Portisch vs Larsen, 1972

Les grandes parties du passé par Georges Bertola. Lajos Portisch fête ses 85 ans ! Il était surnommé le « Botvinnik hongrois ». Cette victoire sur Bent Larsen, l’un de ses grands rivaux, permit à Portisch de partager la 1re place avec Karpov et Petrosian.

La meilleure partie de « l’ Informateur 14 » fut l’œuvre de Lajos Portisch (né le 4 avril 1937). C’était la troisième fois qu’une de ses parties se retrouvait à la tête du classement ! La première était une victoire contre Johannessen à La Havane en 1966, et la seconde une défaite contre Botvinnik à Monte-Carlo en 1968.

« Portisch est né stratège. Généralement les grands talents des échecs jouent dans un style combinatoire et offensif dans leur jeunesse pour se calmer plus tard. Portisch, comme Botvinnik, est une des rares exceptions. » Varnusz

Les participants au tournoi de San Antonio 1972. Debout au centre Portisch et Larsen côte à côte.

Portisch était surnommé le « Botvinnik hongrois ». Il était comparable au patriarche des échecs soviétiques dans son approche très sérieuse des échecs. Portisch avouait consacrer six à sept heures par jour à l’étude du jeu. Il était calme et impassible devant l’échiquier, fairplay et bon perdant. Des qualités qui firent que Portisch passait plutôt inaperçu au vu des médias malgré ses bons résultats. Selon son biographe Hajtun, son dévouement total au noble jeu ne pouvait être comparé qu’avec Bobby Fischer qui lui aurait dit :

« Je consacre aux échecs tellement de temps, que les autres me considèrent comme fou ! »

Issu d’une famille de musiciens, je me souviens de sa voix de baryton, grave et profonde, pour l’avoir entendu chanter à plusieurs reprises au tournoi de Bienne notamment.

Fin de l’année 1972, un tournoi important se déroula à San Antonio au Texas.

Les vainqueurs du tournoi de San Antonio 1972

« Portisch est un gentleman scrupuleux ainsi qu'un grand joueur. Sa conduite est toujours impeccable et il essaie vraiment de ne pas créer de problèmes sauf pour ses adversaires. » GM Koltanowski

« Le troisième homme du triumvirat partageant la première place était Lajos Portisch venu de Hongrie. J'ai peu d'impressions sur Portisch. Peut-être que ce manque même est significatif. Il fut cependant le seul joueur à battre Karpov. Portisch a travaillé dur pendant le tournoi, se retirant généralement dans sa chambre après les parties. Un sac en cuir noir, contenant de précieux secrets, l'accompagne presque partout.

Il est traditionnel dans sa tenue, poli dans ses manières (il lève son chapeau) et reste très discret. Sa présence à l'échiquier est appliquée et concentrée. Il a gagné 7 parties, fait 7 nuls et en a perdu une, contre Gligoric. La plupart conviennent que Portisch n'a pas joué son meilleur jeu depuis le match de mars 1970, URSS contre le « reste du Monde ». Mais sa formidable remontée dans la seconde moitié de ce tournoi, après un début terne, était vraiment admirable. » S. Rittenhouse dans le livre du tournoi

Bent Larsen et Lajos Portisch en 1964

Son adversaire Bent Larsen (1935-2010) était une figure héroïque apparentée aux derniers « Romantiques » des échecs.

« En 1965 Larsen avait éliminé Portisch des matches des candidats, mais depuis le champion danois a fait la connaissance d’un certain M. Fischer et il ne parvient plus à se remettre en selle. A quelques mois de distance, il vient de perdre deux fois contre le premier Hongrois, la première à Las Palmas en 1972. » S. Zinser

Caricature de Bent Larsen
Caricature de Lajos Portisch

Portisch,Lajos - Larsen,Bent, San Antonio (15), 10.12.1972. Défense Benoni [A70]

1.d4 e6 2.c4 c5 3.d5 exd5 4.cxd5 d6 5.c3 g6

« J'ai joué cela quelques fois, l'idée étant de garder la possibilité de développer le Cavalier en e7, mais ce n'est probablement pas très bon de toute façon… » GM Larsen

6.f3 g7

«…Donc là, il serait probablement plus sage de jouer 6...f6 pour rejoindre une position normale de la Benoni moderne. » GM Larsen. Et ici : 7.f4 (Plus tard en conduisant les Noirs Portisch différa le développement du Fou de cases noires : 7.e4 b5 8.e2 h5 9.g5 f6 10.e3 d7 11.g4 g7 12.h4 Petursson–Portisch (Reykjavik 1988) avec dangereuse initiative sur l’aile Roi selon le GM Petursson.) 7...a6 8.a4 g7 9.e4 g4 10.e2 0-0 11.0-0 e8 12.d2 xe2 13.xe2 h5 14.e3 d7 15.g4 hf6 16.f3 += Portisch,L (2650)-Kasparov,G (2625) Moscow 1981, une position critique où les Blancs ont neutralisé la poussée f5 et rendu la création d’un contre-jeu noir sur l’aile Dame difficile. Toutefois Kasparov réussit à annuler la partie.

7.f4!

« En prenant comme cible le pion d6, les Blancs s’efforcent de gêner le développement normal des Noirs ou au moins de fixer leurs forces et de réduire leur liberté de manœuvrer. » Kondratiev

7...f6

« Dans cette position après 6…f6 7.f4 la plupart des experts jouent 7…a6 pour éviter la ligne sur laquelle je suis forcé d’entrer maintenant, mais dans la position actuelle 7...a6 8.a4+ (8.e4) 8...d7 9.e4+ e7 10.xe7+ xe7 11.e4 +- » GM Larsen

8.a4+!

« Un gain de temps utile. L’idée est de forcer le Fou à occuper d7 où il interférera avec le développement harmonieux des Noirs. » Varnusz

Portisch - Larsen, 8.a4+!

8...d7

Pour éviter d’être déroqué, si 8...d7 9.xd7+ (9.xd6) 9...xd7 10.e4 +=

9.b3 c7

Une possibilité retient l’attention des ouvrages théoriques, 9…b5 un sacrifice de pion intéressant même si la compensation n’est pas tout à fait satisfaisante selon la théorie actuelle.

10.e4

« Toutefois pas 10.xd6 xd6 11.xb7 0-0 12.xa8 b6 L’idée derrière 8.a4+ était simplement d’attirer la Dame et le Fou des Noirs sur de mauvaises cases. » GM Larsen

10...0-0 11.e2

« Le coup de développement le plus logique qui crée en même temps les conditions pour réaliser la menace stratégique, la poussée e4-e5. » Kondratiev

De nos jours 11.d2 avec l’idée 12.c4 a la préférence, par exemple 11...h5 12.e3 f5 13.exf5 xf5 14.e2 f6 15.c4 e4!? (15...e8 !? GM Pavlovic) 16.0-0 xc3 17.bxc3 d7 += GM M. Petrov

11...h5

« 11…a6 ou 11…e8 sont-ils meilleurs ? Comme déjà mentionné, toute la variante a plutôt mauvaise réputation. » GM Larsen

Une partie Portisch,L-Fischer,R Palma de Mallorca 1970 s'était poursuivie avec 11...a6?! 12.e5 dxe5 13.xe5 c8 14.0-0 g4 15.h3 xf3 16.xf3 bd7 17.d6 avec une partie difficile pour les Noirs car le pion passé d pose des problèmes.

Intéressant est 11...b5!? 12.e5 (12.xb5 xe4 13.xe4 a5+ ; 12.xb5 xb5 13.xb5 xe4 14.0-0 d7 15.c6 d8 16.d3 c8 17.a6 f5 avec des complications peu claires (GM Miton)) 12...h5 (Une partie Timman-Ljubojevic (Amsterdam 1972) s’était
poursuivie avec 12...g4) 13.e3 c4 14.b4 c8 sans craindre 15.exd6 b7 car la Dame blanche est exposée.

12.e3 a6

Une partie Timman-Ljubojevic (Amsterdam 1972) s’était poursuivie avec 12...g4 13.h3 xf3 14.xf3 d7 15.xh5 gxh5 16.0-0 ae8 avec une structure noire endommagée que l’on retrouvera peu après dans la 3e partie du match du siècle Fischer-Spassky ! « Les pièces noires actives compensent la faiblesse structurelle. » GM Nunn: 0-1 (37) Timman,J-Ljubojevic,L Amsterdam 1972 (16...f5 17.exf5 xf5 fut joué dans la partie Vladimirov-Ilivitzki, URSS 1958 et ici 18.ad1 avec des chances égales selon Kapengut.)

13.d2

Portisch - Larsen, 13.d2

13...f5?!

« Cela s'avère incorrect. Je n'ai qu'une seule autre suggestion 13…d4. » GM Larsen

Depuis la pratique a privilégié 13...ab8 14.a4 b4 15.0-0 f5!? comme suite critique par exemple 16.c4 f4 17.d2 a6 18.e5 f5 19.exd6 f7 avec un jeu intéressant selon le GM M. Petrov.

14.exf5

« Après 14.xh5 gxh5 les Noirs ne sont pas mal grâce à la pression qu’ils peuvent organiser à l’aile Roi. » Sylvain Zinser

14...gxf5

« Evidemment pas 14…xf5 ou 14…xf5 à cause de la fourchette 15.g4. » GM Larsen

15.xh5 f4 16.0-0!

« Après 16.xf4 xf4 le pion de plus des Blancs serait plus sain, mais les Noirs obtiendraient un jeu plus actif pour leurs pièces. » GM Larsen

16...fxe3 17.fxe3

Le GM Taimanov jugeait la position peu claire mais c’est sans doute sous-estimer l’affaiblissement de l’aile Roi.

17...b4

Portisch - Larsen, 17...b4

« Larsen avait probablement analysé la variante jusqu’ici dans sa préparation. A première vue, il apparaît qu'il a obtenu une compensation suffisante pour le pion sacrifié. Les Noirs ont une paire de Fous, le pion blanc e3 arriéré sur une colonne ouverte reste une faiblesse, dans le cas où il avance sur e4, la case d4 est affaiblie, et, enfin, il y a le leurre de construire un plan à partir duquel attaquer e4. Cette évaluation néglige cependant que les Noirs ont aussi deux sérieuses faiblesses, e6 et h7, qui s'ajoutent au pion de moins, avec un avantage pour les Blancs au final. » Varnusz

Dans l’Informateur Borislav Minic sanctionne ce coup pour lui préférer 17...f5 18.b5?! (18.e4!? Kapengut) 18...e7 19.c4 b4 avec des compensations pour le pion.

18.ce4

« Nous commençons à voir, ou peut-être devrais-je dire, pendant la partie, c'est ici que j'ai réalisé que les Blancs pourraient très bientôt créer de fortes menaces contre le Roi noir, et qu'ils envisagent également d'envoyer ce Cavalier en e6. Le pion blanc de plus n'est vraiment pas très important, mais les pièces blanches peuvent produire des menaces avant celles des Noirs. Comme les Blancs sont prêts à repousser le Cavalier noir avec a3, les Noirs n'ont vraiment qu'un seul coup. » GM Larsen — En 1982 le GM Nunn jugeait cette position clairement avantageuse pour les Blancs.

18...a5

Si 18...h6?! 19.a3 a6 20.c4 +- gagne du matériel 20...e5 21.xe5 dxe5 22.d6+ etc.

19.g5

« 19.a4 b5 aurait aidé un peu les Noirs. » GM Larsen — Portisch jugeait la position avantageuse pour les Blancs après ce coup qui va faciliter l’accès de sa Dame sur l’aile Roi.

19...a4 20.c4 h6

« Quoi d’autre? 21.e4 était une très forte menace. » GM Larsen — Si 20...xb2? 21.f7+ h8 22.h4+- Ou si 20...b5? 21.e4+- Intéressant 20...f5 mais 21.h4! (21.e6 e7 22.xf8 xe3+ 23.h1 xf8 les Noirs ont du contre-jeu.) 21...e7 22.f7+ xf7 23.xf5! gagne du matériel.

21.e6!?

Obéissant au principe de Steinitz - Donnez-moi un Cavalier sur la 6e rangée et je gagnerai toutes mes parties. -

Toutefois plus direct 21.f7+! xf7 22.xf7! (22.xf7 e8 offre plus de résistance.) 22...hxg5 23.af1 e8 (pour empêcher 24.e4) 24.a3 a6 25.d3+-

21...xe6 22.dxe6

« Le pion du Roi qui se dirige vers la promotion sera un atout dans la main des Blancs jusqu'à la fin. La menace est 23.e7 qui divise les forces noires. » Varnusz

22...d5 23.f7+ h8 24.h4 e5

La seule possibilité pour se défendre. La menace était 25.f6.

Portisch - Larsen, 24...e5

25.f3!

« Portisch, doté d'un excellent sens tactique, ne plaisante pas avec la défense du pion, mais, sans perte de temps, déplace son Cavalier. L'ouverture de la colonne e augmente l'importance du pion e6. » Varnusz

« Maintenant ce serait bien sûr très stupide de la part des Blancs de gagner en échangeant, puisqu'après 25.e7 xe3+ 26.h1 xd2 les Noirs obtiennent une position très forte. » GM Larsen — Vision optimiste car après 27.exf8+ xf8 28.e6 +- les Blancs conservent une puissante attaque.

25...xe3+

Ou 25...xb2 26.g3 avec l’idée 27.h4 +- (26.h5 Portisch) car si 26...xa1 27.xa1 xa1 28.g6 g7 29.g5 et le mat est inévitable.

26.h1 d3

« Après 26...e4 27.xe4 (27.g3) 27...dxe4 28.h4 pion passé e6 coûte trop cher. » GM Larsen

27.ae1!

« Un joli sacrifice de qualité qui jette toutes les pièces blanches à l’attaque. » Sylvain Zinser

27...xe1 28.xe1 d3

Portisch - Larsen, 28...d3

29.h5!

Après cela il est impossible de se défendre contre la menace 30.e7 +-. « Je ne sais pas ce que Portisch projetait quand il a renoncé à l'échange au 25e coup, mais ici il s'est arrêté pour réfléchir pendant un long moment. J'espérais 29.e5?! xe5 30.xh6+ h7 31.xh7+ xh7 32.xe5 c4 33.xd5? fd8! mais finalement lorsque vint son coup, il était l’un de ceux où il n’y a pas de réplique. » GM Larsen

29...a3 30.b3 c3

« Pur désespoir. Il n’y a rien à faire contre 31.e7 et 30…xf7 31.xf7 n’est d’aucune aide. Maintenant j’avais projeté d’abandonner si les Blancs avaient joué 31.g6!, mais il n’y a rien d’incorrect dans la solution de Portisch. » GM Larsen

31.e7! g7

« Après 31...xf7 32.xf7 le gain le plus rapide n’est pas 33.e8=+ mais 33.e5! » GM Larsen. — « 31...xe1 32.exf8+ xf8 33.xh6+ +-. »  GM Portisch

32.exf8+ xf8

« Les Blancs ont l’avantage d’une pièce, mais deux de leurs pièces sont en prise. Cependant Portisch avait considéré dans son calcul que si le Fou de son adversaire devait se déplacer de la grande diagonale, cela ouvrirait la voie à l'attaque des Blancs décisive. » Varnusz

33.xd5! xe1 34.e5+ f6 35.e7+ Et les Noirs abandonnèrent. 1-0

Portisch - Larsen, 35.e7+ 1-0

Si 35...g6 36.e5+ g5 37.xd3 gagne la Dame car la Tour est clouée mais beaucoup mieux 36.e8+ qui force le mat.

Lajos Portisch

Cette victoire sur l’un de ses grands rivaux permit à Portisch de partager la 1re place avec Karpov et Petrosian.

« Ils étaient plus prudents que moi. Dans la dernière ronde, ils n'ont pas voulu jouer pour le gain avec les Blancs (10 coups pour Petrosian contre Suttles qui réalisa une norme de GM et 9 coups pour Karpov contre Mecking). Ils se sont calmement retranchés derrière leur demi-point d’avance. Bien que Fischer, qui était présent en tant que spectateur lors de la dernière ronde, les a critiqués pour cette attitude, cela ne veut pas dire qu'il avait raison. Si un joueur mène tout au long d'un tournoi, il ne met pas en jeu le résultat de son travail dans la dernière ronde. En fin de compte, je peux dire que j’ai été chanceux car dans la dernière ronde, j'ai été opposé avec le plus grand joueur partisan du hasard, Larsen. Le Grand Maître danois avait déjà perdu patience au cours du tournoi et, de plus, un rhume le gênait. Cela doit être connu pour comprendre la partie car si nous avions joué dans d’autres circonstances, la victoire des Blancs semblerait assez facile. » GM Portisch

C’est le déséquilibre de la position, provoqué par des pièces noires massées sur l’aile Dame à la recherche d’un contre-jeu avec une aile Roi vulnérable, qui rend toute la variante pour le moins très risquée. Un véritable terrain de jeu tactique pour les pièces blanches à l’attaque du Roi ennemi !

Robert James Fischer en spectateur

« De tous les Grands-Maîtres actifs d'aujourd'hui, je trouve que celui dont le style est le plus attrayant, peut-être sans compter Fischer, est le Grand-Maître hongrois Lajos Portisch. Dans son jeu, il a une forme de combativité constante, qui n'est influencée ni par l'imprudence ni par la timidité, et rend constamment ses parties passionnantes. » MI Golombek en 1972

« San Antonio n'a pas été ma seule victoire en tournoi en 1972, une année particulièrement réussie pour moi. Avant San Antonio, j'ai gagné deux tournois ; Wijk aan Zee et Las Palmas. De plus, j'ai terminé troisième à Teeside. En 1972, j'ai rejoint le club fermé de l'élite mondiale des échecs et je pense que j’y suis resté pendant une décennie. » GM Portisch

Une petite curiosité, la première victoire couronnée par l’Informateur était aussi une splendide attaque sur le roque.

Son adversaire Svein Johannessen (1937-2007), un contemporain de Portisch, fut le 2e joueur norvégien à obtenir le titre de Maître International.

Il avait pourtant bien résisté à la tempête provoquée par le champion hongrois et c’est beaucoup plus tard que les analyses ont démontré qu’il disposait d’une possibilité cachée en lieu et place de son dernier coup pour se tirer d’affaire…

Svein Johannessen et Lajos Portisch en 1965

Portisch,Lajos - Johannessen,Svein, Olympiad-17 Final A Havana (1), 04.11.1966. Défense Semi-Slave [D47]

1.d4 d5 2.c4 c6 3.c3 f6 4.e3 e6 5.f3 bd7 6.d3 dxc4 7.xc4 b5 8.d3 b4 9.e4 b7 10.xf6+ xf6 11.a4 e7 12.d2 a5 13.e4 0-0 14.e5 d7 15.c2 h6

Portisch - Johannessen, 15...h6

« Cet affaiblissement ne pouvait être évité, car les Noirs pouvaient difficilement se défendre de manière satisfaisante après 15…g6 16.h4 suivi par 17.h5. » MI Fuchs

16.h4!?

Maintenant cette poussée semble moins justifiée puisque l’ouverture de la colonne « h » est rendue plus problématique.

16...c5 17.h3

« Ce coup et l'attaque qui a suivi ont exigé des Blancs des calculs de grande envergure et une évaluation approfondie des chances dans la mesure où les Noirs avaient des contre-menaces à portée de main. » GM Shamkovich

« La Tour se joint à l'attaque. Les Tours entrent en jeu moins souvent sur la 3e rangée après 1.d4. » MI Karolyi

Le meilleur coup selon le MI Donaldson alors que selon le GM O’Kelly 17.g5? apportait une attaque décisive, mais c’est loin d’être le cas après 17...cxd4 et ici : 18.e4 (18.a6 xg5 19.xb7 xd2+-+) 18...d3! 19.xd3 (19.xd3 c8) 19...a6! 20.e3 c5! et le Roi blanc est le plus exposé 21.xa8 d3+-+

17...xf3 18.xh6!! Les grands moyens pour ouvrir la colonne « g ».

Portisch - Johannessen, 18.xh6!!

« C'est un sacrifice des plus imaginatifs et c'est vraiment magnifique. Maintenant, avec des outils modernes, nous pouvons trouver les bons chemins pour sauver les Noirs. Cependant, le coup est toujours correct dans le sens où les Blancs obtiennent une compensation jouable dans chaque variante. Néanmoins, ce coup féroce a fait tomber le joueur norvégien. » MI Karolyi

« L'intuition est la capacité d'évaluer une situation, et sans raisonnement ni analyse logique, de prendre immédiatement une décision correcte. Une décision intuitive peut survenir soit à la suite d'une longue réflexion sur la réponse à la question, soit sans elle. » GM V. Beim

Pour la plupart d’entre nous cela reste un mystère !

18...xh4 Une bonne défense pour les Noirs.

D’autres possibilités :
a) 18...gxh6 19.g3+ g5 (19...h8? 20.d2 g5 21.hxg5+- +- V. Sokolov) 20.gxf3 cxd4 21.f4 et l’attaque blanche persiste.
b) 18...cxd4!? 19.g3 f5 20.xg7+ h8 21.gxf3 xe5 22.xe7 xe7 23.xf8 xf8 24.0-0-0 et la position peu sûre du Roi noir offre des chances égales 24...b7 25.e2 d5 mais la position semble plus facile à jouer pour les Noirs.
c) 18...h5 19.xg7 (19.g3 f5 (19...g6 20.xg6 fxg6 21.xg6+ f7 22.xe6 xe6 23.c4+ f5 24.d3+ e6 avec échec perpétuel.) 20.xg7? f7 21.f6+ f8?! (21...g4!-+) 22.xe7+ xe7 23.g5 g4 24.g6 et les Blancs ont des compensations pour le pion. MI Karolyi) 19...xg7 20.g3+ g6 21.xg6 xh4 22.g4 et les Noirs restent sans défenses appropriées selon le livre du tournoi. C’est loin d’être une évidence après 22...g5! 23.e4 h8! et les complications sont peu claires.; 
d) 18...g4 19.g3 f5 20.xg4! f7! (20...fxg4 21.h7+ h8 22.xg7+!! xg7 23.g6+ h8 l’une des idées principales des Blancs projetée par Portisch et ici 24.g8! (GM Shamkovich) 24...f7 25.xf7 f8 26.h5+ (26.xe6!? b8? 27.h5+ g7 28.xg4+ +- GM Shamkovich) 26...g7 27.xe6 +-. GM Wells) 21.g6 f8 22.h5 xg6 (22...xd4!?) 23.hxg6 f8 24.f4 e8 25.d5 xg6 26.c4 xg2 27.d6 h4 28.xe6+ h8 29.0-0-0 et les pions centraux passés liées offrent des compensations pour la qualité. MI Karolyi

Il est évident que ces complications résultent d’un choix « intuitif » et du sens tactique du champion hongrois car il n’a pas pu tout calculer !

19.gxf3 gxh6 20.e2

Libère l’accès à la colonne g pour la Tour a1, la seule pièce qui était encore inactive.

Portisch - Johannessen, 20.e2

20...xe5?

Le MI Johannessen avait rejeté : 20...f5 21.g1+ h7 (21...f7 22.c4+-) 22.d2 g8 23.gh1 et la pression exercée via la colonne h permet de récupérer du matériel.

Les joueurs avaient également considéré 20...g5 21.g1 et ici : 21...h8? (21...g7 22.f4 et les Blancs ont l’attaque car 22...cxd4 (MI Karolyi) est réfuté par 23.xg5+! hxg5 24.h7+ g8 25.c1! f5 26.h1 f6 27.h6+-) 22.d2!! (MI Fuchs pour la galerie, la menace est 23.Txh6+) 22...xd2 23.xd2 et le mat est inévitable.

20...e8 21.g1+ f8 22.c1 g5 23.f4 h4 jugé peu clair par  le MI Karolyi 24.f5! g5 25.f4 h4 26.fxe6 xe6 27.f5 et le jeu s’ouvre sur l’aile Roi au service de l’attaque.

21.dxe5?

21.g1+ pointé par le MI Johannessen était décisif 21...g5 (21...g6 22.xg6+-) 22.dxe5 d4 23.xh6 xe5+ 24.f1 fd8 25.h5+-

21...d4! Le seul coup pour tenir grâce à l’attaque sur f2.

Si 21...g5 22.f4 xf4 23.g1+ h8 (23...g5 24.xh6+-) 24.c4 d4 25.xd4 cxd4 26.g4 gagne une pièce. 26...c1? 27.f4+-

22.xh4!

Trop lent est 22.g1+ h8 23.f1 g8 24.gh1? g5! (MI Johannessen) et les Noirs font mieux que se défendre avec un pion de plus.

22...xh4 23.g1+ h8 24.c1

« Menace avant tout 25.h1. Il n’y a plus de sauvetage. » MI Fuchs — C’est ce que pensait probablement aussi le jeune norvégien !

Portisch - Johannessen, 24.c1

24...f6??

Le coup perdant passé sous silence par les commentateurs de l’époque car ils ne disposaient pas d’ordinateurs ! En 1994 les ouvrages théoriques, par exemple « The Complete Semi-Slav » du GM P. Wells, n’avaient toujours pas décelé l’erreur.

24...c4!! permettait de gagner le tempo nécessaire pour tenir la position : 25.e4

a) 25.xc4? ac8 26.b3 fd8! 27.h1 d2+!! -+ la pointe cachée des ressources noires.
b) 25.c2 fd8! 26.h1 d2+!! 27.xd2 (27.xd2 xf2+! 28.d1 d8+ 29.d3 xd3+ 30.d2 xd2#) 27...xh1 28.f4 g7 29.f6+ g8 30.h7+! xh7 31.xf7+ h8 32.f6+ (MI Karolyi) avec un échec perpétuel.
c) 25.b1 fd8 26.h1 (26.c2? d3-+) 26...d2+!! 27.xd2 xh1 28.c2 g7 29.h7+ f8 30.h8+ e7 31.f6+ e8 32.h8+=; 25...ad8 (25...c3!? Varnusz) 26.g4 h2 27.g2 h5 28.f4 f5 29.exf6 e5 30.g7= MI Johannessen

Cette petite démolition est probablement la raison pour laquelle on ne trouve pas ce chef d’œuvre tactique dans les recueils des meilleures parties de Portisch.

25.g6! 1-0 La Dame noire est perdue pour éviter le mat.

« La fortune sourit aux audacieux. » GM O’Kelly 

« Les échecs c’est 99% de tactique » Richard Teichmann

C’est évidemment forcer le trait que de réduire les échecs à cette formule. Le GM Nunn était de l’avis opposé : « Les échecs c’est 99% de jeu positionnel. »

« Nous pouvons en effet avoir des difficultés à définir les distinctions précises entre opérations stratégiques et tactiques. L’écrivain William Osborne m'a suggéré qu'il n'y a pas assez de mots en anglais pour définir les nuances des divers types d'activités aux échecs, et qu'il peut parfois être très difficile de les catégoriser. » GM Plaskett en 2002

« Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles et tous les lecteurs de leur soutien. » Georges Bertola

Sources principales :

— L’Informateur 2 et 14
— San Antonio 1972 B. Larsen & D. Levy (RHM Chess Publishing 1973)
Chess Life & Review 1973
Europe Echecs 1966 & 1973
Selected Games of Lajos Portisch E. Varnusz (Batsford 1979)
Lajos Portisch T. Karolyi (Chess Evolution 2015)
Havanna 1966 (Sportverlag Berlin 1967)
Sjakkmesteren Svein Johannessen O. Brekke (Norsk Sjakkforlag 2009)

Les parties commentées de l'article de Georges Bertola

Publié le , Mis à jour le

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Les réactions (2)

  • Ulysse

    Bravo et merci à Georges Bertola (comme d'hab.)
    Et à Gérard Demuydt bien sûr!
    En ce qui concerne stratégie et tactique, j'avais lu, dans ma jeunesse, que la stratégie répondait à la question ''pourquoi?'' et la tactique à la question ''comment?''
    Je livre ce complément d'info d'autant plus modestement que je n'en suis pas l'auteur...
    Et n'y aurait-il pas dans les échecs 99% de stratégie, 99% de tactique, et 99% de jeu positionnel? :-)

    • EuropeEchecs

      Nous aimons bien aussi la phrase de Xavier Tartakover (1887 - 1956) : « La tactique consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il y a quelque chose à faire. La stratégie consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il n'y a rien à faire. » Cela dit, la tactique et la stratégie s'entremêlent tellement qu'il est difficile de savoir où commence l'une et où s'arrête l'autre.