Le supplément hebdomadaire du célèbre quotidien sportif français L'Équipe a souhaité offrir une tribune aux joueuses d'échecs français, pour leur permettre de libérer la parole et de dénoncer les violences sexistes et sexuelles dans leur sport. L'article présente de nombreux témoignages de joueuses qui révèlent leur ras-le-bol vis-à-vis des gestes ou remarques déplacés, et leur indignation face à des violences graves.
"Le monde des échecs n'en finit pas de hoqueter. Après le succès planétaire de l'aimable bluette netflixienne Le Jeu de la Dame qui avait dépoussiéré la discipline en en proposant une image idéalisée à travers l'ascension jusqu'au sommet d'une joueuse sortie de nulle part, façon Rocky Balboa, on aurait pu penser que les échecs allaient connaître un nouvel âge d'or. Certes, l'audience des grandes plateformes n'en finit pas de croître. Mais la réalité est plus contrastée (...) Une nouvelle déflagration s'est abattue sur les échecs. Mais il s'agit cette fois d'une lame de fond qui traverse les sociétés occidentales à laquelle les échecs - milieu très majoritairement masculin et profondément misogyne - ne pouvaient pas échapper : la libération de la parole des femmes." (extrait de l'article de Frédéric Waringuez dans l'Équipe Magazine du 6 octobre 2023)
Cette prise de parole médiatique fait suite à la publication en août 2023 d'une lettre ouverte dénonçant les violences sexistes ou sexuelles subies dans le monde des échecs. Parmi les joueuses signataires, Natacha Benmesbah, vice-championne de France, Andreea Navrotescu, ou encore Mitra Hejazipour. Des dizaines de joueuses avaient par la suite apposé leur signature au texte, largement repris par les médias français. Le collectif « Nous, joueuses d'échecs » avait alors décidé de "mettre ce compte [Twitter, ndlr] en pause pour réfléchir à ce qu'il faut faire par la suite".
"Il y a eu des évènements au mois de juin qui ont déclenchés l’envie de faire une lettre parce que nous étions plusieurs à en avoir assez. La lettre est sortie début août, le temps de collecter des signatures. Cette lettre, c’est l’expression d’un ras-le-bol général qui dure depuis bien trop d’années." (Mathilde Choisy, extrait de son interview dans le numéro d'octobre 2023 d'Europe Échecs)
Dans ce dossier de l'Équipe Magazine, Mathilde Choisy révèle l'affaire qui a incité ces joueuses à passer à l'action pour alerter et provoquer un changement des mentalités :
"L'élément déclencheur (de ce collectif et de la lettre), explique Mathilde Choisy, qui fut DTN puis DG de la Fédération française des Échecs entre 2017 et 2021, est une affaire qui date du mois de juin et qui, je pense, nous a fait un petit peu péter les plombs collectivement. C'est un entraîneur de l'équipe de France jeunes qui dans le cadre de son club, a eu des relations sexuelles avec deux de ses élèves mineures. On a parlé d'une relation consentie, mais on est dans un rapport d'autorité entre un coach et une gamine de 15, 16 ou 17 ans. Beaucoup de gens savaient. L'affaire a émergé par une troisième joueuse, mineure également, qu'il s'est mis à draguer et qui, elle, a paniqué..." La jeune fille en question qui devait faire un stage sous l'autorité de cet entraîneur, a confié sa peur à ses amies, ce qui a abouti au déclenchement de la procédure Signal-sports mise en place par le Ministère des Sports. "Il est suspendu de manière provisoire, poursuit Mathilde Choisy. Sa défense, c'est de dire que c'était consenti. Signal-sports déclenche automatiquement l'ouverture d'une enquête et c'est du pénal. Je pense qu'il va passer un sale quart d'heure". (extrait de l'article de Frédéric Waringuez dans l'Équipe Magazine du 6 octobre 2023)
Violences : le mea culpa du club d'Échecs de Saint Louis
Cette nouvelle prise de parole intervient alors que plusieurs affaires de violences secouent le monde des échecs, la dernière en date étant l'enquête concernant le grand maître et entraîneur Alejandro Ramírez, accusé de harcèlement et de violences sexuelles. Le club d'Échecs de Saint Louis a publié le 2 octobre un communiqué en forme de mea culpa : "Nous sommes restés trop longtemps silencieux sur cette question très importante – et ce faisant – nous avons laissé tomber celles que nous défendons : nos étudiantes, nos joueuses, nos donateurs et nos amis. Notre échec à utiliser notre influence pour intervenir est une erreur qui ne se reproduira pas..."