madame Pomian l'a contacté et lui a montré les relevés téléphoniques de SFR. Au vu des informations accessibles sur le site Internet de SFR il lui est apparu de manière évidente que la triche était établie.

Jean-Claude Moingt

Le président de la Fédération Française des échecs se trouvait en Russie pendant les Olympiades de Khanty-Mansiysk, mais le congrès de la Fide auquel il participait était à 10 minutes de taxi de la salle dans laquelle se jouait les Olympiades. Il n'a pas eu l'occasion de prendre un seul repas avec l'équipe de France.

Il a été averti du soupçon de triche par Laurent Vérat le jour du match contre la Géorgie. Le lendemain il a espionné Arnaud Hauchard, dans l'espoir de le prendre sur le fait. Selon Jean-Claude Moingt, Arnaud Hauchard transmettait les coups en se positionnant successivement derrière des échiquiers pour indiquer la case d'arrivée de la pièce à jouer. N'ayant pas réussi à prendre les joueurs sur le fait, M. Moingt a demandé au capitaine de l'équipe de France Arnaud Hauchard de sortir Sebastien Feller pour le dernier match.

La commission l'interroge ensuite sur les conditions de sécurité des Olympiades, notamment pour savoir si les joueurs étaient fouillés. Le Président de la FFE explique que les gens devaient passer sous des portiques, mais il s'agissait de rechercher des armes ou des explosifs. On pouvait librement entrer avec son téléphone portable.

On lui demande ensuite pourquoi il n'a pas averti l'arbitre de la compétition de ses soupçons. Il répond en expliquant que la situation est parfois délicate en Sibérie et qu'il ne sait pas ce qu'il serait advenu de la délégation française si l'affaire avait été rendue publique. Il a averti, sans donner les détails de l'affaire, Roberto Rivello, le président du comité d'éthique de la Fide, lors de son retour à Moscou (alors que se disputait la dernière ronde des Olympiades), qui lui a conseillé de traiter l'affaire en interne.

Jean-Claude Moingt conclut en expliquant que les rumeurs sur une éventuelle mésentente entre lui et Sébastien Feller sont infondées, citant notamment le message de félicitations qu'il lui avait adressé sur son "mur" Facebook après le championnat de Paris.

Romain Edouard

Dans son témoignage, le jeune membre de l'équipe de France précise qu'il n'a rien observé d'anormal dans le comportement de Sébastien Feller durant la compétition, il ne se levait pas très fréquemment. La commission se fait ensuite préciser les conditions matérielles des Olympiades. Romain Edouard explique que les joueurs pouvaient avoir leur téléphone sur eux et pouvaient le rebrancher dès qu'ils sortaient de l'aire de jeu.

Il revient ensuite sur la dernière ronde. Cette dernière ronde était précédée d'une journée de repos. La veille de ce jour de repos l'équipe de France avait perdu contre l'Ukraine. La composition de l'équipe, qui devait être déposée dans la matinée de la journée de repos, a été faite comme d'habitude en concertation avec les joueurs et le capitaine. Romain Edouard devait jouer au 3e échiquier avec les pièces blanches. Il sort le soir en compagnie de Maxime Vachier-Lagrave et rentrent tard. Il se rend compte qu'Arnaud Hauchard a tenté de le joindre. Le lendemain (journée de repos), il constate avec surprise que selon le site officiel, il joue au 4e échiquier avec les pièces noires. Il va alors voir Arnaud Hauchard afin d'obtenir des explications. Ce dernier le renvoie vers Jean-Claude Moingt et explique que Sébastien Feller a été malade. Romain s'est demandé s'il ne s'agissait pas d'une simulation de Sébastien Feller, celui-ci cherchant ainsi à assurer sa médaille d'or au 5e échiquier.

Début janvier 2011, Romain apprend l'accusation portée par la FFE. Il convient d'un rendez-vous avec le Président de la Fédération. Dans l'intervalle, il déjeune à Paris en compagnie de Maxime Vachier-Lagrave et Arnaud Hauchard. Au cours du déjeuner, ce dernier leur avoue avoir triché.

Quant au niveau de jeu de Sébastien Feller durant la compétition, il a remarqué que ce dernier était en bonne forme, mais les coups joués n'établissent pas qu'il y ait eu triche, un fort Grand-Maître peut jouer ce type de coups.

Maxime Vachier-Lagrave et Romain Edouard. Photo @ Yann Buisson

Maxime Vachier-Lagrave

Interrogé également sur le niveau de jeu de Sébastien Feller, Maxime reconnaît avoir été impressionné par la partie disputée par celui-ci contre l'Anglais David Howell. Mais selon lui, ce sont des coups "trouvables" par un fort GMI, et une partie ne suffit pas à prouver quoi que ce soit.

Interrogé par la commission, il précise qu'avant le début des rondes, Sébastien Feller confiait son téléphone au capitaine Arnaud Hauchard.

Il a, tout comme Romain Edouard, été très surpris par la soudaine indisposition de Sébastien Feller lors de la dernière ronde. Il souligne également que durant la compétition, Arnaud Hauchard, qu'il connait bien puisqu'ils collaborent depuis 2003, était extrêmement tendu, même si c'est une personne qui a toujours tendance à stresser pendant un tournoi. Tout comme Romain Edouard, c'est le 5 janvier 2011 qu'il a été informé de "l'affaire". Alors qu'il se préparait en compagnie d'Arnaud Hauchard pour le tournoi de Wijk an Zee, Jordi Lopez l'a appelé. Informé de la présence d'Arnaud Hauchard, Jordy Lopez a alors expliqué à Maxime qu'il le rappellerait plus tard. Juste après cet appel, Arnaud Hauchard a alors avoué de lui-même à Maxime qu'il y avait eu triche durant les Olympiades, mais qu'il n'y avait pas participé activement, qu'il avait juste fermé les yeux. Maxime Vachier-Lagrave prévient alors Laurent Fressinet.

Laurent Fressinet

Il ne peut être présent, mais a envoyé son témoignage par email à la commission de discipline. Il n'a rien remarqué d'anormal durant les Olympiades, selon lui Arnaud Hauchard était aussi tendu que d'habitude. Il a reçu un appel de Jean-Claude Moingt fin décembre 2010, qui souhaitait le rencontrer. Ils conviennent d'un rendez-vous le 8 janvier 2011. Le 6 il est averti par Maxime des aveux que vient de lui faire Arnaud Hauchard. Il est furieux d'être averti plus de 3 mois après les faits.

Il décide alors d'examiner toutes les parties (à partir du 12e coup) de son coéquipier durant le tournoi à l'aide du logiciel "Firebird", le moteur à la mode chez les GMI. Il s'aperçoit que dans deux parties (contre la Russie et la Géorgie), Sébastien Feller a systématiquement joué le 1er choix du moteur d'analyse, que contre Howell il n'a dévié qu'au 37e coup pour faire une répétition de coup lui permettant de passer le contrôle de temps.

A l'issue de ces témoignages, un incident de procédure oppose les 2 parties. La FFE veut soumettre à la commission un témoignage écrit d'une centaine de pages de Maxime Vachier-Lagrave, transcription de ses conversations sur MSN avec Arnaud Hauchard. La défense s'y oppose vigoureusement, arguant du fait qu'elle n'a pas eu le temps d'examiner cette pièce. Le président rejette cet élément, expliquant que la commission n'a pas le temps matériel de l'examiner. Maxime reprend la parole pour signaler qu'il avait mis la pièce à disposition la semaine précédente, mais que des problèmes matériels ont empêché la bonne réception.

C'est alors le temps pour chaque partie de présenter ses conclusions, avant que la commission ne se retire pour délibérer.

Maître Bem. Photo @ Yann Buisson

Les conclusions des parties

Point de vue de la FFE, représentée par Me Nicolas
La triche est parfaitement avérée :
  Tous les témoignages des dirigeants de la FFE vont dans le même sens.
  Tous les membres de l'équipe de France témoignent aussi et leur version corrobore celle de la FFE.
  Le relevé des communications téléphoniques le confirme : les SMS n'étaient envoyés que pendant les parties de Sébastien Feller.

La FFE demande une sanction exemplaire.

Point de vue de Cyril Marzolo, représenté par Maitre Gilliet
  Les attestations fournies sont contradictoires.
  les joueurs de l'équipe de France n'ont rien remarqué de suspect durant le tournoi.
  Les témoignages sont flous, ainsi, selon les versions, Sébastien Feller avait ou non son téléphone sur lui durant les parties.
  Les éléments fournis par l'accusation ne prouvent pas qu'il y ait eu triche.

Point de vue de Sébastien Feller, représenté par Maitre Morel
  Les factures de téléphone doivent être écartées, ce ne sont pas des preuves utilisables comme l'a jugé le juge des référés.
  Le numéro de téléphone qu'appelait Cyril Marzolo n'était pas celui de Sébastien Feller, mais celui de son père. Et il n'est pas prouvé que le téléphone était bien en Russie pendant la compétition.
  Grâce à l'interface Internet, Madame Pomian pouvait elle aussi envoyer des sms sur la ligne en question.
  Le contenu des SMS ne pouvant être établi et les factures détaillées devant être rejetées, il ne reste que les attestations. Or il ne s'agit que de déclarations qui ne constituent pas des preuves.
  Les sms n'étaient pas envoyés que pendant les parties, ainsi des échanges ont eu lieu lors de la journée d'ouverture.
  Il est surprenant que les soupçons de Madame Pomian se soient portés immédiatement sur Sébastien Feller et qu'elle n'ait pas pensé à Maxime Vachier-Lagrave, entraîné par Arnaud Hauchard.

Alors que la FFE a pu exposer sereinement ses arguments, la défense a été interrompue à 3 reprises par des membres de la FFE qui réagissaient vivement aux arguments des représentants des joueurs.

Le verdict

La commission relève que les témoignages concordants ainsi que l’évidence de la multitude de messages envoyés par M Marzolo pendant la durée des parties de l’olympiade (environ 150 vers le téléphone de M Feller, environ 30 vers le téléphone de M Hauchard) ont été pris en compte. « La commission relève qu’un tel nombre d’envois vers un joueur en train de jouer constitue une faute contre l’éthique de la part d’un joueur, maître international lui-même, qui ne peut que connaître les règles en la matière. La commission considère qu’il y a faute contre l’éthique pour l’émetteur, que celui-ci ait l’intention d’aider illicitement ou au contraire de nuire au receveur en cherchant à le faire prendre. »

La commission relève aussi que « la qualité sans faille de nombreuses parties de M Feller, premier choix du logiciel pour l’ensemble des coups joués (et non pour un grand nombre de coups mais pas tous, ce qu’on attendrait d’un joueur à 2650 elo), en particulier la partie de la ronde 5. »

La commission relève encore une situation de « négligence grave » et s’en émeut au point d’en faire état dans ses conclusions. La commission considère [concernant Madame Pomian] que « prévenir le président fédéral était une priorité. »

La Commission fédérale de discipline, après en avoir délibéré, statuant publiquement et en premier ressort:

Concernant Monsieur Marzolo : Considère que l’incrimination de faute contre l’éthique sportive est caractérisée, et prononce une suspension de licence (règlement disciplinaire, article 3.2. 2/e) d’une durée de cinq ans ferme.

Concernant Monsieur Feller : Considère que l’incrimination de faute contre l’éthique sportive est caractérisée, et prononce une suspension de licence (règlement disciplinaire, article 3.2. 2/e) d’une durée de cinq ans, dont 3 ans ferme, suivi si accord de l’intéressé et de son représentant légal de 2 ans d’accomplissement d’activités d’intérêt général au bénéfice de la FFE ou d’une association sportive choisie par elle. (disposition prévue à l’article 3.2.2, dernier alinéa.

Concernant Monsieur Hauchard, capitaine et sélectionneur de l’équipe de France, considère que l’incrimination de faute contre l’éthique sportive est caractérisée, mais pas de même nature, à savoir comportement non-conforme à ce qu’on doit attendre d’un capitaine soucieux de l’éthique et de la réputation de l’équipe de France, à savoir,

(1) quitter et revenir itérativement dans la zone de jeu, 

(2) étant informé des pratiques de MM Marzolo et Feller selon les témoignages dignes de foi et concordants : ne pas y avoir mis fin,

(3)  ne pas avoir provoqué de réunion de l’ensemble de l’équipe en présence du président fédéral dès la suspicion connue.

Elle prononce un blâme et une interdiction d’exercer toute fonction de capitaine et de sélectionneur au titre de la fédération ou d’un club affilié à la fédération, à titre définitif.  (Règlement disciplinaire, article 3.2. 2/c)

La commission a souligné qu'elle a tenu compte de l'âge de Sébastien Feller dans la peine choisie.

Cependant, Maître Morel a d'ores et déjà annoncé qu'il allait faire appel de cette décision. Episode suivant lors de la commission d'appel.

L'avocat de Cyril Marzolo, Maître Hadrien Gillier, nous a indiqué (le 22 mars) que son client faisait également appel.

Selon le règlement qui se trouve sur www.echecs.asso.fr/Reglements/131.pdf:

Art 7.3 : « Lorsque l'appel émane de la personne poursuivie, la sanction prononcée en première instance ne peut être aggravée. »

Autre point, dans le même article:

« Sauf décision contraire dûment motivée de l'organe disciplinaire de première instance, l'appel est suspensif. »

Finalement, Sébastien Feller jouera le Championnat d'Europe d'Aix-les-Bains, qui débute le lundi 21 mars 2011, la suspension ne prenant effet que 10 jours après que la décision lui ait été officiellement notifiée. Les 10 jours correspondent au délai que Feller a à sa disposition pour faire appel.

Selon le règlement adopté en 2009, la FFE payera les frais d'hôtel de Sébastien Feller à Aix-les-Bains, comme cela est prévu pour tous les + de 2600 Elo français.

Le système de triche

Selon Jean-Claude Moingt, le système de triche révélé lors de la réunion du 11 octobre 2010, était le suivant:

Cyril Marzolo envoyait des SMS avec des numéros de téléphone (en fait des coups sous forme codés).

Les deux premiers chiffres toujours 06

Les deux suivants: le numéro du coup

Les 5èmes et 6èmes chiffres: la case de départ

Les 7èmes et 8èmes: la case d'arrivée

Et enfin: deux chiffres sans importance.

Par exemple: 06 01 52 54 37, 06 01 57 55 99, 06 02 71 63 84, 06 02 67 65 43 sont les codes pour les coups constitutifs du gambit letton (1.e4 e5 2.Cf3 f5).

C'est en fait la notation internationale du jeu par correspondance : http://fr.wikipedia.org/wiki/Notation_internationale

Arnaud Hauchard conservait les 2 portables sur lui, le sien et celui de Sébastien Feller. Il les consultait au bar puis revenait dans la salle de jeu. Il semblerait que la manière d'indiquer les coups à Feller était la suivante.

L'adversaire de Vachier-Lagrave: A et 1, l'adversaire de Fressinet: B et 2, l'adversaire de Tkachiev: C et 3, l'adversaire de Feller: D et 4, Feller: E et 5, Tkachiev: F et 6, Fressinet: G et 7 et enfin Vachier-Lagrave: H et 8.

Arnaud Hauchard tournait autour de la table et s'il s'arrêtait un certain temps derrière l'adversaire de Tkachiev, puis ensuite derrière celui de Fressinet, alors il fallait jouer une pièce sur la case c2.

Le fonctionnement de la fraude. Image www.leparisien.fr

Ils en parlent sur leur blog

Figaro et Mat de Bertrand Guyard

Tour à tour de Jean-Pierre Mercier


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