Petrosian – Gligoric, 1970

Ivkov, Gligoric, Spassky, Keres et Najdorf en 1970
Georges Bertola vous propose « Les grandes parties du passé ». Svetozar Gligoric fut un collaborateur d’une chronique très appréciée du magazine « Europe-Echecs » avec « La partie du mois ».

Svetozar Gligoric (1923-2012) était le meilleur joueur venu de Yougoslavie depuis l’après-guerre. Il devait le rester jusqu’au milieu des années 70 avant d’être devancé par Ljubomir Ljubojevic (né en 1950).

Portrait de Svetozar Gligoric avec signature

Ces deux champions étaient présents au tournoi de Milan 1975 et si « Ljubo » débordait d’énergie, prompt à analyser et commenter les parties, « Gliga » gardait une distance, une élégance, une discrétion où il apparaissait maître de ses émotions.

Je savais qu’il partageait une solide amitié avec Bobby Fischer et qu’il s’était engagé dans la résistance lors de l’invasion de son pays par les nazis.

Svetozar Gligoric, Tigran Petrosian et Robert James Fischer

« Je suis issu d’une famille pauvre. Mon père Dragoje mourut à l’âge de 32 ans, lorsque j’avais 9 ans, ma mère Ljubica à 37 alors que je n’avais que 17 ans. Je me suis retrouvé seul, livré à moi-même, cinq mois avant l’attaque surprise d’Hitler contre la Yougoslavie. Pendant la courte guerre d’avril 1941, pour des raisons de sécurité, j’ai quitté Belgrade pour entreprendre un voyage aventureux au Monténégro (en compagnie de la famille chez qui il vivait). En août 1942, devant la croissance des mouvements de résistance, nous sommes partis pour une région montagneuse désertique où il n’y avait ni route, eau ou électricité. En 1943, de mon propre chef, j’ai rejoint les combattants de la guérilla (les partisans communistes de Tito).

Dans une Yougoslavie démembrée en zone d’occupation allemande ou protectorats italien, hongrois ou bulgare, sans compter les rivalités qui opposaient les mouvements de résistance du général Dragoliub Mihailovic et des communistes de Joseph Broz, alias Tito. Il y avait aussi les mouvements collaborateurs des nazis en Croatie ou en Serbie, avec pour conséquence un bilan particulièrement lourd en vies humaines entre 1941-45.

« J’ai découvert pendant la guerre que la vie humaine ne vaut rien et que personne ne se soucie de personne.» GM Svetozar Gligoric

Gligoric finira sa carrière militaire avec deux décorations et le grade de capitaine. Ce fut cinq années importantes perdues pour sa carrière de joueur. Gligoric avait débuté la compétition vers l’âge de 13 ans, pour devenir champion junior de Belgrade en 1937 et en 1939, à 16 ans, il fut sacré champion de Belgrade. La même année à Zagreb, il remporta le championnat national amateur avec en prime le titre de « Maître national ».

En 1947 il s’imposa sur le devant de la scène internationale en remportant le très fort tournoi de Varsovie, devançant de 2 points des joueurs de premier plan comme les Soviétiques Smyslov et Boleslavsky ou le Tchécoslovaque Pachman.

Gligoric est alors pris très au sérieux par les autorités sportives soviétiques qui le percevaient désormais comme dangereux et par conséquent évitèrent d’envoyer leurs meilleurs joueurs dans les tournois où participait le jeune champion. Durant cette période, il était l’un des rares espoirs qui pouvait tenir tête et écorner leur réputation d’invincibilité.

Caricature de Gligoric, 1950

En 1950 lors de l’Olympiade de Dubrovnik, la première organisée après-guerre, Gligoric joua au premier échiquier de l’équipe de son pays qui remporta la médaille d’or. Il faut relever l’absence des Soviétiques et des pays frères en raison des tensions qui étaient apparues entre Staline et Tito. Les publications comme « Le bulletin ouvriers des échecs » adoptèrent la ligne de Moscou en minimisant l’évènement :

« Un tournoi groupant les équipes de 16 nations vient de se dérouler à Dubrovnik. C’est l’équipe Yougoslave qui a remporté l’épreuve devant l’Argentine et les U.S.A. L’absence de l’U.R.S.S. et des démocraties populaires ne confère à ce résultat qu’une valeur relative. »

La rupture politique était survenue en 1948 devant le refus de laisser subordonner le développement du pays aux intérêts de la bureaucratie de l’URSS, soit assurer le monopole russe sur toutes les branches de l’industrie et exploiter les ressources naturelles et celles des matières premières à leur profit. Ceci fut rendu possible car les Yougoslaves s’étaient libérés de l’occupation nazies sans l’aide directe de l’Armée rouge.

Quelques mois plus tôt, Gligoric s’était adjugé la première place du traditionnel tournoi de Mar del Plata en Argentine et, lors du Congrès de la FIDE de 1951, il obtint le titre de « Grand Maître » sans avoir été parrainé, ses résultats étaient une preuve suffisante de son talent.

En 1952, une 8ème place au championnat de Yougoslavie, alors que jusqu’ici il avait trois titres de champion de Yougoslavie et la presse parlait déjà de son déclin. En 1953, il enregistra le plus mauvais résultat de sa carrière au tournoi des candidats de Zürich avec une 13ème place, devançant seulement Euwe et Stahlberg.

Après la mort de Staline en 1953, ce n’est pas vraiment la détente. Tito n’adhéra pas au pacte de Varsovie, créé en 1955 par Khrouchtchev dans un contexte de guerre froide, pour faire contrepoids aux forces de l’OTAN. Pour Gligoric sa situation depuis 1948 était devenue difficile car rarement invité dans les pays de l’Est et l’URSS en dehors des Olympiades et des tournois qualificatifs pour le titre mondial. Il rencontrait aussi des difficultés pour jouer aux USA car considéré comme citoyen d’un pays communiste. Il subit une forme d’ostracisme qui fut certainement un frein, auquel il faut ajouter les années de guerre, à sa progression durant cette période trouble.

En 1956 après l’Olympiade de Moscou, le « Mémorial Alekhine » fut son premier tournoi disputé en URSS depuis le « Mémorial Tchigorine » de 1947. Ce fut aussi la réconciliation des autorités sportives soviétiques avec le 4ème champion de l’histoire, Alexandre Alekhine. Pour le 10ème anniversaire de sa mort, une délégation qui comprenait Smyslov, Keres, Bronstein, Geller et Petrosian s’était rendue à Paris au cimetière Montparnasse pour lui rendre hommage.

Ivkov, Gligoric, Spassky, Keres et Najdorf en 1970

Gligoric démontra qu’il avait l’étoffe d’un prétendant en obtenant une excellente 4ème place mais c’était peut-être déjà trop tard. Il avait 33 ans et ne disposait pas du soutien logistique que pouvait apporter le système soviétique. Devancé par Botvinnik, Smyslov et Taïmanov, ses chances de pouvoir disputer un titre mondial devenaient minimes, éclipsées par l’arrivée d’une nouvelle vague de très forts joueurs provenant d’Union soviétique avec Vassily Smyslov (1921-2010), Tigran Petrosian (1929-1984) et Mikhaïl Tal (1936-1992).

En 1956 un premier match opposant L’URSS à la Yougoslavie se tint à Belgrade. Les Russes s’imposèrent avec facilité alors que Gligoric obtenait le meilleur résultat de l’équipe yougoslave mais à Leningrad en 1957 ce fut presque un affront de sa part que de réaliser une performance inégalée, jugée impossible, avec 6 sur 8 possibles ! (+5 =2 -1). Parmi ses victimes l’élite des joueurs soviétiques : Tolush, Petrosian, Korchnoi, Holmov et Furman, un désastre face à la seule victoire obtenue par Geller.

En 1958 il pouvait encore espérer viser le titre mondial avec le meilleur résultat au premier échiquier lors de l’Olympiade de Münich devançant Botvinnik avec 12 points sur 15 possibles et une 2ème place , derrière Tal, au tournoi interzonal de Portoroz. Malheureusement le tournoi des candidats de 1959 devait mettre un terme à ses espoirs avec une 5ème place en compagnie du prodige américain Bobby Fischer. Sa dernière chance, après avoir obtenu sa qualification lors de l’interzonal de Sousse en Tunisie, fut son match à Belgrade en 1968 en quart de finale du championnat du monde contre l’ex-champion du monde Tal, son cadet de 13 ans.

« Je menais au score après 5 parties et Tal et son secondant Koblentz croyaient que j’allais gagner le match. Puis dans la 6e partie, stupidement irrité par le commentaire d’un journaliste sur « la monotonie de notre duel » , je me suis surpris moi-même, en prenant une décision soudaine dans notre 6e partie, en jouant au 3e coup 3.f3 au lieu de 3.c3 où je n’étais pas préparé. Après cette défaite, je m’écroulais. » GM Gligoric

Svetozar Gligoric et Mikhaïl Tal

« Gligoric respecte les lois de la stratégie, il a la capacité de punir les adversaires qui enfreignent ces mêmes lois, une technique supérieure en finale… Plus caractéristique et concret, il croit à un fort centre de pions, a une petite préférence pour les Fous, une aversion pour les positions passives. Certaines faiblesses sont un facteur constant dans son jeu. Notamment il ne se sent pas très à l’aise lorsque des complications lui sont imposées par son adversaire. (Bien que l’on puisse difficilement appeler sa vision tactique de talon d’Achille.) Ses préférences pour les ouvertures n’ont pas beaucoup varié. Il suit les tendances actuelles de telle ou telle ouverture, mais, par exemple, la défense Est-indienne a été son arme favorite pendant une bonne vingtaine d’années. Il a son type de positions préférées et quand il parvient à les obtenir, il crée des parties modèles sur la manière de les traiter. Peu importe le niveau d’opposition auquel il est confronté lorsqu’il a de telles positions. » L'ex-champion du Monde Tal

Svetozar Gligoric

Svetozar Gligoric fut un collaborateur d’une chronique très appréciée du magazine « Europe Echecs » avec « La partie du mois ». Il était une référence incontournable et je me souviens de son livre sur le match du siècle Spassky-Fischer aux éditions Payot, l’un des rares ouvrages que nous pouvions trouver en français. Il était incontestablement l’un des meilleurs spécialistes de la planète échecs et, sans trop le connaître, je le percevais comme une personnalité attachante, modeste et sympathique. « C’était un vrai gentleman, comme beaucoup de joueurs de cette génération ; Keres, Smyslov » me confia Florin Gheorghiu. « En 1974 à Pasadena nous avions rendez-vous, Gliga et moi, avec Bobby qui ne jouait plus depuis son match contre Spassky mais restait la personnalité la plus célèbre des joueurs d’échecs. Lorsque nous sommes arrivés, Fischer ne s’est pas présenté car il était convaincu que des journalistes nous avaient suivi pour le photographier ! Nous n’avons eu finalement qu’un contact téléphonique. »

Svetozar Gligoric, musicien, en 2011

Peu avant sa mort, alors que Gligoric avait délaissé les échecs pour composer de la musique, j’avais souhaité me rendre à Belgrade avec le GM Bachar Kouatly pour une interview. Une joueuse d’échecs, Alisa Maric, était à la tête du ministère des sports et de la jeunesse, ce qui devait faciliter notre rencontre, mais le décès de Svetozar Gligoric, survenu le 14 août 2012, devait mettre un terme à ce projet.

Tabelle Zagreb 1970

Voici sa victoire contre Petrosian, extraite du « Tournoi de la paix Zagreb 1970 » où il partage la 2ème place derrière Bobby Fischer. En 1963 lorsque Petrosian remporta le titre de champion du monde, sa première défaite fut aussi l’œuvre de Gligoric, considéré comme sa bête noire.

Caricature Petrosian
Caricature Gligoric

« Je crois qu’il y a deux types de joueurs qui pratiquent l’Est-indienne. Ceux qui se basent sur les connaissances et les analyses, les autres selon leur intuition et leur compréhension.» Boris Gelfand

Gligoric réunissait les deux !

Petrosian,Tigran V - Gligoric,Svetozar, Rovinj/Zagreb Zagreb (5), 16.04.1970. Défense Est-Indienne [E97] [Par Svetozar Gligoric & Georges Bertola]

1.d4 f6 2.c4 g6 3.c3 g7 4.e4 d6 5.e2 0-0 6.f3 e5 7.0-0 c6

« La première réaction fut le coup naturel 7…bd7 mais en plaçant les Tours sur e1 et b1 les blancs conservent à la fois la tension au centre et leur avantage spatial. » GM Gligoric

8.d5

« Il est peu utile pour les blancs de maintenir la tension avec 8.e3 e8! 9.dxe5 dxe5 10.xd8 xd8 11.g5 d7 avec une bonne partie. Pomar-Gligoric (Lugano 1968) » GM Gligoric

8...e7 9.b4

Très analysé et souvent joué par Taïmanov. Sans perdre de temps, les blancs cherchent à s’emparer de l’initiative sur l’aile Dame. La variante 9.e1 d7 10.d3 f5 sera à l’origine de la variante de Mar del Plata qui opposa Najdorf à Gligoric au tournoi du même nom joué en Argentine en 1953 et dont le GM Kotronias consacrera un ouvrage de plus de 300 pages en 2014 !

9...h5

Après 9...♘h5

10.d2!?

« Jusqu’ici Petrosian avait tenu cette idée secrète. Il était habituel de jouer 10.g3 pour verrouiller l’accès de la case f4 au Cavalier noir. » GM Gligoric. De nos jours, il est intéressant de ne pas affaiblir les pions du roque mais poursuivre sur l’aile Dame avec par exemple 10.a4 Très à la mode était aussi 10.e1 pour retirer le Fou sur f1. 10...f4 11.c5 f5 (Plus positionnel 11...h6 12.d2 f5 13.c4 g5 14.a3 f6 += Inarkiev-Karthikeyan (Khanty- Mansiysk 2019)) 12.c4 fxe4 13.xe4 g4 14.a3 f5 15.h3 h5 16.h1 xg2! et l’attaque sur le roque équilibre les chances après 17.g5 e8 18.xg2 h6 19.e2 Zhigalko-Kovalev (Biélorussie 2014) 19...xf3+ 20.xf3 hxg5 etc.

« Une autre idée est 10.c5!? f4 11.xf4 exf4 12.c1 dans cette position les stratégies respectives des blancs et des noirs sont rapidement clarifiées. Les blancs doivent jouer sur l’aile Dame et aussi si possible sur les cases blanches, dans cette perspective un échange du Fou de cases blanches sera à leur avantage. Les noirs joueront pour un contre-jeu sur les cases noires, notamment en utilisant la case e5. Avec pour but …h6, …g5, …g6-e5. » GM Speelman

10...f4

« Le Cavalier est très fort sur cette case mais il ne peut y rester pour toujours et l’idée de Petrosian est basée sur le fait que les noirs ont utilisé deux tempi pour cette manœuvre et le cavalier fait obstacle à la poursuite de l’avance des pions noirs. » GM Gligoric

11.a4

« Le Fou ne peut venir immédiatement sur f3, 11.f3 d3 12.a3 a5 et l’autre Fou blanc n’a pas de bonnes cases où aller. » GM Gligoric

11...f5

« A ce moment, j’avais le sentiment que j’étais en grand danger d’être débordé sur l’aile Dame, donc tous mes coups étaient motivés pour obtenir une contre-attaque rapide et neutraliser l’initiative blanche. Ma première idée était de réduire la pression menaçante des blancs après 12.c5 en jouant 12…fxe4 et 13…f5 . Toutefois, le simple 11…xe2 était peut-être jouable dégageant la voie pour les pions noirs. » GM Gligoric

12.f3

« Jusqu’ici les noirs se battaient dans l’obscurité ne sachant pas exactement le fondement du plan des blancs, et le coup de la partie provoqua un petit choc psychologique qui coûta plus de 5 minutes. Aurais-je dû éliminer ce Fou plus tôt ? Parce que maintenant c’est trop tard pour 12…d3 13.a3 et l’autre Fou est actif et en sûreté derrière le pion "a", ce qui était l’idée du 11e coup blanc. » GM Gligoric

12...g5!

Après 12...g5!

« Après cette première surprise, les noirs dépensèrent 20 minutes pour rechercher la meilleure solution dans ce moment critique. Le coup joué est probablement la seule solution. Les noirs affaiblissent leurs cases blanches mais accélèrent leur action sur l’aile Roi qui a son importance pour maintenir l’équilibre dans cette position tranchante. Ici 12...fxe4 avec l’intention de réduire la pression du centre des pions blancs était beaucoup plus lent. Après 13.dxe4 f5 14.g3 l’autre Cavalier noir était dans une position déplaisante. Après le coup de la partie, à cause de la menace 13…g4, les noirs atteignent une position similaire deux tempi plus tôt.»  GM Gligoric — Cela reste à démontrer car après 14...h3+ 15.g2 d7!? les complications sont difficiles à juger.(15...d4? 16.g4!+-)

13.exf5 xf5

« Mais pas 13...xf5 parce que la tâche principale est de mettre en jeu le Cavalier passif. » GM Gligoric

14.g3

« Les blancs n’ont pas le temps pour 14.de4 à cause de la menace 14...h4 » GM Gligoric

14...d4!?

Après 14...♘d4!?

« Ici, ce coup me semblait la seule bonne réaction. Ce n’est pas un sacrifice sauvage mais plutôt une suite positionnelle active qui, au moyen de ce sacrifice, devrait résoudre le problème du maintien de l’équilibre. Ceci parce qu’après 14...g6 les pièces noires seront repoussées et les blancs auraient non seulement un avantage spatial mais aussi une  domination des cases blanches. » GM Gligoric

Ce sacrifice, dans le style de Tal , aux conséquences incalculables dont on trouve la réfutation généralement après, lorsque la partie est terminée, fut certainement un choc pour Petrossian !

Pourtant il existait une solution plus positionnelle au vu de la partie Keene-Kavalek (Teeside 1975) qui se poursuivit avec 14...h3+! 15.g2 d7!! (Kavalek pour s’opposer à l’arrivée du Fou sur g4) et ici :

16.b3 (16.g4 xf2!; 16.de4 d4 17.h5 f4+!) 16...d4 17.xd4 exd4 18.b5 c6! 19.a3 (19.xd4 xf3!) 19...xf3 20.xf3 g4 Keene-Kavalek (Teeside 1975) et les noirs ont un dangereux contre-jeu sur les cases blanches affaiblies.

16.e4!? g4 17.b3 e7 18.d3 h5 19.c5 f4+ un sacrifice à la Tal. 20.gxf4 exf4 Manion -Smirin (Las Vegas 1997) et ici 21.d2! GM Smirin et la position reste difficile à évaluer.

15.gxf4 xf3+

15...exf4 16.b2!? g4 17.h1! xf3 18.xf3 f5! 19.g1 h5 20.g2! les blancs ont consolidé la défense et les noirs doivent se battre pour prouver qu’ils ont des compensations.

16.xf3?

« Un  choix plus prudent était 16.xf3 exf4 (16...e4? 17.xg5! xc3 18.a3 g7 19.g3+- Martin-Britton, Angleterre 1991) 17.b2 g4 18.h1! avec l’intention de rendre la pièce pour équilibrer la position devenue dangereuse sur l’aile Roi . » GM Gligoric — Bien vu mais ce n’est pas tout-à-fait l’équilibre : 18...gxf3 (18…Tf5!? Voir commentaire précédent) 19.g1! et l’ouverture de la colonne "g" est à l’avantage blanc.

16...g4 17.h1

« Je n’avais ni prévu, ni attendu un tel coup passif. Cependant, la manœuvre est typique du style original de Petrosian. Ici il était probablement meilleur de jouer 17.d3 f5 (Petrosian préféra après la partie 17...exf4 18.f3 f5 19.de4 gxf3 avec des chances de nulle comme le montre la variante 20.xf3 xc3 21.xc3 xe4 22.xf4 g5+ 23.g3 xg3+ 24.hxg3 (= Gligoric) 24...xf4 25.xf4 a5 26.bxa5 xa5 27.e1 g6 28.e7 c5 jugé avantageux pour les noirs par Sylvain Zinser mais 29.h6!= xc4 30.g7+ h8 31.d7 g8 32.g7+ met un terme à cette illusion.) 18.de4 exf4 19.xf4 rendant la pièce pour du contre-jeu 19...xe4 20.xe4 xc3 21.a3 avec des chances égales. Avec le coup de la partie, les blancs veulent préserver leur Roi des menaces de mat mais la Dame va se retrouver hors-jeu. »  GM Gligoric — « En jouant un coup comme cela il est essentiel d’avoir une grande confiance en ses capacités. »

Le GM Speelman préfère 17.d1!? exf4 18.de4 h4 (18...f3 19.g5 e8 20.d2! h5 21.h1 e5 22.g3 h3 23.g1+-) 19.f3! gxf3 avec des compensations insuffisantes pour la pièce. 20.xf3 g4 21.f2 etc.

17...exf4 18.b2

Après la partie Petrosian a proposé 18.a3!? Kasparov poursuit avec 18...h4 19.de4 (Intéressant est aussi 19.e2! e5 20.f3 et les blancs font mieux que se défendre, par exemple 20...f6 21.fxg4 g6 22.xf4 xg4+ 23.g3 +=) 19...e5 20.d2 f5 21.e1 ae8 avec l’intention de doubler les Tours sur la colonne « e » et les blancs ont des chances de tenir la position.

18...f5

« Les noirs auraient pu jouer 18...f3 pour empêcher la Dame de jouer mais ils essaient, en vain, d’éviter de céder les cases e3 et g3 pour les Cavaliers blancs. » GM Gligoric

19.fe1 f3

Après 19...f3

« Il y avait la menace d’activer la Dame avec 20.g2, c’est donc le dernier moment pour resserrer l’étau autour du Roi et de la Dame de l’adversaire. » GM Gligoric

20.de4?!

« 20.h4 était jouable mais les noirs conservaient une forte attaque. » GM Gligoric Un exemple 20...gxh3 21.xf3 (21.xf3 g5+) 21...g4! avec une jolie menace cachée après 22.d2? xf2!! 23.xf2 h4+ 24.e3 g3+ 25.f3 f8 26.f1 h6+ 27.e2 f4! menace 28.Dd2 mat et regagne avantageusement le matériel.

Faible aussi 20.d1? xb2 21.xb2 f6 22.a2 ae8-+ GM Speelman
À considérer 20.f1!? qui semble offrir une meilleure résistance.

20...h4 21.h3?

« Les blancs ne peuvent permettre 21…Dh3 qui condamnerait définitivement la Dame blanche à languir, impuissante, sur la case h1. » GM Gligoric — Pourtant ce n’est pas aussi évident après 21.g3!? h3 22.e7! et il faut apporter la preuve que les noirs sont gagnants.

Ou 21.d1!? xb2 (21...h6!?; 21...h3 22.xg7 xg7 23.g3) 22.xb2 h3 23.e3 xe4 24.xe4 fe8 25.ae1 et selon Kasparov on ne peut encore affirmer que la position est perdue pour les blancs.

21...e5! « Maintenant l’attaque noire est irrésistible. » GM Gligoric 

Après 21...♗e5!

22.e3

« Sans espoir est 22.hxg4 (22.d1 ae8-+ Kasparov) 22...xg4+ 23.f1 xc3 »  GM Gligoric

22...gxh3 23.xf3 g4! 24.h1 h2+ 25.g2 h5!

« Il a fallu du temps aux noirs pour trouver cette belle manœuvre qui est le moyen le plus efficace de continuer l’attaque et la bataille pour les cases blanches f3 et h3 à proximité du Roi blanc. La réponse blanche est forcée parce qu’ils doivent protéger f3. » GM Gligoric

26.d2 d4!

« Les noirs attaquent le défenseur principal, la Tour qui doit défendre la 3e rangée. » GM Gligoric

27.e1

« Si 27.ae1 h3+ 28.xh3 g4+ suivi du mat avec 29.Txf2 » GM Gligoric

27...ae8 « Amenant la dernière pièce dans la bataille. » GM Gligoric

Après 27...♖ae8

28.ce4

« Les blancs préfèrent redonner la pièce plutôt que d’affronter la variante 28.h1 xe3 29.fxe3 f3+ 30.xf3 xf3+ 31.xh2 e5+ suivi du mat. » GM Gligoric

Après 28.xe8 xe8 29.c1 pour tenter de sauver le matériel 29...e5! 30.ce4 h3+ 31.h1 f3+ 32.xf3 xf3+ 33.xh2 h5+ suivi du mat.

28...xb2 29.g3 e5 30.aa3 h8

Ou 30...xg3 31.xg3 xf2+ 32.xf2 h1 33.xg4+ h8-+

31.h1 g8 32.f1 xg3 33.xg3?

Une dernière erreur mais 33.xg3 h6 ne sauvait pas la partie.

33...xe4 0-1 Cette partie obtint le prix de beauté du tournoi.

Après 33...♖xe4 0-1
Petrosian,Tigran V - Gligoric,Svetozar, Rovinj/Zagreb (5), 16.04.1970.

A l’époque beaucoup de commentateurs se contentaient de juger la position avec des critères souvent subjectifs. Le GM Geller, par exemple, commentait ainsi le 14ème coup noir :

« Quand vous jouez pour le gain, vous ne devez pas avoir peur de sacrifier ! »  ou d’autres qui après 16.Dh1 utilisaient la formule de Tarrasch : « Une pièce mal placée rend mauvaise toute votre positon. » Pourtant cela faisait partie du style inimitable de Petrosian ! « En jouant un coup comme celui-là, il est essentiel d’avoir une grande confiance en ses capacités !» Nesis

Cette vision superficielle qui concernait beaucoup de joueurs titrés est révolue. Avec l’arrivée des ordinateurs, il faut du concret et le prouver avec des variantes. Comme le démontre l’intuitif 17.Ta3!?, proposé par Petrosian, qui permet aux meilleurs programmes de révéler que la lutte était encore loin d’être terminée.

Fischer et Petrosian à Zagreb en 1970

Bobby Fischer avait également remporté ce qui était présenté comme le plus fort tournoi blitz joué jusqu’ici, il devançait la cohorte des meilleurs Soviétiques : 1.Fischer 19 points, 2.Tal 14,5, 3.Kortchnoi 14, 4.Petrosian 13,5, 5.Bronstein 13 etc.

Une telle démonstration de supériorité avec 4,5 points d’avance sur Tal ne devait pas être exagérée selon la presse de l’époque car le blitz ce n’est pas trop sérieux. Une maigre consolation pour les Soviétiques mais le pire était encore à venir.

Livre de Svetozar Gligoric

« Que nous le voulions ou pas, les joueurs sont forcés de changer leur style de vie pour devenir plus ou moins dévoués à leur carrière échiquéenne. Cependant, il est impossible de tout mémoriser dans sa tête. Ainsi de nombreux joueurs tentent d’alléger leur fardeau en restreignant leur répertoire personnel d’ouvertures. C’est d’’ailleurs la pratique de beaucoup de Grands-Maîtres, alors qu’en fait ils devraient être les meilleurs penseurs, que de s’asseoir devant l’échiquier avec une préparation « maison » lorsqu’ils doivent faire face à un dangereux rival… et la pendule. Et donc, de nos jours, il n’y a plus beaucoup d’improvisation à l’échiquier. Cependant, personne ne peut être sûr qu’il pourra éviter une surprise, soigneusement préparée par l’adversaire. Survient alors une situation singulière où la meilleure solution doit être recherchée sur l’échiquier, tandis que la pendule égrène les minutes d’un temps précieux. » GM Gligoric en 2001

Georges Bertola

Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles et tous les lecteurs qui par leurs remarques positives m’ont incité à poursuivre.