Maroczy vs Tartakower, 1922

Geza Maroczy et Xavier Tartakower
« Les grandes parties du passé » par Georges Bertola. Voici l’une des parties de Xavier Tartakower des plus extraordinaires jouée il y a 100 ans déjà. Son adversaire, le Hongrois Geza Maroczy, était considéré comme un maître de la défense.

Xavier Tartakower naquit le 21 février 1887 (le 9 février selon le calendrier julien encore en vigueur dans l’Empire russe). Ses parents d’origine juive et russo-polonaise vivaient dans l’Empire Austro-hongrois avant de s’établir à Rostov-sur-le-Don sur les rives du fleuve à une quarantaine de kilomètres de son embouchure dans la mer d’Azov. Tartakower passa toute son enfance dans cette ville, centre économique florissant où vivaient plus d’une dizaine de milliers de juifs.

Xavier Tartakower vers 1920

Son père Grigori avait quitté Vienne pour s’y installer et disposait d’un commerce prospère. Il s’était converti au christianisme, plus précisément au calvinisme, et baptisa ses trois enfants.

C’est la raison pour laquelle Tartakower fit ses études probablement à partir de 1899 à Genève, la Rome protestante, en compagnie de son frère cadet Arthur (né en 1888) au Collège Calvin.

Collège Calvin

C’est à cette époque, après avoir appris avec son père les rudiments du jeu, qu’il se mit sérieusement à étudier les échecs.

« Un beau jour j’ai appris qu’il y avait un club d’échecs à Genève qui se trouvait alors au « Café de la Couronne ». J’y suis allé et j’ai pu affronter le deuxième meilleur joueur du club, le professeur J. Lyon (Docteur ès sciences de l’Université de Genève), un éminent chimiste qui en tant que réfugié politique de la Russie tsariste vivait à Genève. À la surprise générale, j’ai gagné la première partie avant de perdre les trois suivantes. Je rentrais très tard au pensionnat « Florissant » et négligeais la préparation de mon examen de fin d'études pour devenir un membre fidèle et zélé du club d'échecs. Ma progression fut rapide de sorte que je pus bientôt vaincre non seulement le bon professeur Lyon mais aussi le champion de Genève H. Guyaz, un grand théoricien et fort joueur par correspondance. » Tartakower

Puis Tartakower poursuivit des études de droit dans la capitale de l’Empire austro-hongrois.

« Vienne du début du siècle jusqu’à la première guerre mondiale, fut certainement la ville où se retrouvaient la majorité des maîtres de renom, et spécialement les jeunes les plus doués, en une concentration telle qu’il n’en exista jamais en autre lieu ni autre temps. » Réti

« Vers la fin de 1904, je m'étais inscrit dans une université à Vienne, mais pas à la faculté de médecine, ce que mes parents voulaient, mais à la faculté de droit, ce qui plus tard m'a donné plus de temps pour les échecs ainsi que pour… le poker. Aux échecs, qui se pratiquaient au célèbre « Café Central », j'étais devenu à cette époque le meilleur client pour les maîtres Julius Perlis (1880-1913) et Milan Vidmar (1885-1962) ! » Tartakower

Mort tragiquement dans un accident de montagne à 33 ans.

Julius Perlis

« Au début de 1905 de passage à Moscou j’ai joué deux matchs, un contre le champion de Moscou Aleksei Gontchachrov (1879-1913), qui m’a battu et l’autre avec Vladimir Nenarokov (1880-1953) où j’ai réussi un match nul (2-2). » Tartakower

Tartakower débuta dans l’arène internationale au tournoi principal de Barmen 1905. Il obtint son premier grand succès dans le tournoi principal de Nuremberg 1906 où après s’être qualifié pour le tournoi des vainqueurs des poules préliminaires, il remporta l’épreuve invaincu devançant Abraham Baratz (1895-1975), Paul F. Johner (1887-1938) et Leopold Löwy (1871-1940). Tartakower décrocha ainsi le titre de maître de la Fédération allemande.

Caricature de Tartakover par Baratz

« C’était l’Américano-Suisse Paul Johner qui était le favori puisqu’il venait de montrer sa maîtrise au tournoi monstre d’Ostende 1906. Johner croyait donc pouvoir s’adjuger la victoire sans peine aucune et, en effet, il parvint au groupe final avec le score imposant de 8,5 sur 9. Alors que moi, dans mon groupe préliminaire, ce fut au prix de mille peines que je parvins à m’assurer le droit de promotion. » Tartakower

En 1909 Tartatakower devint docteur en droit de l’Université de Vienne et citoyen de l’Empire austro-hongrois. Tartakower ne trouva pas d’emploi dans des cabinets d’avocats mais, en réalité, il ne manifestait aucun intérêt pour une telle carrière. Il découvrit qu’il pouvait gagner sa vie, assez bien, en jouant pour de l’argent dans les cafés et décida de devenir un joueur professionnel sans en référer à son père.

Le 18 février 1911 Tartakower apprend par un télégramme la terrible nouvelle, ses parents ont été assassinés dans ce qui est mentionné comme un pogrom à Rostov-sur-le-Don.

(Ken Whyld cite 1899 comme année de la mort de ses parents dont on ne connaît pas vraiment les circonstances mais cela semble peu vraisemblable. 1911 est une date mentionnée dans la généalogie de la famille Tartakower.)

« Ses parents sont morts en 1911, non pas lors d'un pogrom mais lors d'un assassinat crapuleux organisé par un de leurs anciens employés. Tous les mystères autour de leur mort ont été éclaircis par l'historien russe Sergei Voronkov. » Dominique Thimonier

Les participants au tournoi de Karlsbad 1911

En 1911 Tartakower est un maître reconnu dont la notoriété lui permet de jouer une partie en consultation à Vienne aux côtés de Capablanca (1888-1942) qu’il rencontre pour la première fois. Ils s’imposent avec les Noirs contre les maîtres viennois Fähndrich (1851-1930) et Kaufmann (1872-1938).

Le génial cubain, révélation de l’année pour les Européens après sa victoire au tournoi de San Sebastian, avait entamé des négociations pour défier le champion du monde Emmanuel Lasker (1868-1941).

Lors du tournoi de Carlsbad, Tartakower avait obtenu la 9e place en compagnie de Duras (1882-1957) et du futur champion du monde Alekhine (1892-1946) !

Tartakower obtint des résultats irréguliers mais avec une progression lente et constante avec 2 matches victorieux contre Spielmann (1883-1942) en 1913 (+5=5-2) et Réti (1889-1929) en 1914 (+3 =1-2).

« Ma première période qui s’étend de 1905 à 1930 inclusivement, année où j’ai atteint « le plafond » de mes succès, sinon ma vraie force échiquéenne. »

Lorsque survient la première guerre mondiale, Tartakower participait au tournoi de Mannheim. Le tournoi fut interrompu après la 11e ronde.

Tartakower se porta volontaire pour être mobilisé dans l’armée austro-hongroise. Il devint lieutenant de réserve dans le célèbre régiment d’infanterie impérial « Hoch-und Deutschmeister ».

Il participa notamment à la bataille des Carpates contre l’armée impériale russe. Il fut décoré à plusieurs reprises pour sa bravoure. Son frère Arthur par contre tomba sur le front quelques mois après le début de la guerre en décembre 1914.

On peut lire dans le « Wiener Schachzeitung » de mai-juin 1915 :

« La dure réalité n'a pas encore pu nuire à la joie de vivre du Dr. Tartakower, ses camarades tentent aussi de tirer le meilleur parti de chaque situation. Cette ambiance, dans laquelle l'humour semble dominer, est explicite dans le très bon dessin que l'ingénieux caricaturiste bien connu « Muskete », M. Egon Sternfeld, a réalisé en accentuant le trait dans cette atmosphère de tranchées. »

Lieutnant Tartakower
Caricature de Tartakower 1915

La défaite militaire en 1918 provoqua l’effondrement de l’Empire et bientôt plusieurs États proclamèrent leur indépendance (Tchécoslovaquie, Hongrie, les Croates, les Serbes et les Slovènes intégreront le royaume de Yougoslavie, et la Galicie la nouvelle Pologne).

Tartakower poursuivit sa carrière de joueur d’échecs à Vienne alors surpeuplée (2 millions d’habitants), paralysée par l’inflation et le chômage. A partir de 1922, la capitale dut faire appel à des crédits internationaux pour être en mesure de réaliser sa reconstruction économique. En 1922 sa monnaie ne valait plus qu'un quinze-millième de sa valeur d'avant-guerre, à cela il faut ajouter des problèmes alimentaires critiques.

Cette même année Tartakower joua à la fois sous les couleurs de l’Ukraine (selon le livre du tournoi de Londres 1922 par exemple) et de la République d’Autriche.

Dans ce contexte difficile, à partir de 1924, après le célèbre tournoi de New-York où il jouait toujours sous les couleurs de l’Ukraine selon l’ « American Chess Bulletin », Tartakower vint s’établir en France, plus précisément à Paris qui accueillait de nombreux émigrés venus de l’Est. Il opta par la suite pour la nationalité polonaise et deviendra, après avoir rejoint la Résistance, français à l’issue de la seconde guerre mondiale.

« Au Cercle des Échecs du Palais-Royal le maître Tartakower venant de New-York, a donné le 3 mai, une séance brillante de 10 parties simultanées « sans voir » que la grande presse parisienne a longuement commentée. Après les maîtres A. Alekhine et Znosko-Borowsky, qui sont déjà des nôtres depuis plusieurs années, voici encore un maître de renommée mondiale qui vient de fixer sa résidence à Paris, qui devient un centre d’échecs de première grandeur. Le Dr Tartakower est aussi l’auteur de remarquables ouvrages sur les échecs. » Bulletin de la FFE 1924-25

La notion de Grand-Maître était alors assez floue.

« En 1925 sont Grands-Maîtres ceux qui ont remporté un premier ou un second prix dans un véritable grand tournoi international. Alekhine, Bernstein, Bogoljubov, Capablanca, Duras, Janowski, Lasker, Maroczy, Marshall, Nimzovic, Réti, Rubinstein, Saemisch, Spielmann, Tarrasch, Tartakower, Torre, Vidmar auxquels on peut ajouter, bien qu’ils n’aient pas remporté de premier prix ni de second prix, Kostich et Grünfeld. » G. Renaud dans l’Éclaireur de Nice.

Soit une vingtaine de joueurs dans le monde. Une autre époque !

Voici l’une des parties de Tartakower des plus extraordinaires jouée il y a 100 ans déjà !

Le tournoi se jouait à Teplitz-Schönau, aujourd’hui Teplice, petite ville de Bohème du Nord, autrefois l’une des villes importantes de la région germanophone des Sudètes appartenant entre les deux guerres à la Tchécoslovaquie.

« Parmi les ouvertures que Tartakower fit revivre, on note l’attaque Hollandaise (1.f4) et la défense Hollandaise. » Réti

Son adversaire le Hongrois Geza Maroczy (1870-1952) était un joueur solide, considéré comme un maître de la défense !

Geza Maroczy (1870-1952) & Xavier Tartakower (1887-1956)

Tartakower « commente » en 1953

Maroczy,Geza - Tartakower,Saviely, DSV in der CSR-ch01 Meisterklasse Teplitz Schoenau (4), 05.10.1922. Défense Hollandaise [A85]

1.d4 e6 2.c4 f5

« Par cette défense Hollandaise retardée, les Noirs évitent le gambit Staunton mais permettent à l’adversaire, s’il l’avait voulu, d’amener la partie Française. »

3.c3

« Le fianchetto Roi est le meilleur système pour les Blancs, bien que la raison n’en soit pas immédiatement évidente, puisqu’il n’y a pas de Fou Dame à neutraliser à b7. Par contre, nous savons bien que tout va tourner principalement autour de la case e4, et que les Noirs espèrent lancer une attaque sur l’aile Roi. Le roque le plus facile à défendre dans des cas pareils est celui qui comporte un Fou en fianchetto. » GM Fine

Une petite miniature qu’affectionnait Tartakower : 3.g3 f6 4.f3 d5 5.g2 d6 6.0-0 c6 7.c2 0-0 8.b3 (8.c3 est la variante principale) 8...e4 Un saut dans l’inconnu Tartakower 9.b2 d7 10.e5 qui aurait pu deviner que l’on se dirigeait vers la catastrophe Tartakower 10...f6 11.f3 xe5 12.dxe5?? c5+! 13.h1 xg3+! 0-1 (13) Gruenfeld,E-Torre Repetto,C Baden-Baden 1925 14.hxg3 h6+ 15.h3 xh3#

3...f6 4.a3

« Ce petit coup, préconisé en son temps par Steinitz, empêche …b4 et prépare éventuellement le travail sur l’aile Dame par b2-b4 etc. mais sacrifie en revanche un temps de développement figural assez précieux. »

L’idée est de lutter pour la domination de la case e4 et voici un exemple tiré de la pratique de Tartakower contre le futur champion du monde Alekhine : 4.e3 b6 5.d3 b7 6.f3 de mon point de vue, le développement de ce système est une réfutation de la défense Hollandaise. Alekhine en 1910 pour ensuite juger ce coup trop affaiblissant. 6...g6 (6...c5! 7.ge2 c6 8.0-0 d6 9.b3 b8 = Alekhine) 7.e4 b4 8.g5 h6 9.d2 xc3 10.bxc3 (mais pas 10.xc3 fxe4 11.fxe4 xe4 12.g4 g5 =+ Alekhine) 10...fxe4 11.fxe4 xe4 12.xe4 xe4 13.g4 xd2 14.xg6+ e7 15.xd2 g8 16.e4 c6 17.h3 f8 18.hf1 h7 19.xh7+ xh7 20.f4 g7? (20...g8 21.ae1 Alekhine) 21.d5+! gagne un pion. 1-0 (66)  Alekhine,A-Tartakower,S Hamburg 1910.

Un autre exemple instructif tiré de la pratique de Tartakower (par interversion) 6.f3 e7 7.b3 0-0 8.b2 e8 9.0-0 h5 10.e2?! g5 11.e5 g4 12.c2 c6 13.f4 gxf3 14.xf3?! xe5 15.xh5 xh5 16.dxe5 c5 17.d1 h8 18.d4? g8 19.g3 xg3! 20.hxg3 xg3+ 21.h2 g2+ 22.h3 ag8 23.xc5 8g3+ 24.h4 g6 Josef Hrdina vs Savielly Tartakower, Vienne le 24 novembre 1913.

Voici un traitement moderne qui permet de transposer dans des schémas Nimzo-indiens après 4.f3 b4! 5.b3 recommandation d’Alekhine ! 5...e7 6.e3 b6 7.e2 0-0 8.0-0 xc3 9.bxc3!? c5! 10.d1 d6 11.a4 c6 12.c2 e5 avec pression sur e4 les Noirs sont bien : 0-1 (36) Piket,J (2450)-Agdestein,S (2565) Baguio City 1987

Actuellement populaire est d’adopter un développement style système de Londres avec 4.f4 e7 5.e3 0-0 6.d3 d6 7.h3 pour préserver le Fou à l’extérieur de la chaîne de pions 7...e8 8.f3 +=

4...e7

« Premier objet stratégique : sécurité du Roi. Jouable est aussi 4…b6, mais immédiatement 4…d5 alors 5.f4! c6 6.e3 assure aux Blancs, dans ce « Stonewall précipité », l’avantage de développement réussi du Fou, alors que celui des Noirs demeure enfermé. »

Dans le style hypermoderne intéressant 4...g6!? 5.f4 g7 6.e3 0-0 7.f3 d6 8.e2 h6 9.h3 g5 10.h2 bd7 11.c2 b6 12.d1 h8 13.b4 b7 14.d5 e5 15.d2 1-0 (43) Topalov,  V (2772)-Vallejo Pons,F (2698) Tromsoe 2014 15...e8 avec des chances égales.

5.e3

« Les Blancs enferment le Fou c1. Meilleur 5.f4. » Deutsche Schachblätter »

5...0-0 6.d3 d5

Maroczy vs Tartakower, après 6...d5

« Pour empêcher la poussée centrale 7.e4 qui s’ensuivrait en cas de 6…b6 ou 6…d6. Par ailleurs, ce « Stonewall retardé » que les Noirs viennent de former renferme maintes idées offensives pour les Noirs. »

7.f3

« Si 7.ge2 c6 8.f3 d6 9.c5 c7 et les Blancs ne parviennent pas quand même à réaliser la poussée e3-e4.  » Loewy,L-Albin,A Vienna 1905

7...c6

« Le saut thématique 7...e4 serait encore prématuré à cause de 8.cxd5 exd5 9.b3 avec la double attaque contre d5 et e4. »

8.0-0 e4 9.c2

« Politique d’attente. Le « Contre Stonewall » 9.e5 pourrait avoir pour réponse 9...d7 (au lieu de 9...d6 10.f4) 10.xd7 xd7 11.f3 xc3 12.bxc3 et les Noirs sont légèrement mieux, puisque l’aile-Dame des Blancs se trouve quelque peu affaiblie. »

9...d6

« Le signal d’attaque retentit. » « Les  pièces des Noirs commencent à se mobiliser contre l'aile-Roi des Blancs. Bien qu'une menace sérieuse soit encore lointaine, il n'est pas facile pour les Blancs de contrer l'accumulation lente des forces noires car le Fou c1 est  enfermé et les pièces blanches ne peuvent pas facilement être amenées sur l'aile-Roi. » GM Nunn

10.b3 d7 11.b2

Maroczy vs Tartakower, après 11.b2

« Si les Blancs veulent échanger leur mauvais Fou avec 11.a4 e7 empêche 12.a3 » GM Nunn

« Rempli de confiance dans les bases scientifiques de son jeu, le joueur en premier traite la partie de façon purement positionnelle, tandis que les Noirs considèrent la position donnée comme un vaste problème : mat en 25 coups !! »

11...f6

« Un autre plan était 11...f6 suivi de « g7-g5-g4 », ne comptant donc que bien plus tard sur la coopération des pièces. »

12.fe1?!

« En vue d’évacuer la case f1 pour le Fou ou éventuellement pour le Cavalier f3, après quoi le rempart royal des Blancs deviendrait imprenable. »

Sur 12.e5 les Noirs auraient pu continuer leur action par 12...h6 par exemple 13.f3 (ou 13.f4 xe5 14.fxe5 h4 15.h3 g5 avec une belle attaque) 13...xe5! 14.dxe5 xe5 et l’assaut des Noirs triomphe. »

« Il aurait été meilleur de jouer 12.e2 qui non seulement dirige ce Cavalier vers l’aile-Roi mais prépare également 13.e5 qui bloque le dangereux Fou d6. » GM Nunn

12...h6

« Oblige l’adversaire à parer la menace immédiate 13…xh2+ 14.xh2 h4 gagne. »

13.g3

« Les Blancs croient encore pouvoir être contents de leur stratégie expectative, puisque non seulement le petit coup du texte pare la menace mentionnée, mais il complète aussi le plan de défense par le regroupement d3-f1-g2. »

Il est trop tard pour 13.e5? (13.h3!? Deutsche Schachblätter) 13...xe5 14.dxe5 h4 15.h3 xe5 16.xe4 f3+! 17.gxf3 fxe4 18.f1 g5+! et le mat est imparable.

13...f6 14.f1

« Mais non 14.d2? à cause de 14...xf2! 15.xf2 xh2+ 16.g1 (16.f3 g5-+) 16...xg3 suivi de 17…h4. »

14...g5

Maroczy vs Tartakower, après 14...g5

15.ad1?

« Trop de préparatifs ! Le travail défensif direct consistait dans 15.g2 pour faire suivre f3-d2-f1. Toutefois les Noirs auraient répliqué à 15.g2 non pas par 15…g4, ce qui fermerait le secteur critique, mais par 15…g6  suivi de h5 et d7-f6-g4, ce qui produirait encore une attaque bien nourrie. »

« 15.g2 était nécessaire car le sacrifice qui survient 15...g4 (15...g6!? 16.d2 h5 17.f1) 16.d2 xf2? 17.xf2 xh2 échoue 18.e2 » GM Nunn

« Les Blancs auraient pu mieux défendre avec 15.e2 car après 15...g4 16.d2 le pion f2 est bien protégé. » Tarrasch en 1923.

15...g4 16.xe4

« Cette prise préalable ouvre pour l’adversaire une base verticale supplémentaire, mais elle s’avère déjà nécessaire, car si immédiatement 16.d2 alors s’ensuit de nouveau 16...xf2! 17.xf2 xh2+ 18.g2 xg3+! gagne.

« 18.g1! xg3 19.e2 xe2 (19...h6!) 20.xe2 h4 21.f1 f2+ 22.g2 f6 et les Noirs sont clairement mieux avec 3 pions pour la pièce pour continuer l’attaque. » GM Nunn. Les Blancs disposent de ressources après 23.d3 g3 24.e2 g4 25.c1 et la défense s’organise.

« Et si d’autre part 16.h4 xh4! 17.gxh4 xh4 -+ avec démolition des bastions adverses. »

16...fxe4 17.d2

Maroczy vs Tartakower, après 17.d2

« Si l’on jette un regard sur l’échiquier, on constatera que le Roi blanc n’est momentanément défendu que par le Fou f1, tandis que toute les autres figurent jouent le rôle de simples spectateurs, mais que, d’autre part, dans le camp des Noirs toute leur aile Dame se trouve à l’état embryonnaire. La question qui se pose est donc la suivante : Préparer ou cueillir ? »

17...xh2!!

« Ce sacrifice d’une pièce lourde, sans conséquences frappantes et immédiates, exigeait un calcul très soigné. »

« Un sacrifice de Tour d'une audace rare. Habituellement, après avoir sacrifié une pièce si importante, cela continue avec -échec-échec-échec-, mais ici le joueur qui sacrifie poursuit presque exclusivement avec des coups « silencieux » et, après une longue série de coups, il n'a rien obtenu d'autre que le fait d'avoir une meilleure position. La combinaison ne pouvait pas être calculée jusqu’à son terme. Elle devait être basée sur un pressentiment. » Tarrasch en 1923 !

Pourtant Tartakower est plus nuancé dans la suite de son commentaire : « Positivement les Noirs devaient prévoir qu’ils réussiraient à effectuer encore quelques coups tranquilles nécessaires (d7-f6!-h5-g3, ainsi que d7) avant que l’adversaire puisse jeter ses armées de secours dans la mêlée. Négativement les Noirs devaient admettre que le renforcement lent et méthodique de leur position d’attaque (par 17…f8 puis …d7…g6…f8 etc.) permettrait aussi à l’adversaire de se consolider. »

Tartakower propose 17...f8 18.g2 d7 19.f1 g6 (19...g6 avec l'idée ...h5 et h7-g5-f3 GM Nunn) 20.c3 f8 mais toutefois les Noirs conservent l’avantage.

18.xh2

« Les Blancs sont en tout cas obligés d’accepter le sacrifice généreux car si 18.xe4 h6! défendant déjà la Tour tout en menaçant de mat. »

18...xf2+ 19.h1!

« Les Blancs se défendent non sans raffinement. Sur 19.g2 il suivrait pareillement à la partie un coup tranquille 19...f6!! 20.c3 (20.c1 xg3+ 21.g1 h2+ 22.f1 h5-+) 20...xg3+ 21.g1 h2+ 22.f1 h5 23.xe4 dxe4 24.d5 e5 25.dxc6 g3+ 26.f2 e6 gagne. »

19...f6!!

Maroczy vs Tartakower, après 19...f6!!

« Première pointe du sacrifice : toute la seconde rangée des Blancs étant encore paralysée, les Noirs ont juste le temps d’amener leurs troupes de réserve. Faible serait 19…xg3 à cause de 20.b1 et la Dame blanche redevient instantanément disponible. »

20.e2 xg3 21.b1

« La position des Blancs est terriblement étriquée et plusieurs pièces ne peuvent pas du tout participer à la défense de la position du Roi. C'est pourquoi l'attaque des Noirs progresse, bien que les Blancs soient, de manière significative, en avance dans le développement. » Tarrasch

« Ou 21.c3 h5 22.g2 h4+ 23.g1 g3 24.h2 g5 25.f2 f5 avec des menaces décisives. »

Pourtant c’est sans tenir compte du contre-sacrifice 26.xe4! dxe4 27.d5 e5 28.dxc6 et la position s’ouvre pour les pièces blanches avec une position loin d’être claire.

21...h5

« Mais non pas 21...h4+ 22.h2 avec résistance. » En réalité l’attaque noire est loin d’être enrayée après 22...g5 GM Nunn, par exemple 23.g2 d7 24.e2 h5 25.d2 g3 26.f1 f7 et les pions passés liés deviennent menaçants.

22.d2

« Cela défend le pion c3 et envisage e1. Sur 22.g2 les Noirs auraient même eu à leur disposition la suite liquidative 22...h3+ 23.g1 d7 24.e2 (24.c1!? f8 25.h2 xh2+ 26.xh2 xh2+ 27.xh2 f2+ est à considérer (Georges Bertola)) 24...g3+ 25.g2 xe3+ 26.f2 xf2+ puisque leurs 4 pions de plus compensaient avantageusement la Tour manquante, eu égard au fait que toutes les pièces des Blancs sont ici difficilement maniables. »

22...d7!

Maroczy vs Tartakower, après 22...d7!

« Seconde pointe consistant de nouveau dans un coup de repos. Insuffisant serait ici 22...f3+ ou h4+ à cause de 23.g1 »

23.f2

« Pour empêcher la Tour adverse d’occuper cette colonne. Sur 23.e1 s’ensuivrait 23...f3+ 24.g2 h3+ 25.g1 f8 26.d2 g3 27.xg3 xg3+ 28.xg3 xg3 29.c3 f5 30.e1 h5 et la ruée des pions noirs compense avantageusement la pièce adverse. »

C’est la variante principale mais la position est plutôt difficile à évaluer. Le GM Nunn indique 24.g1 g3 25.g2 xf1 26.xf1 xe3+ 27.f2 h3 28.c5 f8 29.e2 g3 comme très bon pour les Noirs mais après 30.c1!? f5 (menace 31...h5) 31.e3 f3 32.g5+ f7 33.d2 reste compliqué.

23...h4+ 24.g1?!

Maroczy vs Tartakower, après 24.g1?!

« Ou 24.h2 xh2 25.xh2 g5! continuant l’œuvre. » 26.e2 g7 27.g1 h5 suivi de 28...f5 mais les Blancs sont encore dans la partie. GM Nunn

24...g3?!

« La récolte commence. Moins convaincant serait 24...g3 à cause de 25.h2 ; De même que 24...g3 à cause de 25.g2 »

Ce n’est pas l’avis de Nunn qui indique 24...g3! 25.h2 g5 26.f2 f5 -+ avec une position désespérée, les Blancs n’ont pas de contre-jeu et les Noirs menacent « h4-f3 » ou de renforcer avec la poussée du pion « h ».

Après 24...g3! (GM Ragozine) 25.g2 f8 et les Blancs n’ont rien à opposer à l’attaque qui peut se poursuivre avec les manœuvres « f6-h6 » et « g7-f5 ».

25.c3

« Les Blancs sont déjà obligés de jeter du lest. En effet si 25.g2 f8 26.e2 f3 27.c3 d6 28.e1 autrement suit 28...h3 28...g3 29.d2 g4 suivi de g7 et f5 avec démolition. »

« La meilleure manière de rendre la qualité consistait toutefois dans 25.h2. » La variante indiquée par Tartakower est loin d’être forcée et après 25...xh2+ 26.xh2 g5 les Noirs avec 3 pions pour une pièce mineure doivent encore démontrer le gain.

25...xf2+ 26.xf2 g3 27.g2 f8

« Enfin on peut dire que la mobilisation des Noirs est parachevée. La menace surgit : 28…f2 29.h1 h2 gagnant la Dame. »

28.e1

Maroczy vs Tartakower, après 28.e1

« Autrement le jeu des Blancs était compromis. »

a) 28.h1 g5 29.e1 f2 30.g2 f6 (30...g7 suivi de f5 et h4 -+ GM Nunn) 31.d2 h5 32.f1 h4 33.b4 e5 34.dxe5 g4 35.d6 xf1+ 36.xf1 h2 37.g2 g4 gagne.

b) 28.d2 f3 29.e2 g5 30.e1 h6! prépare 31...e3 32.d2 xe2 31.d2 f6 32.c3 g4 33.d1 h2 34.e1 h5 (34...f8 suivi de 35...f3+ GM Nunn) 35.e2 h4! -+

Par leur coup du texte, 28.e1 les Blancs réalisent le plan prévu en calculant leur 25e coup, tout en empêchant la menace précitée (28…f2) et même en tendant un joli piège, car si les Noirs se précipitaient pour regagner leur pièce par 28...h2+ 29.xh2 gxh2+ 30.xh2 xf1 alors s’ensuivrait 31.d2 f8 32.h4 et les pièces libérées des Blancs leur procureraient un avantage positionnel indéniable. »

Cette partie que Tartakower tenait pour l’une de ses meilleures a fait l’objet de plusieurs retouches dans diverses publications de sa part et ici il est optimiste dans son dernier commentaire après 32...g7 33.f1 f6 34.g3 g6 -+ ne change pas l’évaluation fondamentale de la variante.; 

28...xf1+!

« Le second assaut. Par ce nouveau sacrifice, il s’agit pour les Noirs de gagner le temps nécessaire pour amener leur Fou, jusqu’alors oisif, dans le feu du combat. Nébuleuse serait par contre la préparation du sacrifice par 28...e5 à cause de 29.d2 exd4 et maintenant 30.f2!! ce qui aurait débarrassé les Blancs d’une pièce ennemie dangereuse. » Et non pas comme le croyait le Dr. Tarrasch dans ses analyses quelque peu unilatérales, 30.exd4 f3-+.

Le Dr. Tarrasch n’avait pas tort car après 28...e5! 29.d2 exd4 (29...g5 30.e2 g4 -+ GM Nunn) 30.f2? f3 est décisif.

29.xf1 e5 30.g1

« Rien qu’un faux semblant de sauvetage s’offrait par la prise immédiate 30.xg3 xg3+ 31.f2 g4!! 32.e1 (32.xg3 xg3+ 33.xg3 xd1 avec 2 pions de plus pour la finale) 32...e2+ 33.f1 h8 et la perte de la Dame blanche par 34…h3 deviendrait quand même inévitable. »

« Insuffisante était aussi la tentative de fuite du Roi par 30.e2 à cause de 30...g4+ 31.d2 h2! 32.xh2 gxh2 et les Noirs gagnent. »

30...g4 31.xg3

« Décision pénible mais nécessaire car si 31.d2 exd4 32.exd4 f3 33.xg3 xg3 34.h2 xh2+ 35.xh2 e2+ suivi de xd4 et les Noirs obtiennent, pour la qualité, 3 pions victorieux. »

Ce n’est pas convaincant après 36.f2 xd4 37.cxd5 cxd5 38.c3 xb3 39.xd5 d2 40.h6 avec l'idée 41...e6 40...c4 41.a4 d1 42.h4 etc.

Le plus simple après 31.d2 f3 32.xg3 xg3 33.h2 g5 34.f2 f5 35.g1 g4-+ GM Nunn

31...xg3 32.e1 f5!

« Les Noirs ne cessent de travailler avec des coups de massue, comportant des menaces directes. »

33.f2 g5 34.dxe5

Si 34.f1 exd4 35.exd4 h3+ 36.e2 g4+ 37.d2 e3+ -+ GM Nunn

34...f3+ 35.f1 g3+ 0-1

Maroczy vs Tartakower, après 35...g3+ 0-1

« Un homme, un être humain doté d’un intellect, qui sans devenir fou, pendant dix, vingt, trente, quarante ans ne cesse de tourner, encore et encore, toute la tension de sa pensée vers cet enjeu dérisoire. Coincer un Roi en bois dans le coin d’une planche de bois. » Stefan Zweig

L’écrivain autrichien auteur de la nouvelle « Le joueur d’échecs » s’est suicidé le 22 février 1942 en exil à Petropolis au Brésil. On a retrouvé dans ses affaires qu’un seul livre d’échecs, celui de Tartakower « Hypermoderne Schachpartie » publié en 1925.

« Les juges accordèrent à cette partie le 3e prix de beauté, bien que leur majorité eût déclaré de façon péremptoire que des sacrifices pareils sont incalculables d’avance dans tous les embranchements et que, par conséquent, ils ne méritent point d’encouragement. » Tartakower

En tête du tournoi avant la dernière ronde, Tartakower avait l’opportunité de signer son premier grand succès mais il trébucha contre Richard Teichmann (1868-1925), pour finalement partager la 3e place avec Ernst Grünfeld (1893-1962).

Tartakower était connu et redouté pour ses idées originales. Il choisissait soit des ouvertures peu connues, soit des ouvertures carrément mauvaises. Sa devise était : « Tant qu'une ouverture est considérée comme mauvaise, elle peut être jouée. » M. Ehn

Vision optimiste difficilement recommandable de nos jours !

Les cinq premiers du tournoi : Spielmann, Tartakower, Grünfeld, Réti et Rubinstein

« Tartakower était une personnalité accomplie dans de nombreux domaines. Il n’était pas seulement docteur en droit, maître d’échecs et auteur prolifique d’ouvrages échiquéens, mais avait gagné une réputation certaine dans la littérature mondiale, écrivait pour le cinéma; il est particulièrement connu pour ses traductions en allemand et en français de poésie moderne russe. Sa brillante intelligence s’exprima rapidement en aphorismes et en paradoxes, produisant une impression fascinante. » Réti

« Si Montaigne, à en croire ses Essais, « fuyait et haïssait » le jeu des Echecs, c’est parce qu’il en reconnaissait le haut degré de fascination; si un homme moderne s’aperçoit qu’une chose est fascinante, il ne la fuit, ni ne la hait, mais la maîtrise. C’est ma réponse et le motif de mon optimisme. » Tartakower dans le « Bréviaire des Echecs ».

Je dédie cette chronique en hommage au GM Gilles Mirallès qui nous a quittés le 28 janvier dernier.

Il avait pratiqué de manière régulière et avec succès une ouverture que Xavier Tartakower dénommait « Oran Outang » soit 1.b4 après l’avoir jouée contre le même adversaire au tournoi de New York en 1924.

Gilles Mirallès (8 février 1966 - 28 janvier 2022)

« Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles, Dominique Thimonier et tous les lecteurs de leur soutien. » Georges Bertola

Sources principales :

La Stratégie décembre 1922
Deutsche Schachblätter 1923
Kagans Neueste Schachnachrichten 1923
Tartakower vous parle -Tartakower (Librairie Stock 1953)
Les Grands Maîtres de l’Echiquier – Réti (Garnier 1982)
Die Hypermoderne Schachpartie – Tartakower (Wiener Schachzeitung 1925)
Schack-Parade 2 Stormästaren Tartakower (E. Lundin 1987)
The World’s Greatest Chess Games -Burgess, Emms & Nunn (Robinson 1988)
– Le site de Dominique Thimonier: http://heritageechecsfra.free.fr

« Tartacover vous parle »
Maroczy,Geza - Tartakower,Saviely, DSV in der CSR-ch01 Meisterklasse Teplitz Schoenau (4), 05.10.1922

Publié le , Mis à jour le

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Les réactions (2)

  • Icare

    belle chronique (comme d'hab!) et bel hommage aussi.
    Merci à Georges Bertola et Gérard Demuydt.
    N'est-ce pas Tartakover qui avait dit, devant un échiquier où toutes les pièces étaient sur leur case de départ : "Toutes les erreurs sont là, prêtes à être commises."

    • EuropeEchecs

      Savielly (Xavier) Tartakover était en effet connu pour ses nombreux aphorismes.

      « Un pion isolé assombrit tout l’échiquier. »
      « Les finales de Tours sont toujours nulles. »
      « Les échecs sont un conte de fées de 1001 gaffes. »
      « Les grosses bourdes sont là, sur l'échiquier, attendant d'être commises. »
      « Qu'il faut, pour être le veinard, des gaffes aux échecs, faire l'avant dernière. »