Ah !...Les belles filles !

Le billet quotidien d'Yves Marek sur la partie majoritaire Karpov - Reste du Monde, disputée à l'occasion du Tour de France.

Yves Marek

Ce billet pour l'étape qui arrive - cela ne s'invente pas - à La Planche des belles filles - sera donc d'humeur coquine et grivoise et tiendra ma promesse d'évoquer Vénus. Prévenons tout de suite les jeunes lecteurs pudibonds que cette chronique issue des 32 cases du continent noir de mon cerveau - et, d'évidence, des cases manquantes - doit être marquée aussi de 32 carrés blancs.

 

Ah... on imagine avec volupté, en cet été, les belles filles faisant la planche dans la mer noire en Bulgarie à Varna où Spassky remporta une Est-Indienne d'anthologie contre Evans aux Olympiades de 1962, plongeant comme un ouragan dans la piscine de l'Hotel de Paris à Monaco pendant le tournoi Mélody Amber, ou nageant gracieusement dans l'incomparable piscine du Marillia d'Hammamet qui a abrité le premier tournoi de la francophonie !

Et on plaint les coureurs cyclistes du Tour de France, tous masculins, qui auraient du choisir un autre sport avec le même argument qu'Edgar Faure refusant l'entrée dans la franc-maçonnerie: "ça manque de femmes!".

 

Tandis que les joueurs d'échecs, certes majoritairement masculins, ne doutent pas de la force du sexe dit faible et de l'égalité des sexes depuis que Judith Polgar a défait les plus grands et que la jeune prodige chinoise Hou Yifan a récemment terrassé 5 des trente meilleurs joueurs au monde, dont Shirov de belle manière, au dernier tournoi de Gibraltar. Ceci sans remonter à la grande championne russe Véra Menchik, amie de Lénine, ou plus récemment aux deux imbattables georgiennes, Maia Tchiburdanidze et Nona Gaprindashvili. Personne ne nous reprochera d'avoir un faible particulier pour la sublime Carmen Kass, mannequin de l'année du magazine Vogue en 2000, présidente de la ligue estonienne des échecs, députée dans son pays, et connue surtout pour se glisser dans un bain d'or dans la publicité du parfum Dior, J'adore!, ce qui présagerait de goûts de luxe inaccessibles aux  bourses des joueurs d'échecs si elle n'avait épousé un grand-maître.

 

Il est révolu le temps de la domination masculine où des cavaliers noirs se jetaient sur des dames blanches pour les emmener d'une traite dans le désert et celui ou quelque fou blanc essayait de prendre une dame noire, au risque de perdre la dame blanche et d'ouvrir un espace béant à une attaque hollandaise.

 

Mais si les coureurs du tour, jaloux des joueurs d'échecs, se mettaient, en approchant La planche des belles filles, suçant la roue du peloton, se répétant "pelotons pelotons", à sentir monter en eux le désir, voire pour les coureurs invétérés, ou même les coureurs meetic, à penser convoler en justes noces, nous devons en tant que joueurs d'échecs les prévenir, - suivant l'exemple de Marcel Duchamp qui divorça après quatre mois d'une femme qui ne supportait pas les échecs - , des désillusions du mariage.

 

On commence par faire une ouverture à une sicilienne aux yeux de braise et on se retrouve pour la vie avec un dragon ! On croit s'engager dans une jolie française gracile, n'excluant certes pas quelque variante T(ar)rash, et on se retrouve dans les bras d'un Orang-outan. On  succombe aux charmes d'une blonde hollandaise à la langue imprononçable, rêvant de faire l'amour en anglais, et on se heurte dans les conversations du quotidien à un mur de pierre (Stonewall, dit-elle). On cède au charme vénéneux d'une Espagnole, on se retrouve vite enfermé à la maison comme derrière le mur de Berlin, désespéré de trouver un bon coup. On craque pour une ardente italienne rêvant de la suivre comme Grégory Peck à 100 à l'heure à scooter dans les rues de Rome et elle vous impose un giocco piano. On rêve de pasta, on prend la pâtée. Certaines, aimant disposer de leurs pions selon les préceptes d'Hans Kmoch en pointe de diamants, n'hésitent pas à lancer une attaque Grand Prix qui vous ruine. Le crime passionnel même n'est pas à exclure à la moindre petite infidélité: les siciliennes sont réputées pour le Rauser (calibre 38) et les prudes danoises, dès le début de la première partie fine, pour utiliser Larsen (hic!!). D'autres dames noires, liaisons fatales, utilisant la hache, prennent un cavalier, et en h1. Ceci sans parler des belles-mères, au sujet desquelles la traversée aujourd'hui par le peloton du village de Faucogney-et-la-mer(e) donne aux cyclistes qui savent de quoi je parle d'affreuses et violentes idées.

Alors, que nos coureurs, au corps à corps avec la petite reine, se contentent d'apprécier l'érotisme torride de la course ! Suivez l'étape d'aujourd'hui: Déjà, au départ, à Tomblaine, la dernière petite laine tombe. Après un long moment de préliminaires, l'échappée, approchant de Gérardmer, se fait un film fantastique, caresse les courbes délicieuses du parcours, admire les gorges profondes, laisse tomber ses soutiens dans la montée, tandis que  la queue du peloton s'étire, se tend, et par deux fois, s'approche du col. Par des accélérations successives, des glissements et des montées elle se rapproche du triangle de tête et à l'arrivée, sur le crâne luisant  du vainqueur cramoisi par le soleil, une giclée de liquide mousseux couronne la victoire d'étape !

Pendant ce temps, Anatoly Karpov, contemple un fou noir impuissant qui darde le centre coincé par son propre pion e5, le dernier coup a5 qui, côté bande, le déçoit et, tel une sublime beauté russe tentant de réveiller un amant faiblard, il cherche à titiller le reste du monde par un coup rare, allumeur  et provoquant, plantant son pion en c5 à la manière dont ces beautés fatales inscrivent à jamais dans nos coeurs la brûlure de leurs irrésistibles yeux noirs. Otchi tchiornyé/otchi strassnyé/Otchi jgoutchié/ I pries krasnié/Kak lioubliou ya vas/kak baîous ya vas/Znaïti ouvidiel/Vniedobryi tchas!

Yves Marek

auteur de "Art, échecs et mat" (éditions Actes Sud)

Anatoly Karpov | Photo : Claude Baranton (DR)
La partie après 8. c5