Taïmanov – Fischer, Vancouver 1971

Bobby Fischer vs Mark Taïmanov | Photo Douglas Griffin
Vous pensez tout savoir du terrible 6 à 0 infligé par Robert James Fischer à Mark Taïmanov il y a 50 ans, et pourtant, dans « Les grandes parties du passé », Georges Bertola vous révèle les dessous de ce match des candidats 1971. Mark Taïmanov commente la troisième partie du match.

« J’ai découvert le nom de mon futur adversaire immédiatement après le tournoi interzonal de Palma de Mallorca. Fischer était évidemment le favori et après le tirage au sort, lorsque le champion américain a été désigné comme mon adversaire pour les quarts de finales, mes amis ne réussirent pas à dissimuler leur déception .Quant à moi, en fait, je n’étais pas mécontent. D’abord parce que je suis optimiste et crois en ma bonne étoile, en second lieu parce que j’avais l’impression qu’après avoir visé le titre de champion du monde , un match avec Fischer était inévitable, donc le plus tôt serait le mieux.  » Mark Taïmanov

Mark Taïmanov (1926-2016) était un joueur très expérimenté, champion de l’URSS en 1949 et 1956, déjà candidat en 1953 est l'un des principaux théoriciens de réputation mondiale sur les ouvertures. Par contre, il n’avait disputé qu’un seul match contre Mikhaïl Botvinnik ( 1911-1995) en 1953 en 6 parties pour le titre de champion de l’URSS. Un match qu’il avait perdu 2,5-3,5.

Bobby Fischer vs Mark Taïmanov | Photo Douglas Griffin

Pourtant l’inquiétude régnait dans le camp soviétique comme le remarquait le GM Igor Bondarevsky (1913-1979) qui avait coaché Boris Spassky (né en 1937) jusqu’à l’obtention de son titre en 1969.

« Fischer connaît une recrudescence de sa puissance créatrice. Il sait se battre dans chaque partie du début à la fin, même jusqu’à ce que la partie se termine avec des Rois dépouillés sur l’échiquier et peu sont capables de le faire. Il n’y a pas de tour de passe-passe, pas de bluff dans ses parties. Il est un joueur avec un style « classique » d’une pureté absolue. »

Mark Taïmanov était secondé par Evgeni Vassiukov (1933-2018), le jeune Yuri Balachov (né en 1949) et le chef de sa délégation Alexander Kotov (1913-1981), l’œil du KGB et auteur d’un livre qui connut en grand succès « Play like a Grandmaster » dont la singularité était une méthode de recherche pour identifier les « coups candidats ». Pourtant Taïmanov avait souhaité la présence de l’ex-champion du monde Mikhaïl Tal (1936-1992) qui était l’un des rares joueurs à avoir un score positif contre Fischer. Ce dernier lui avait suggéré d’amener la bataille sur le plan tactique « dans lequel Fischer n’est jamais tout-à-fait sûr. » Une vision à l’opposé de celle de Botvinnik et il l’avait rapidement dissuadé d’un tel choix :

« Tous deux vous vivez de façon bohémienne et l’atmosphère avant le match pourrait se révéler insuffisamment ascétique pour toi. Je te suggère au contraire de prendre Yuri Balachov. »

Bobby Fischer, lors d’une simultanée en 1964 avec Edmondson

Bobby Fischer (1943-2008) n’avait à ses côtés que le colonel Edmondson (1920-1982) qui s’occupait de tout sauf de ce qui se passait sur l’échiquier. Larry Evans (1932-2010) avait été annoncé comme son secondant : «  J’ai dû refuser parce que, entre autres, l’une des conditions de Fischer était l’interdiction de toutes activités journalistiques. » Toutefois, Evans arriva à Vancouver après la 4e partie et ils ne se sont apparemment pas rencontrés selon les dires de l’arbitre Bozidar Kazic (1921-1996).

« Ils subsistait un nombre de détails sur lesquels les deux hommes n’étaient pas arrivés à s’entendre. » Frank Brady

University British Columbia

Après quelques litiges sur le local, le match débuta le 16 mai dans la salle réservée aux projections cinématographiques de l’ « Union des étudiants de l’Université de la Colombie britannique » . Puis d’autres problèmes surgirent, Fischer voulut interdire l’accès au public, avant de laisser entrer 200 spectateurs. Il faut remarquer qu’à aucun moment, il ne fut question d’argent alors que le montant total des prix était dérisoire, 2000 dollars au vainqueur et 1000 au perdant ! Ce match n’avait pas encore provoqué la fièvre des échecs sur le continent Nord-américain. L’actualité était monopolisée par les gigantesques manifestations des opposants à la guerre du Vietnam qui réunirent plus de 500 ‘000 personnes à Washington en avril.

La mère de Bobby, Regina Wender Fischer (1913-1997), était une militante de gauche qui avait étudié la médecine en Russie et en Allemagne de l’Est. Elle était surveillée par le FBI depuis de nombreuses années, soupçonnée d’espionnage au profit de l’URSS.

Fischer et sa mère

À cette époque, Regina n’hésitait pas à descendre dans la rue pour dénoncer l’impérialisme américain et la politique du Président Nixon.

La première partie fut ajournée dans une position très compromise pour le Russe. Après avoir mis son coup sous enveloppe, Taïmanov s’approcha de Fischer pour lui parler en russe et ce dernier lui répondit en anglais avec son typique accent de Brooklyn : « Oui, c’était une partie difficile. »

Taïmanov ne reprit pas la partie accordant ainsi une première victoire importante pour Bobby puisqu’il conduisait les Noirs.

Robert James Fischer et Mark Taïmanov

Dans la deuxième, Taïmanov resta fidèle à sa défense favorite « La Sicilienne » malgré les injonctions de l’ex-champion du monde Botvinnik qui lui avait recommandé d’adopter « La Française ». Après une lutte aux multiples rebondissements, la partie fut ajournée à deux reprises. Ceci eut pour conséquence que la 3e partie débuta alors que la 2e n’était pas terminée.

« La 3e partie fut également ajournée. Les Russes vinrent alors trouver Fischer pour lui faire les propositions suivantes : Taïmanov abandonnerait la 3e partie sans jouer si Fischer acceptait la nulle dans la 2e partie. De toute évidence les deux joueurs étaient dans l’impasse. Le Roi, le Fou et le pion de Fischer faisaient face au Roi et Cavalier de Taïmanov et il semblait facile de sacrifier le Cavalier sur le pion restant.

Fischer - Taïmanov (2e partie)
Après 81.♔xf6

81...d3 82.h4 f4 83.f5 d6 84.xf4 e7 85.g5 f7 86.h6 g8= mais ce n’est pas ce qui se produisit sur l’échiquier !

« Pourtant Fischer estima qu’il n’avait rien à gagner à accepter la proposition russe. Il savait qu’il gagnerait la 3e partie de toute façon, et tant qu’il avait un pion sur l’échiquier, il lui restait une chance de gagner, si petite fut-elle. » Frank Brady

Le match se révéla être une terrible déception pour Taïmanov et la lutte beaucoup plus incertaine que ne le laisse supposer le résultat.

« Dans ce match, Fischer fut supérieur dans la préparation des ouvertures, comme c’est souvent le cas, à celle de son adversaire. Taïmanov fut indubitablement surpris par le gambit dans la deuxième partie et dépassé par les arguments de Fischer dans l’Est-indienne des 1re et 3e parties » GM Robert Byrne

Le « New York Times » rapporta l’avis d’un expert qui différait quelque peu.

« Dans la troisième du match, Taïmanov a essayé à nouveau un nouveau coup, et cette fois-ci pour obtenir une position supérieure dans l'ouverture. Quand il joue 11.b3 c'est pour forcer les Noirs à affaiblir leur aile-Dame, une faiblesse dont les Blancs profitent habilement. »

Bobby Fischer, Kazic, arbitre du match, Vassiukov, secondant de Taïmanov et Mark Taïmanov

Mark Taïmanov « commente »...

Taïmanov,Mark E - Fischer,Robert James – Candidates Fischer-Taimanov +6-0=0 Vancouver (3), 21.05.1971 – Défense Est-Indienne [E97] — [Mark Taïmanov]

1.d4 f6

Dans la 1re partie du match, Fischer avait joué ce coup après 10 minutes, non pas de réflexion, mais parce qu’il arrivait souvent en retard, comme dans cette partie, avec le but inavoué d’échapper aux photographes.

2.c4 g6 3.c3 g7 4.e4 d6 5.f3 0-0 6.e2 e5 7.0-0 c6 8.d5 e7

« Face à l’avance de mon pion qui ouvre de larges perspectives à la créativité, Fischer a joué sans aucune hésitation, chacun ayant confiance dans ce système déjà très étudié. »

9.d2

« Rejetant les autres lignes théoriques étudiées par Fischer comme 9.b4, 9.Ce1 ou 9.Cd2 pour un coup que j’avais longuement analysé dans mes carnets. Le développement tranquille du Fou a pour objectif une rapide mobilisation des forces de l’aile Dame. »

Une partie « blitz » jouée au Manhattan Chess Club cette même année se poursuivit avec 9.e1 d7 10.d3 f5 11.exf5 gxf5 12.f4 g6 13.e3 f6 14.c2 e8 15.fxe5 dxe5 16.g5 h6 17.xf6 xf6 18.b3 e4 19.f4 xf4 20.xf4 g5 21.ff1 e3+ 22.h1 g5 23.c5 h8 24.ad1 e5 25.g3 g8 26.b1 f4 27.g1 f3 28.c4 h5 29.e3 xg3 30.xe4 xh2+ 0-1 (30) Brandts,P-Fischer,R New York 1971

9...e8

L’autre grande variante est 9…Cd7, l’un des avantages de ce coup est de maintenir la diagonale c8-h3 ouverte.

10.c1 f5 11.b3!?

Après 11.♕b3!?

« C’était notre préparation pour cette partie. L’idée d’amener le Cavalier sur e6 avec l’ouverture conséquente du jeu au centre reste le principal motif stratégique mais la conception est considérablement dynamisée sur le plan tactique. Depuis b3, la Dame pointe « aux rayons X » le Roi noir et, en même temps, vise le pion b7 qui, après l’échange du Fou contre le Cavalier, se trouvera sans protection. Le débat théorique contre Fischer prend une nouvelle impulsion. »

Dans la 1re partie la suite fut 11.exf5 gxf5 12.g5 h6 13.e6 xe6 14.dxe6 c8 15.b3 c6 16.h5 xe6 17.xb7 f6 18.e2 fb8 19.a6 xb2 20.fd1 e4!? etc. 0-1 (40) Taimanov,M-Fischer,R Vancouver 1971

« Dans cette position tranchante les deux joueurs luttent pour l’initiative. Objectivement, il semble que l’on peut parler d’un équilibre dynamique. » GM K. Mueller

11...b6

« Fischer a réfléchi longtemps sur ce coup (un aveu qui prouve qu’il reconnaissait la valeur de mon plan) et apparemment il est arrivé à la conclusion qu’il fallait empêcher la poussée c4-c5 qui aidait les Blancs à ouvrir la colonne « ç » , ce qui pouvait s’avérer important. Bien plus tard, les analystes proposèrent d’autres idées comme 11…f4 (Boleslavsky) ou 11…Rh8 (Tal) qui ont leurs raisons propres. »

12.exf5 gxf5

« Fischer joue conformément à ses principes, s’assurant le contrôle de e4. A la fois 11…Cxf5 ou 12…Fxf5 apportaient un avantage aux Blancs. »

13.g5

« En s’introduisant sur e6 avec leur Cavalier, les Blancs contraignent leur adversaire à donner leur Fou de cases blanches. Il va de soi que vous devez être conscient que le pion isolé qui en résultera sera tôt ou tard la proie de l’adversaire mais, en attendant, il sera facile de développer avantageusement les pièces. » GM Tal

13...f6

« Si 13...h6 14.e6 xe6 15.dxe6 c8 et les Blancs disposent de bonnes perspectives après 16.d5! (inférieur 16.c5? proposé par le GM Gligoric après 16...bxc5 17.b5 c6 suivi par 18…Cc7) 16...xe6 17.xe7+ xe7 18.c5+ h8 19.cxd6 xd6 (19...cxd6 20.fd1 avec la menace 20.Fb4) 20.c6! comme l’a confirmé ma partie contre M. Tseitlin jouée deux ans plus tard. »

14.f4!

« Un nouveau maillon du plan des Blancs dont Fischer semble avoir sous-estimé l’importance. »

14...h6

« Fischer croit en la fiabilité du la construction noire et entre avec audace dans une lutte sans compromis. Plus prudent était, mais aussi plus conformiste 14...e4 Pourtant dans un tel cas, les Blancs après 15.d1 h6 16.h3 suivi par « Ce3, Cf2 et Fc3 » obtenaient un évident avantage positionnel. Mais le conformisme est étranger à Fischer et il n’opte jamais pour de telle variante passive. »

15.fxe5 dxe5

« Bien sûr Fischer n’aimait pas la variante 15...hxg5 16.exf6 xf6 17.h5 »

16.c5!?

Après 16.c5!?

« Ce coup fut pour Fischer, je pense, une surprise inattendue et angoissante. La batterie des pièces blanches entre en action. Cependant, si j’avais été moins belliqueux, j’aurais pu me contenter de 16.Cf3 qui conservait indubitablement un avantage positionnel pour les Blancs. »

« Impressionnant mais la suite montre que ce coup a été joué intuitivement, sans une idée concrète de suivi. Les Blancs n’avaient rien de mieux que 16.Cf3.  » GM R. Byrne

16...fxd5!

« N’était pas satisfaisant 16...hxg5 (16...h8 17.d6) 17.d6+ h8 18.dxe7 xe7 19.cxb6 axb6 20.xg5 Commence maintenant un corps à corps qui nécessite imagination, audace, calcul précis et des nerfs d’acier. »

17.xd5 xd5 18.cxb6 axb6

« Bien sûr la variante 18...hxg5 19.xg5 (meilleur doit être 19.c6! b7? 20.bxc7+-) 19...d6 20.b7 xb7 21.xb7 était défavorable aux Noirs. »

19.c6!

« La clé d’une opération tactique de grande échelle initiée par les Blancs 9 coups plus tôt. Toutes les pièces blanches ont de superbes positions et la venue éventuelle du Fou de cases blanches sur c4 placera les Noirs dans une position critique. »

19...h8

Après 19...♔h8

Le clouage qui survenait après 19...hxg5 20.c4 était décisif car 20...h8 permet 21.xg5 xg5 22.h3++-

« Ce moment ne reflète pas seulement le tournant décisif de la partie mais de tout le match. (Fischer lui-même admettra plus tard que ce fut le point culminant de la partie). « Taïmanov a laissé échapper la victoire avec 20.Dh3! »

Mais il sert également de moment critique pour tous les péripéties dramatiques qui ont conditionné la poursuite du match. Il est évident qu’après 20.Dh3 (qui menace 21.Txh6+) les Noirs ont seulement deux défenses  20…Cf6 et 20…Tf6. J’ai commencé à les examiner avec l’intime conviction qu’aucune ne suffisait à sauver le Roi noir.»

Pourtant Taïmanov n’est pas convaincant dans sa démonstration, par exemple 20.h3 f6 (20...f6 21.c3 f4! (21...d7?! 22.e6!) 22.h4 b7 = Kasparov) 21.c4 f4 22.xf6 xh3 23.f7+ h7 24.xd8 xf6 25.c6 e6 26.e1 jugé avantageux par Taïmanov pour les Blancs est loin d’être une évidence après 26...g8 27.xe5 e3 (GM Hübner) qui provoque un nivellement de la position aux chances égales.

Cette position a fait l’objet d’une analyse très fouillée de 8 pages de la part du GM Hübner dans son livre « Materialen zu Fischers Partie » (Rattmann 2004)  et l’avantage qu’accordait Taïmanov n’a pu être concrétisé par une variante gagnante…

20.f3?

Ce coup fut joué après une heure et 10 minutes de réflexion ! Taimanov résumait : « Capitulation. »

Dans le « New York Times » on pouvait lire ce constat : Taïmanov perd du temps et son avantage. C’est le genre de chose qui arrive chez un homme pour qui, pour une raison inexplicable, rien n’est destiné à aller bien.

20...b7 21.g6?

Sans doute désabusé Taïmanov a capitulé trop vite et n’accorde aucune attention à 21.xh6+!? xh6 22.xh6 e7 (22...f4 23.c4) 23.xf8 xf8 24.f2 f4 25.d3 = pointé par Sullivan.

21...f4!

Après 21...♘f4!

« La volonté de gagner de Fischer était exceptionnellement puissante et on peut lui attribuer un bon nombre de ses réussites en compétition. Cela lui conférait une supériorité psychologique significative sur la majorité des autres joueurs . » E. Agur

« Fischer n’a jamais de mauvaises pièces. » GM Balachov

22.xf4 exf4

« Au prix de la dégradation de la structure de ses pions centraux, Fischer obtient une grande activité pour sa paire de Fous. Un autre exemple de sa maîtrise dans la transformation d’un avantage. »

23.d1 e7 24.e6 c5+ 25.f1 fd8

« Fischer dans son élément. Après s’être emparé de l’initiative avec une grande énergie, il développe son offensive sur tout l’échiquier. En premier lieu il menace 26…Fd5. »

26.xd8+ xd8 27.a4

Après 27.♕a4

« L’espoir de simplifier la défense avec un échange de Tours ne sert à rien, mais les bons conseils font défaut ici. »

Selon Kasparov 27.c4 offrait les meilleures chances pratiques car il fallait trouver 27...c6 pour chasser le Fou adverse avec la poussée b6-b5. Après 28.a4 d6 29.e7 avec quelques chances de tenir la position.

27...c1+ 28.f2?!

Plus coriace 28.e1!?

28...f8! 29.b4 e4

Après 29...♗e4

« L’attaque des Noirs progresse graduellement et les pions doublés fournissent des avant-postes pour ses pièces. »

Plus précis 29...d5 30.e5 c6 31.d1 xd1 32.xd1 e4 33.b3 xb4-+ Kasparov

30.e8?

« Preuve de malheur et confusion. Dans tous les cas 30.b5 était plus tenace de sorte que si 30...e3+ (Plus incisif 30...d5! 31.e5 xa2 32.e8 xe8 33.xe8 e3+ 34.xe3 fxe3+ 35.xe3 xb4-+ Analyse Sullivan.) 31.f1! d1+ on peut se défendre avec 32.e1 Malheureusement à ce moment, je n’avais plus le courage, l’énergie nécessaire. »

30...c6 31.xc6

« Dans cette horrible position donner la Dame contre Tour et Fou ne peut être considéré comme une gaffe de la part de Taïmanov mais plutôt comme un signe d’abandon. » GM R. Byrne

31...xc6 32.xd8 f6 33.c8 e7 34.f1 h7 35.d4 g7 36.b5 e5 37.a3 d7 38.a8 f3 39.gxf3 xh2 40.g2 g7+ 41.xh2 e5+

Après 41...♕e5+

La position à l’ajournement. Fischer se leva pour quitter immédiatement la salle . Pendant toute la durée du match, il n’analysa aucune partie, ne proposa aucune suggestion de coup  à son adversaire.

42.g1 Le coup sous enveloppe mais Taïmanov ne reprit pas la partie. 0-1

« Je crois que cela a été la défaite la plus cuisante de ma vie. Je l’ai vécue très intensément à l’époque et douloureusement encore pendant de nombreuses années. Le jour suivant la situation s’est aggravée. J’ai commis une incroyable erreur (81…Re4??) après le deuxième l’ajournement, alors que la nulle apparaissait totalement évidente. Le duel avait à peine commencé qu’il était pratiquement déjà terminé… Je me sentis mal pour être hospitalisé avec une pression artérielle beaucoup trop élevée. Le match fut interrompu durant trois jours. » Mark Taïmanov

Le champion soviétique fut soumis à de violentes critiques sur la qualité de son jeu de la part de la plupart de l’élite des joueurs de son pays.

« J’ai donné quelques conseils à Taïmanov mais il n’en a suivi aucun. Je lui avais déconseillé de jouer avec les Blancs cette variante à sacrifice contre l’Est- indienne. On ne peut opposer une sérieuse résistance à Fischer qu’en restreignant la mobilité de ses pièces, en évitant les positions ouvertes. » Mikhaïl Botvinnik

Curieusement ce fut Larry Evans qui se fît l’avocat de la défense dans « Chess Life & Revue ».

« Il faut tout d’abord admettre que Taïmanov a joué de façon dynamique avec les pièces blanches et s’est constamment appliqué à forcer la décision et à maintenir l’initiative. Avec les Noirs, il n’est pas parvenu à trouver une bonne défense contre la poussée du pion Roi de Fischer. Même avec sa variante préférée, la « Sicilienne Taïmanov », il a échoué. »

Cette défaite eut de lourdes conséquences sur la carrière de Taïmanov tombé soudain en disgrâce aux yeux du régime soviétique et de ses dirigeants.

« Avant le match je bénéficiais du statut de « citoyen modèle de l’URSS » honoré non seulement comme joueur d’échecs éminent mais comme pianiste concertiste et journaliste. Après ma défaite de Vancouver, je me retrouvais sous le feu des critiques dévastatrices venant de toutes parts. Ils me destituèrent de mon titre de « Maître émérite du Sport », je fus expulsé de l’équipe soviétique, pour deux ans exclu de tournois à l’étranger et on ne me permit ni de publier des articles ni de donner des concerts. » Mark Taïmanov

De plus, dès son retour à Moscou, ses bagages furent minutieusement fouillés. Taïmanov avait dissimulé « Le premier cercle » de Soljenitsysne qui traitait d’un sujet sensible, le système carcéral stalinien, un livre édité en 1968 en Angleterre mais interdit en URSS. Soljenitsyne était sous le feu des projecteurs après avoir reçu le prix Nobel en 1970 et résidait toujours en URSS dans la banlieue de Moscou. Alors que Taïmanov vivait des temps difficiles, son ami le grand violoncelliste Rostropovich était venu lui rendre visite et lui dit : 

« Sais-tu que Soljenitsyne est en difficultés ? Parmi ses affaires, ils ont trouvé le livre « La défense Nimzowitsch » signé Taïmanov. »

Une blague au goût amer…

Taïmanov pianiste

Au début des années 90, je rencontrais Taïmanov lors de la « Rilton Cup » à Stockholm. Il venait de publier un livre pour démontrer que le résultat de 6-0 n’était pas le reflet du match et des luttes acharnées qui s’étaient produites sur l’échiquier. Son but était de se voir accorder une revanche par le champion américain, comme Boris Spassky en 1992. Il lui avait écrit et envoyé son livre et attendait une réponse. Je me procurais un exemplaire (en russe) et après un bref entretien, il me dédicaça son ouvrage qui devait paraître plus tard en espagnol sous le titre « J’ai été la victime de Bobby Fischer ».

Fischer ne donna pas suite à sa requête.

Le livre de Mark Taïmanov

Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles et tous les lecteurs de leur soutien. Georges Bertola

Taïmanov,Mark E - Fischer,Robert James – Candidates Vancouver (3), 21.05.1971

Publié le , Mis à jour le

Réagir à cet article

Haut de page ▲
Pour commenter cet article, connectez-vous ou créez votre compte.

Les réactions (5)

  • jaskarov

    Merci Georges Bertola!

  • EGG

    Merci pour cette belle histoire si bien racontée.
    Tres peu de personnes savent "raconter" une partie d'echecs...

  • Azimut

    Bonjour Georges et bonjours les amis !
    Superbe article de Georges, comme d'habitude !
    Quand on voit les sièges de Fischer et Tamainov à Vancouver en 1971 comparés aux sièges des joueurs du Champions Chess Tour — New in Chess Classic en 2021, on croit rêver !
    Toutefois, Fischer n'a rien à envier aux joueurs du 21ème siècle, son talent était équivalent, voir plus, car il n'y avait pas d'ordi en 1971 !
    Bravo à Georges cet excellent article et pour ce coup dans le rétroviseur, qu'elle belle époque ce fût !

  • baltamuche

    Exceptionnel!
    Un grand merci

  • Icare

    Remerciements à Georges Bertola - comme toujours - qu'il sait si bien partager - comme toujours aussi - avec son webmaster Gérard Demuydt