Juan Sebastiàn Morgado

Juan Sebastiàn Morgado
Juan Sebastiàn Morgado a été le premier joueur sud-américain à obtenir le titre de Grand-Maître par correspondance. Sa librairie au cœur de Buenos-Aires était un lieu de rendez-vous coutumier des joueurs d’échecs. Je m’y suis rendu à plusieurs reprises... Par Georges Bertola.

Juan Sebastiàn Morgado premier GM par correspondance sud-américain

Juan Sebastiàn Morgado, 74 ans, a été le premier joueur sud-américain à obtenir le titre de Grand-Maître par correspondance. Sa librairie au cœur de Buenos-Aires était un lieu de rendez-vous coutumier des joueurs d’échecs. Je m’y suis rendu à plusieurs reprises et Juan m’a procuré un livre rare sur Sonja Graf qui avait vécu en Argentine pendant la seconde guerre mondiale.

Georges Bertola : Je vous connais surtout comme fort joueur par correspondance et pendant longtemps vous avez tenu une librairie au cœur de Buenos Aires. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Juan Morgado : J'ai commencé à m'intéresser aux échecs vers l'âge de 9 ans. J'habitais dans un endroit isolé, à environ 30 km de Buenos Aires, et ne trouvais pas d’adversaire avec qui jouer. J'ai appris en rejouant les parties du journal « La Nación » où Julio Bolbochán tenait une rubrique. En 1962, j'ai lu une petite annonce « Tournoi par correspondance Pan Américain », organisé par un magazine d’échecs.

Julio Bolbochán

Le tournoi était ouvert, je me suis inscrit et ai été tout de suite accepté. A partir de ce moment, ma vie a changé puisque je pouvais jouer avec plusieurs adversaires en même temps. J'ai participé à la fondation de plusieurs institutions (CADAP, CAPA) toujours avec l'idée de développer les échecs par correspondance en Amérique du Sud. Très lentement j'ai gravi les échelons jusqu'à me qualifier pour le Xe championnat du monde ICCF. Un tournoi qui a duré 6 ans (1978-1984).

Grille du tournoi par Correspondance 1978-1984

Concernant ma librairie, elle a été fondée en 1982 sous le nom de « La Casa del Ajedrecista ». L'idée était de créer une librairie et une maison d'édition. À cette époque le pays connaissait de graves difficultés causées par un gouvernement militaire criminel qui a commis la folie de déclencher la guerre des Malouines. La première année s’est soldée avec un résultat modeste mais en 1983 la démocratie est arrivée et la population a rapidement changé d’esprit. Les livres et les magazines d'échecs ont commencé à être très demandés et la librairie s'est considérablement développée. Plus tard, j'ai pu survivre aux graves crises de 1989 et 2001 mais j'ai dû fermer boutique en janvier 2018 à cause de la nouvelle débâcle économique. Depuis, je continue jusqu’à ce jour avec une librairie virtuelle.

Vous êtes l’un des principaux historiens des échecs argentins. A partir de quand le jeu d’échecs est-il devenu populaire en Argentine ?

J'ai décidé d'enquêter sur l'histoire des échecs argentins à partir de 2003. Pendant plusieurs années, j'ai consulté les archives nationales (photos, journaux et magazines), les publications d'échecs, le Club Argentin (fondé en 1905) et le Jaque Mate Club (1927), seuls survivants de ce début du 20e siècle. J'ai également profité du passage des visiteurs de ma librairie pour obtenir des scans, des livres et des magazines étrangers.

Juan Sebastiàn Morgado dans sa librairie

Les premiers signes de la popularité des échecs argentins remontent aux années 1890 lorsque des tentatives ont été faites pour fonder plusieurs clubs, bien qu'ils n'aient pas survécu longtemps. Dans le dénommé "Oriental Club", un curieux match a été joué entre deux inconnus jusque-ici. Pablo Tagliaferro - apparemment il était un homme d'affaires important - et Eduardo Gigena - auteur d'un célèbre roman argentin appelé « Juvenilia ». Tagliaferro a offert à Gigena 4 points d'avance dans un match où il fallait en obtenir 7. Finalement, Tagliaferro a gagné par 7:5. Ce qui est remarquable, c'est que toutes les parties ont été publiées dans « La Nación » dont beaucoup avec des commentaires. Certaines ont également été mentionnés dans « La Stratégie ».

Juan Sebastiàn Morgado

Tagliaferro a voyagé fréquemment à Cuba et là, il a rencontré le Russe Chigorin, candidat au titre mondial en 1889. Selon la presse, Tagliaferro a joué 3 matchs de parties blitz avec le maître, en a gagné un pour deux défaites.

Au début du 20e siècle le « Club Argentin » a été fondé (1905) et les échecs sont devenus populaires parmi les gens issus la plupart de la classe aristocratique. Environ dix ans plus tard, apparaît une génération de jeunes joueurs - parmi eux Roberto Grau - qui sont devenus membres de ce club, mais qui se sentaient mal à l'aise en raison de problèmes de différence d’âge, de niveau social mais aussi économique. Ils étaient issus d’un milieu anarchiste et socialiste. En conséquence, est fondé en 1916 le « Cercle d'Echecs » et une cohorte de joueurs d'échecs va y adhérer, se démarquer et surpasser ceux du « Club Argentin ».

Le Match de Buenos Aires de 1919 – Le « Club Argentino » opposé « Circulo »

Marcel Duchamp a séjourné en Argentine après la première guerre mondiale pour se perfectionner aux échecs. Y-a-t-il encore des traces de son passage dans les clubs de Buenos Aires ?

Il y a débat sur les raisons pour lesquelles Duchamp est venu en Argentine. Seuls les spécialistes étaient au courant de ce voyage. Le meilleur expert de Duchamp à Buenos Aires est Marcelo Gutman, organisateur de diverses manifestations. La Fondation PROA est en charge de l'entretien d'un musée et se consacre à honorer sa mémoire. J’ai consulté les archives historiques du « Club Argentin », une tâche extrêmement fatigante puisqu'il y en a des centaines de fiches. Finalement j'ai trouvé une inscription où Duchamp est accepté comme membre. C'est la seule trace de son passage en Argentine ! Il n'y a rien dans les journaux, magazines ou autres.

Marcel Duchamp à Buenos Aires en 1919

Certains détails du passage de Duchamp à Buenos Aires nous sont connus à travers ses lettres. Il se plaint du peu d'attention que lui accorde la société de Buenos Aires à cette époque et raconte ses "mémoires de joueur d'échecs" au sein du « Club Argentin », guidé par un maître qui lui apprend les bases de la stratégie. Ce que j'ai découvert, c'est que ce professeur ne pouvait être autre que Benito Villegas, bien qu'aucun document ne le certifie. Astrid Honold, qui m’a consulté, écrit actuellement une biographie de Duchamp.

Feuille de partie de Duchamp 1924
Feuille de partie de Duchamp 1924

Vous avez publié récemment deux ouvrages sur le match Alekhine-Capablanca de 1927. Comment le match fut il perçu par les Argentins, provoqua-t-il un engouement populaire?

Alexandre Alekhine et José Raúl Capablanca dans la presse argentine Critica

Sans aucun doute, après le match de 1927, il s’est produit une véritable vague de popularité dans les clubs argentins. Peu de temps après sont fondés plusieurs clubs importants, tels que « Jaque Mate » et « Villa Crespo » et d'autres moins importants dans d’autres quartiers de la ville ainsi que dans des villes telles que La Plata et Rosario.

L’équipe d’Argentine fut l’une des rares équipes du continent Sud-Américain à participer régulièrement aux Olympiades (Tournoi des Nations) avant la seconde guerre mondiale. Les échecs argentins étaient-ils soutenus par le gouvernement ou est-ce le résultat de quelques passionnés ?

Jusqu'en 1946, les échecs argentins n'avaient pas le soutien du gouvernement, à quelques exceptions près (1927 et 1939). C’est sous l’impulsion des dirigeants du cercle dirigé par Roberto Grau, une figure emblématique des échecs argentins jusqu'à sa mort survenue en 1944. Lorsque l'équipe d’Argentine s’est rendue dans les pays européens pour jouer les Olympiades, des loteries ou des collectes d'argent ont été organisées. Plusieurs fois les joueurs sont partis de Buenos Aires sans avoir leur billet de retour dans la poche.

L'équipe d'Argentine à Stockholm en 1937

Roberto Grau fut l’un des héros des échecs argentins et c’est probablement grâce à lui que la première olympiade hors d’Europe se tint à Buenos Aire 1939. Son traité d’initiation est-il toujours aussi populaire ?

Roberto Grau était l’autodidacte argentin des échecs. Je dois souligner qu'il n'avait suivi que l’école primaire, n'avait jamais possédé de voiture et devait travailler très dur pour s'en sortir. Il avait des idées socialistes, bien qu'il n'ait jamais été politiquement actif. Par exemple, s'il devait donner des séances de simultanées ou des conférences dans des clubs plutôt pauvres, il ne facturait pas de frais. Il a acquis une culture importante grâce à ses propres efforts. Il a écrit son « Traité général sur les échecs » en 4 volumes, une œuvre très appréciée par Bobby Fischer, et qui est toujours vendue en librairie de nos jours. On estime qu'il a eu environ 80 éditions ! Grau pratiquait plusieurs emplois simultanément. Il a écrit des articles dans « La Nación », « Leoplán » et « Aqui está » et a été professeur d'échecs au « Círculo » et au « River Plate Club ». Il utilisait les transports en commun. Je dois préciser que les informations publiées dans la revue « Chess » en 1941 - provenant de Seitz - sont totalement fausses. Son patrimoine était modeste et provenait du fruit de son travail.

Vous venez de publier 3 volumes sur l’Olympiade de 1939, qu’est-ce qui la rend si exceptionnelle ?

Le Tournoi des Nations de 1939 a pu avoir lieu malgré une série de contretemps malheureux. C’est à Stockholm en 1937, lors du Congrès de la FIDE, que la ville où se déroulerait le prochain Tournoi des Nations fut choisie. Budapest et Buenos Aires étaient candidates. À ce moment-là, Grau a proposé que l'Argentine prenne également en charge les frais de voyage, et c'est ainsi que les délégués ont finalement accepté. C'était un défi très important car cette dépense supplémentaire était très lourde. La FADA a demandé, par l'intermédiaire de son Président De Muro et Grau, une subvention de 150’000 dollars au Congrès national. Cela a été approuvé en 1938, de sorte que les dirigeants ont pensé que l'organisation était sur la bonne voie.

Roberto Grau et Alexandre Alekhine
Le livre de Juan Sebastiàn Morgado sur l'IOlympiade de 1939

Le coût total était estimé à 360’000 pesos argentins, et les organisateurs étaient sûrs d'obtenir le reste grâce aux contributions de la ville et de certaines provinces. Ils ont envoyé de nombreuses invitations aux pays du monde entier et ont reçu 41 candidatures. Soudain, le gouvernement a annoncé qu'il ne paierait pas la subvention, « parce qu'il y avait d'autres questions plus urgentes ». Cela a provoqué une très grande agitation et la FADA a décidé d'annuler l'événement. Grau est intervenu en proposant de faire une collecte publique et lui-même de faire des simultanées dans tout le pays pour réunir des fonds. Des dizaines de « commissions d'honneur » ont été créées pour récolter l’argent nécessaire. Enfin, le Tournoi des Nations a eu lieu mais son report a provoqué le retrait de 14 nations, ne laissant plus que 27 équipes. La déclaration de la guerre survenue pendant le tournoi eut un impact énorme. Des questions urgentes durent être résolues avec les équipes impliquées dans le conflit qui ne voulaient pas jouer les unes contre les autres. Grau et De Muro participèrent activement aux négociations et ainsi le Tournoi des Nations a pu se terminer. Les conséquences furent malheureuses. La FADA dut dépenser beaucoup d'argent, des frais supplémentaires pour assister les joueurs d'échecs bloqués à Buenos Aires pendant environ un mois. De nombreux navires ne pouvaient prendre le large par crainte d'être attaqués par les U-boat à cause de la guerre. Ce qui a provoqué la faillite de la FADA, décrétée après une brève procédure judiciaire et les quelques biens dont elle disposait (y compris les feuilles des parties) ont été mis aux enchères. Après 7 ans, Milcíades Lachaga a pu les récupérer et a publié son livre avec les parties complètes en 1946.

Le Che avec Miguel Najdorf à Cuba en 1962

Beaucoup de joueur sont restés en Argentine alors que la guerre venait de débuter. Avez-vous bien connu le plus célèbre d’entre eux Miguel Najdorf?

J'ai rencontré et collaboré avec Miguel Najdorf plusieurs fois. Il m'avait chargé d'éditer les bulletins du tournoi « Najdorf Master » en 1991. C'était la première fois que des figurines d'échecs étaient utilisées en Argentine. J'ai beaucoup écrit sur lui, notamment dans « Luces y Sombras del Ajedrez Argentino », volumes 1 et 2. Il était l'une des figures exceptionnelles des échecs mondiaux depuis 1946, et il avait séduit le pouvoir politique à l'époque pendant plusieurs années. Dans sa lutte pour le Championnat du Monde en 1948, il a été arbitrairement exclu par la FIDE.

Biographie de Hermann Pilnik

Vous avez publié une biographie sur Hermann Pilnik, d’origine allemande, l’avez-vous connu ?

Je connaissais Pilnik mais nous n’étions pas ami. C'était un globe-trotter qui avait voyagé à travers de nombreux pays, et connu des fortunes diverses. J'ai trouvé des épisodes et des anecdotes très intéressants sur sa vie, c'est pourquoi j'ai écrit ce livre. Lui et Rossetto ont joué le tournoi d'Hollywood de 1945, au cours duquel des bombes atomiques ont été larguées sur Hiroshima et de Nagasaki . Pendant ce temps, les réjouissances ont continué! Les États-Unis ont célébré la victoire de la Seconde Guerre mondiale.

Hector Rossetto à Hollywood en 1945 avec à ses côtés Marlene Dietrich
Caricature de Miguel Najdorf
Caricature de Erich Eliskases

Pendant les années de guerre comment se passait la cohabitation entre Najdorf et les joueurs de l’équipe d’Allemagne qui étaient restés en Argentine ? Eliskases et Najdorf avaient-ils des contacts?

Ils n'entretenaient pas de relations amicales mais ils ont joué ensemble en équipe nationale et en harmonie. Alors que Najdorf, extraverti, débordait d’énergie avec une attitude théâtrale, Eliskases a toujours gardé un profil bas.

Les participants de Mar del Plata

De nombreux tournois se sont joués dans la station balnéaire de Mar del Plata, pourtant je n’ai pas trouvé beaucoup de documents photographiques, pourquoi?

Il est vrai que très peu de photos des participants des tournois de Mar del Plata sont connues. Il est évident que les photos et les bulletins des tournois méritaient une attention prioritaire parmi les organisateurs. C'est un défaut argentin que le penseur Ezequiel Martínez Estrada a appelé « trapalanda », c'est-à-dire construire des châteaux en l'air. En d'autres termes, ne pas faire de distinction entre l'important et le superflu.

Oscar Panno, la grande figure des échecs argentins, fut invité à se rendre au balcon de la Casa Rosada (palais présidentiel) lorsqu’il devint champion du monde junior en 1953. Le GM Hector Rossetto obtint une villa de la part d’Evita Perón. Le péronisme et les échecs faisaient-ils bon ménage ?

J'écris actuellement « Chess and Peronisme » un ouvrage en 6 volumes qui couvrira la période 1944-1955 où je fais une étude complète de l'importance des échecs et des sports à l'époque péroniste. La grande différence avec la structure précédente est que pendant cette période, les échecs faisaient partie de l'appareil de propagande officiel.

Evita et Juan Perón
L'équipe d'Argentine 1952. De gauche à droite : Rossetto, Pilnik, Laurens, Maderna, Eliskases, Najdorf et Bolbochan. L’âge d’or de l’Argentine

Le magazine « El Ajedrez Argentino » a été soutenu financièrement par le gouvernement, en échange de deux ou trois pages de propagande politique. Panno a été utilisé par le gouvernement après qu'il eut remporté le Championnat du monde junior en 1953. Il n'avait pas le choix et a dû assister à certains événements et célébrations. Eva Perón a accordé à Rossetto un appartement dans un quartier de la ville où il a vécu jusqu'à sa mort.

Comme l'explique Rossetto, ce n'était pas un cadeau, mais plutôt une hypothèque qu'il a payée mensuellement pendant plusieurs années. Bien entendu, à cette époque, il y avait une grande inflation et comme le loyer avait une valeur fixe, l'annulation de l'hypothèque a été grandement facilitée.

Sur l’entrée du Club de Buenos Aires où l’on trouve la table de jeu et la position finale du match Alekhine Capablanca se trouve une citation de Jorge Luis Borges. Était-il un joueur d’échecs?

Non, Borges n'était pas un joueur d'échecs. Il a écrit un poème bien connu et a mentionné les échecs dans d'autres oeuvres littéraires.

Gravure de Norah Borges (Norah sœur de Jorge Luis Borges)

Lorsque le Président Perron est élu en 1946 Borges se retrouve sans emploi. Comment les joueurs d’échecs ont vécu cette période où les intellectuels n’avaient pas bonne presse ?

L'Argentine est un pays où il y a un important fossé sur le plan social depuis son origine en 1810. À travers les âges, il a subsisté, avec ses particularités. Le penseur Ezequiel Martínez Estrada - un bon joueur d'échecs - a décrit cette caractéristique comme « invariante », un mot d'origine échiquéenne indubitable. Quand Perón arrive, la faille se transforme en « péronistes contre anti-péronistes ». J'ai appelé ce phénomène la « guerre froide civile ». Dans le domaine des échecs, cette division était également clairement visible. Certains joueurs d'échecs étaient notoirement favorisés et d'autres défavorisés.

Robert James Fischer et Tigran Vartani Petrossian

Un grand moment pour les échecs argentins fut la finale des candidats entre Fischer et Petrosian en 1971. Etiez-vous parmi les spectateurs ?

Oui, j'étais là à chaque rencontre. L'avenue Corrientes était pleine de monde et la circulation a dû être interrompue. La salle du Théâtre San Martín était toujours pleine et l'enthousiasme populaire était extraordinaire. Lorsque Petrosian a perdu deux matchs de suite, il était dévasté, profondément déprimé. En sortant, j'ai vu Baturinsky et Suetin le tirer par l'épaule et l'aider à monter dans une voiture.

Je crois savoir que Bobby est venu plusieurs fois dans votre librairie, avez-vous pu échanger quelques propos ?

La visite de Fischer à ma librairie en 1996 a été rapportée dans une note publiée dans mon magazine « Ajedrez Estilo », reproduite plus tard par le magazine espagnol « JAQUE », ainsi que dans mon livre « Sociología del Ajedrez Postal ». En juin de la même année, Bobby Fischer était à Buenos Aires pour promouvoir le « Fischerandom ». Fischer, en compagnie du directeur général Eugenio Torre, est entré deux fois dans la librairie et a consulté des livres pendant quelques heures. Lors de sa deuxième visite, j'ai téléphoné à des amis et la librairie était pleine de monde. Fischer parlait très bien l'espagnol et discutait amicalement avec les fans présents. Il a acheté plusieurs livres.

Facture avec la signature de Robert James Fischer

Un match d'exhibition en mode Fischerandom avait été organisé entre Eugenio Torre et Pablo Ricardi, qui se jouerait à La Plata. Le budget approximatif était d'environ 200’000 dollars, qui devaient être payés par la Loterie de Buenos Aires. Le gouverneur Eduardo Duhalde avait approuvé l'événement, et avait même reçu Fischer dans son bureau. Cela n’a pas eu lieu parce que l'argent a été volé (!). Les autorités n'ont rien fait pour résoudre la situation. Avant de partir pour la Hongrie, Fischer est de nouveau passé à ma librairie, mais seulement pour me dire au revoir. Je lui ai demandé ce qui s'était passé - à ce moment-là, la réalité de la situation n’était pas encore dévoilée - et il m'a dit qu'il ne voulait pas en parler.

Quel est la personnalité la plus marquante que vous avez rencontré dans le monde des échecs?

Selon les époques, je peux dire que les personnalités les plus marquantes étaient Morphy, Fischer et Kasparov. Ils ont produit des changements importants dans les concepts du jeu qui ont fait évoluer énormément les échecs.

L'équipe de Hongrie 1978 à Buenos Aires

Avez-vous des souvenirs de l’Olympiade de 1978 à Buenos Aires?

Malheureusement, j'ai de mauvais souvenirs de cette Olympiade. Je n'avais pas encore de librairie mais j’étais fan et assistait à des tournois et à d'autres évènements exceptionnels. Le régime militaire qui régnait à l'époque était très dangereux. Ces types de gouvernements utilisent toujours le sport au service de la propagande pour tenter de dissimuler les catastrophes économiques et sociales. Quelques mois auparavant, ils avaient organisé la Coupe du monde de football, qui était une arnaque pour la population. Imaginez qu’avant le fameux match Argentine 6:0 Pérou, le général Videla et Henry Kissinger ont « inspecté » le vestiaire de l’équipe péruvienne. Il a été dit que les militaires étaient d'accord avec les « subversifs » pour une trêve, par laquelle ils garantissaient qu'aucune attaque ne serait commise pendant le championnat du monde de football. L'Olympiade d'échecs de 1978 s'est déroulée dans ce contexte quelques mois plus tard, alors qu'il n'y avait plus de trêve ! Il s’est produit alors un kidnapping d’un important dirigeant de la FADA, Rodolfo Zanlungo avec des craintes pour sa vie. Quelques jours plus tard, Zanlungo est apparu vivant, après avoir été jeté dans un fossé. L'Olympiade s'est déroulée dans le stade du Club River Plate, sous le stade de football. Le lieu n'était pas du tout adapté et le public ne pouvait pas observer correctement les rencontres. C'était un endroit loin du centre-ville, à la lisière de la ville et de la province de Buenos Aires. Pour ma part, je n'y suis allé que deux fois. Je me suis senti mal à l'aise et je ne suis pas revenu.

Le Danois Bent Larsen en 1971

Avez-vous connu Bent Larsen qui a passé la fin de sa vie en Argentine ?

Bent Larsen a beaucoup aimé l'Argentine. En 1982, il a rencontré une femme à Mar del Plata, l'épousa et ils déménagèrent dans la ville de Martínez (Province de Buenos Aires). Il a écrit dans mon magazine « Ajedrez de Estilo » pendant environ trois ans. Ses rubriques ont été très appréciées des lecteurs.

Veselin Topalov et Viswanathan Anand

Le dernier grand évènement joué en Argentine est le championnat du monde de San Luis 2005. Comment se portent aujourd’hui les échecs en Argentine ?

Bien que mon magazine « Ajedrez de Estilo » ait cessé de paraître en 1997, je suis allé à San Luis avec ma femme. San Luis est une province gouvernée par la famille Rodríguez Saa depuis des décennies. En 2005, il y avait Alberto, qui faisait la promotion de la province à travers divers sports. Il est un fan d'échecs et a développé une école importante où de nombreux enfants et jeunes apprennent à jouer. Le championnat du monde s'est déroulé à Potrero de los Funes, une belle ville touristique située à environ 20 km de la capitale, San Luis. Le gouverneur a construit « La Casa de los Trebejos » spécialement pour le championnat du monde d'échecs. Un bâtiment moderne situé à côté d'un hôtel cinq étoiles. L'événement a eu lieu là-bas, avec tout le confort. C'était dommage que le livre du tournoi n'ait pas été publié, comme promis.

Morgado, Juan - Kletsel, Mikhail, Xe championnat du monde par correspondance 1978/82 — Défense Sicilienne [B84]

1.e4 c5 2.f3 d6 3.d4 cxd4 4.xd4 f6 5.c3 a6 6.e3

Le coup à la mode qui avait supplanté le plus usuel 6.g5.

6...e6

L’option Scheveningue, alors que les « puristes » de la Najdorf privilégiaient 6…e5.

7.e2 c7

Avec l’intention de développer une contre-attaque sur l’aile Dame.

7…Fe7

Pour favoriser le « 0-0 » est moins tranchant.

8.f4 b5 9.f3 b7 10.e5

Après 10.e5

Un coup qui donne un caractère forcé en précipitant les évènements au centre. Plus positionnel est 10.a3 db7 11.ve2 e5!? Suetin-Platonov, URSS 1977.

10...dxe5 11.xb7

Après 11.♗xb7

11...xb7

11...exd4!? 12.xa8 dxe3 comme retenait l’attention selon Kasparov. Voici une variante proposée par Gurevich : 13.f3 a3 14.d1 xb2 15.xb2 c3+ 16.e2 xc2+ 17.xe3 xb2 18.hb1 c3+ 19.f2 d4+ 20.f1 0-0 avec des chances égales.

12.fxe5 fd7

Si 12...xg2? 13.g1 h3 14.g3 xh2 15.f3+-

13.0-0 b4

Une recommandation du GM Ciocaltea dans « L’Informateur ». La référence à l’époque était 13...c6 14.xc6 xc6 15.h5 g6 16.h4 g7 17.h6 Ghinda-Ungureanu (Bucarest 1978) avec initiative, même si le pion e5 est faible (Kasparov).

14.h5! g6 15.h3 bxc3

Après 15...bxc3

Intéressant selon Pachman 15...c5 16.ce2 bd7

16.xf7!! cxb2?!

L’acceptation du deuxième sacrifice de pièce mène au mat après 16...xf7?? 17.xe6+ g7 18.f5+ gxf5 19.h6# — La suite critique semble être 16...d5 par exemple 17.af1 c5 18.bxc3 (18.xh7 f8) 18...c6 et les Noirs disposent de ressources défensives, après avoir développé les pièces, supérieures au coup de la partie.

17.xe6+ d8 18.b1

Position avantageuse pour les Blancs selon les analystes russes. Le retard de développement des Noirs offre des compensations pour le Cavalier sacrifié mais la situation reste compliquée, les Blancs doivent valoriser l’initiative par des moyens tactiques.

18...c5 19.c4

Menace de pousser le pion « e ».

19...e8 20.h1!

Pour se déclouer, si immédiatement 20.e6 De4!

20...xe5

Après 20...♖xe5

21.e6+ xe6 22.xe6 xe3 23.xe3 d5 24.e7

Les Noirs ont 2 Cavaliers pour la Tour mais la position de leur Roi reste problématique et le dernier coup de l’adversaire s’oppose à 24…c6.

24...f6?!

24...c7 était intéressant mais ne sauve pas la partie après 25.c4! et ici : 25...xc4 (25...f5 26.g3+ d8 27.be1 c8 28.e8+ b7 29.b3+ a7 (29...c7 30.c5!) 30.c8 a5 31.b1+-) 26.e5+ c6 27.e6+ b7 28.xb2++-

25.e5 b7 26.d1+ bd7

Les Noirs sont sur le point de terminer le développement.

Après 26...♘bd7

27.c5!! Décisif ! 27...a7

Si 27...b1 28.f8+ c7 29.c5+! b6 (29...xc5 30.d6+ c8 31.d8#) 30.xb1++-

28.c6 1-0 Menace 29.xf6+ et si le Cavalier bouge 30.xd7+.

Après 28.♕c6 1-0

En 2022 la FADA (Fédération d’échecs d’Argentine) fêtera ses 100 ans d’existence, ce sera l’occasion de revenir sur son passé glorieux.

Morgado, Juan - Kletsel, Mikhail, Xe championnat du monde par correspondance 1978/82

« Je tiens à remercier Willy Iclicki, directeur de la FIDE, qui m’a procuré quelques documents, Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles et tous les lecteurs de leur soutien. » Georges Bertola


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Les réactions (1)

  • Delarche

    La "grieta" (le précipice, la crevasse) comme on dit, qui sépare le kirchnérisme du macrisme en Argentine aujourd'hui a des racines anciennes comme le montre l'opposition politique entre clubs argentins des années 20!
    Une précision: ce n'est pas UN poème que Borges a consacré aux échecs mais DEUX (j'ai traduit ces deux poèmes dans un des chapitres de mon essai Trahisons multiples). J'ai aussi évoqué l'affrontement entre Capablanca et Alekhine dans mon premier roman policier argentin Les Neiges du temps.