Alekhine, la reconquête (2)

Max Euwe et Alexandre Alekhine
La 19e partie fut la plus mouvementée du match. Alekhine se trouva au bord de l’abîme, sans qu’Euwe sache lui donner le coup de grâce. S’il avait pu conclure et réduire l’écart à 1 point, la physionomie du match aurait été toute autre.

En remportant la 14e partie, Alekhine semblait avoir porté le premier coup de grâce et sa reconquête du titre semblait quasiment chose faite. Toutefois, voici ce que rapporta la Revue Suisse des Echecs dans son numéro de décembre 1937 :

« Entre les 10e et 21e parties, Euwe fit des efforts inouïs pour conjurer le sort. Par son jeu énergique et courageux, il sut placer Alekhine plusieurs fois dans une situation critique. Après sa victoire dans la 17e, son retard n’était plus que de deux points. Puis vinrent trois nulles palpitantes où ce fut au tour d’Alekhine de déployer toute son imagination, riche en combinaisons des plus aventureuses. La 19e partie fut la plus mouvementée du match. Alekhine se trouva au bord de l’abîme, sans qu’Euwe sache lui donner le coup de grâce. »

Extrait de l'article de Georges Bertola paru dans la revue Europe-Echecs N°668 du mois de septembre 2016.

Alexandre Alekhine

Alexandre Alekhine commente...

Euwe,Max - Alekhine,Alexander, World-ch16 Alekhine-Euwe +10-4=11 Netherlands (19), 20.11.1937. Défense Nimzo-Indienne [D38]

Le 20 novembre 1937, c’est en présence de quelques 700 spectateurs que débuta, à Eindhoven, la 19e partie, considérée comme la plus surprenante du match.

1.d4 f6 2.c4 e6 3.c3 b4 4.f3 e4

Ce n’est pas un bon coup, 4...b6 est meilleur.

5.c2 d5

Georges Bertola : Une partie Kasparov-Karpov à Moscou en 1985 se poursuivit avec le supérieur 5...f5 déjà suggéré à l’époque par Botvinnik, suivi de 6.g3 c6 7.g2 0-0 8.0-0 xc3 9.bxc3 a5 10.c5 d6 11.c4! qui introduit un sacrifice de pion jugé correct par Kasparov. Mais Karpov le refusa avec 11...b6! 1-0 (42) Kasparov,G (2700)-Karpov,A (2720) Moscow 1985 (Si11...dxc5 12.a3 c6 13.ad1)

6.e3 c5?

À nouveau une suite inférieure. Le naturel était le meilleur coup. 6...0-0; 
GB : Eliskases recommanda 6...c6 7.d3 f5 qui permettait de maintenir le Cavalier centralisé.

7.d3 f6?

Après 7...♘f6?

Ceci donne aux Noirs une partie très difficile. GB : ce coup fut joué par Alekhine dans un état de grande nervosité. La retraite du Cavalier, considérée comme une petite capitulation, rendait 4...Ce4 très suspect.

Comme attendu 7...a5 aurait été réfuté par 8.0-0 xc3 9.bxc3 xc3 10.b1 avec la double menace 11.Tb3 ou 11.Tb5 avec un net avantage blanc.
7...cxd4 8.xd4 xc3 9.bxc3 dxc4 10.xc4 e7 avec avantage de développement.

8.cxd5 exd5

8...xd5 9.0-0 n’offrait pas de perspectives satisfaisantes pour les Noirs.

9.dxc5 xc5 10.0-0 c6

10...0-0 11.e4! dxe4 12.xe4 xe4 13.xe4 gagnait au moins un pion.

11.e4!

Après 11.e4!

Le moyen le plus simple et efficace de faire usage du meilleur développement des Blancs. Moins convaincant était 11.a3 à cause de 11...g4.

11...e7

Après 11...dxe4 la position noire devenait rapidement désespérée à cause de l’impossibilité de pouvoir roquer, par exemple 12.xe4 e7 13.xf6+ xf6 14.e1+ e7 15.e4 d7 16.g5 etc.
GB : Le logique 11...b4 avait retenu l’attention de la presse, mais 12.b5+ (12.e2!?) 12...d7 13.e2 fut retenu comme avantageux pour les Blancs.

12.e5 g4 13.e1

Euwe avait aussi analysé 13.Fb5 et 13.De2 avant de conclure : « Mon choix à ce moment, bien que pas forcément incorrect, fut loin d’être heureux. » GB : Effectivement, il engendra des complications qui rendirent cette partie très spectaculaire et permirent ainsi à Alekhine de naviguer en eaux troubles !

13...b4 14.b5+ f8!

Mais pas 14...d7 15.f5! avec un avantage décisif.

15.e2 c5

La faiblesse f2 est maintenant gênante pour les Blancs.

Après 15...♗c5

16.d1

Une remarque intéressante, importante pour la compréhension de la personnalité du Dr. Euwe. Il ne veut simplement pas admettre que la meilleure attitude au 16e coup était de revenir avec la Tour sur f1, et ceci uniquement parce que lors de son 13e coup, sa Tour vint de f1 sur e1. Pour ma part, je confesse que si j’avais les Blancs, j’aurais été satisfait par le fait que mon 13e coup ait forcé l’adversaire à se déroquer, et j’aurais fait mon choix uniquement sur la base d’un examen approfondi de la valeur des coups possibles, ne prenant nullement en compte les cases qu’occupaient les pièces quelques coups auparavant. En fait, il semble que 16.f1 aurait été un choix plus simple, et dans ce cas 16...f5 ne menait nulle part après 17.a3 c2 18.b1 GB : Comme le relève Khalifman, ce n’est pas aussi évident après 18...d4 19.xd4 xd4 20.f4 xb1 21.xg4.
La meilleure possibilité, toujours pointée par Khalifman, est le coup intermédiaire 16.g5! pour défendre la case f2 depuis h4.

16...f5 17.h3

N’était pas aussi bon 17.g5 b6 18.h4
GB : Cela reste à démontrer. Les maîtres présents proposèrent de simplifier avec 17.e3!?

17...h5

Le sacrifice est forcé car 17...h6 18.xh6 gxh6 19.c1 aurait été totalement désespéré pour les Noirs.

18.g5

Les conséquences de 18.hxg4 hxg4 19.g5 n’étaient pas claires bien que le jeu blanc restait encore préférable. GB : Botvinnik n’était pas de cet avis après 19...c2.

18...b6 19.h4

Après 19.hxg4 hxg4 20.h4 Noirs ne peuvent jouer 20...g3 (mais ils auraient répliqué avec 20...e4 qui offre des contre-chances) à cause de 21.xf5 gxf2+ 22.xf2 xf2+ 23.xf2 avec avantage blanc. Par exemple : 23...h1+ 24.xh1 xf2 25.f1 b6 26.f4! xb5?! 27.h4! e8 28.d6++-

19...e4 20.hxg4 c2?!

Après 20...♘c2?!

Les Noirs auraient dû jouer 20...hxg4! pour entrer dans la variante mentionnée mais ils espéraient obtenir plus avec la manoeuvre du Cavalier. GB : Le maître Becker publia dans la Wiener Schachzeitung une analyse intéressante qui débutait par 21.e6!? xe6 (21...fxe6 22.xg4! xb5 23.xe4! dxe4 24.g6+ g8 25.xh8 xh8 26.c3) 22.a3 (22.c1!?) 22...c2? (22...e7!?) 23.xc2 xc2 24.xe6 fxe6 25.c1 xd1 26.g6+ et les Blancs gagnent.

21.c3 d4?

Il est évident que si les Noirs s’étaient emparés de la qualité, leur attaque prenait fin et l’avantage matériel des Blancs décidait de l’issue du jeu.

22.f1

D’un point de vue pratique, le plus simple était 22.d2! qui redonnait la pièce pour rester avec un pion de plus après 22...xb5 23.xe4 dxe4 24.xe4.

22...hxg4 23.a4 c7

Après 23...♕c7

23...xb5 24.xb5 xb5 25.xc5 h5 26.xe4 dxe4 27.xe4 avec un avantage gagnant pour les Blancs.

24.xe4?!

Probablement plus fort était 24.xc5! xc5 25.d3 Toutefois, les conséquences de 25...e6 n’étaient pas faciles à calculer. (25...h5!? indiqué par Khalifman était plus coriace car 26.e3 (26.ac1!) perd après 26...e7!) 26.e3 xd3 27.xc5+ (27.xd3 d4) 27...xc5 28.e2 xh4 29.c1 b6 30.g5 h6+-

24...dxe4 25.c4 c8

GB : Fautif selon Euwe qui recommandait 25...b6 mais 26.xb6! xb6 27.d7 avec la menace 28.e6 pour planter le Cavalier sur g6 en fin de variante est à l’avantage des Blanc.
Botvinnik optait pour 25...xe5 26.xc5+ xc5 27.xc5 xb5.

26.c1 b6

Maintenant 26...b6 n'est plus possible à cause de 27.b4+
Et les Blancs gagnaient après 26...xe5 27.xc5 xg5? (27...g8!?) 28.e6+

27.xc5 bxc5

Mais pas 27...xc5 28.xd4!; Ou 27...xe5 28.d7+

Après 27...bxc5

28.a6?

Avec ceci, les Blancs laissent définitivement échapper la victoire. Le coup correct était 28.e6! xe6 avec la suite 29.g6+! g8 (29...fxg6 30.xe6 gagnait facilement.) 30.e7+ f8 31.xc8 conduisait à un avantage décisif.

28...xe5!

Cette combinaison sauve la partie puisque les quelques coups suivants, qui sont forcés, conduisent à une finale aux chances égales.

29.xc8 xg5 30.xc5+ xc5 31.xc5 xh4 32.c4?!

Une inattention qui met les Blancs en danger. 32.e5 permettait d’obtenir une nulle facile.

32...e2+ 33.f1 f4! 34.g1 g3!

Après 34...g3!

Une tentative ingénieuse de jouer pour le gain, basée sur le fait que la Tour blanche est en l’air après 35.fxg3 e2+ et le Roi blanc ne peut se rendre sur f2 à cause de e3!, par conséquent il doit se rendre sur f1 et après 36.f1 xg3+ 37.e1 f5 apportait un avantage décisif aux Noirs.
La deuxième idée est la protection indirecte du pion e4 car si 35.xe4? h3+.
Et la troisième, la plus meurtrière, est la menace 35...h1+ 36.xh1 gxf2 37.c1 e3 38.a6 e2 39.xe2 xe2 les Noirs gagnent.

35.a6! La seule défense. 35...gxf2+ 36.xf2 h6?

La seule chance de gain était 36...f5 mais il est très douteux que les Noirs fussent capable d’obtenir un avantage décisif avec leur majorité sur l’aile-Roi après 37.c8+ e7 38.c7+ f6 39.xa7

37.xe4

37.c8+ suivi de la capture du pion « a » était plus simple.

37...xa6

Naturellement pas 37...xg2? 38.b5! qui gagnait.

38.xf4 xa2 39.b4 g6 40.b7 g7 La position fut ajournée. 41.f3 g5 42.b4 g6 43.b5 f5 44.b6 a3+ 45.f2 a6

Après 45...a6

Même après 45...axb6 46.xb6+ h5 il n’y a pas de gain. Après le coup de la partie, les Blancs ont une nulle facile.

46.b8 b3 47.b7 g7 48.a8 xb7 49.xa6 Et la nulle fut conclue. ½-½

Les commentaires de Max Euwe sont assez remarquables et s’il avait pu conclure et réduire l’écart à 1 point, la physionomie du match aurait été toute autre. Dans la 20e partie, le champion néerlandais parvint encore à obtenir une position favorable, mais son attaque se brisa encore une fois contre une défense étonnamment ingénieuse de son challenger.

La 21e, se déroula le 25 novembre. Ce fut l’uppercut qui envoya le tenant du titre dans les cordes... Cette défaite cinglante fut considérée comme décisive sur le plan moral dans la Revue Suisse d’Echecs, qui ajouta : « Chez une nature aussi systématique et scientifique, elle annonce le commencement de la débâcle intérieure. Après cette partie, Euwe était un homme battu, cela d’autant plus qu’Alekhine avait retrouvé, entretemps, la forme de ses plus beaux jours. » Alekhine infligea le coup de grâce en remportant la 22e partie, disputée à Delft. Le Français remporta le match avec 10 victoires et 11 nulles pour seulement 4 défaites.

Scènes du match.