Nouveau match nul dans la 3e partie entre Nepomniachtchi et Carlsen

Championnat du Monde d'Échecs 2021

La table de jeu | Photo Éric Rosen
Dans la troisième partie du match de championnat du monde d'échecs, la variante anti-Marshall de l'Espagnole avec 8.a4 de Ian Nepomniachtchi s'est révélée insuffisante pour obtenir un avantage face à Magnus Carlsen. Repos lundi...

Troisième partie du match de championnat du monde d'Échecs - du 24 novembre au 16 décembre 2021 - pendant l'Expo de Dubaï, aux Émirats arabes unis, entre le Norvégien Magnus Carlsen, tenant du titre mondial, et le Russe Ian Nepomniachtchi, vainqueur du tournoi des candidats et challenger.

Le site officiel https://fideworldchampionship.com propose les parties en direct, un streaming de haute qualité, ainsi que les commentaires du quintuple champion du monde Viswanathan Anand. Il est accompagné par la grand maître ukrainienne Anna Muzychuk.

Vous pouvez retrouver toutes les informations du match - programme, cadence, etc. sur le premier article du dossier du championnat du monde 2021 https://www.europe-echecs.com/art/championnat-du-monde-d-echecs-2021-8622.html

Les debriefings du Maître FIDE Sylvain Ravot

Le Maître FIDE Sylvain Ravot est entraîneur diplômé FIDE et FFE. Entraîneur de l'équipe de France des Jeunes en 2014, 2015, 2016 et 2018. Éditeur de vidéos depuis 2015. Réalisateur de masterclass FFE de 2018 à 2021. Auteur de la rubrique « Finales » dans la revue Europe-Echecs depuis 2020.

Les moments clés de la partie N°3 par Sylvain Ravot

- Nepomniachtchi rejoue une Espagnole mais change son fusil d'épaule par rapport à la partie 1 où il avait joué 8.h3. Son coup 8.a4 fait lui aussi partie de la famille des anti-Marshall, pour éviter le fameux gambit qui survient après 8.c3 d5.

- Les deux joueurs sont très bien préparés jusqu'au 15e coup où il leur reste encore 1h45.
- Carlsen se montre précis avec 16...a5 et 17...Fc8!?
- Nepo est le premier à avancer au centre par 18.d4 mais Carlsen répond par 22...d5 et égalise au centre.
- Les Dames s'échangent, Carlsen joue 25...Fb4! qui échange encore une pièce.
- Carlsen a correctement jugé que l'affaiblissement de sa structure de pions à l'aile-Dame n'était pas un problème dans la finale.
- La partie transpose dans une finale de Fous de même couleur complètement égale. Nulle en 41 coups.
- Les deux joueurs ont joué à plus de 99% de précision aujourd'hui.
- Voir aussi les parties commentées dans l'applet.

Le match Carlsen vs Nepomniachtchi

NomFédElo0102030405060708091011121314Total
Ian Nepomniachtchi
2782½
½½










1,5
Magnus Carlsen

2855 ½
½ ½










1,5
Partie N°3 entre Ian Nepomniachtchi et Magnus Carlsen | Photo Éric Rosen

Match Carlsen vs Nepomniachtchi : Partie N°3

Nepomniachtchi - Carlsen après 10...e8

Ian Nepomniachtchi et Magnus Carlsen ont finalement rejoué une Espagnole : 1.e4 e5 2.f3 c6 3.b5 a6 4.a4 f6 5.0-0 e7 6.e1 b5 7.b3 0-0 mais le Russe n'a pas répété 8.h3, sinon qu'il a préféré l'autre manière d'éviter le gambit Marshall, 8.a4 b7 9.d3 d6 et ici, le challenger a placé sa préparation avec 10.bd2 au lieu du plus fréquent 10.c3. Magnus Carlsen, après 5 minutes de réflexion, a continué par 10...e8, comme dans le diagramme, offrant l'occasion d'une répétition de la position par 11.g5 f8 12.f3 e8, etc. Nepomniachtchi ne pas voulu « gâcher » les Blancs et a poursuivi avec 11.f1.

Même si le nombre de parties diminue dans la base, les deux joueurs savent très bien ce qu'ils font. 11...h6 12.d2 f8 13.e3 e7 14.c4 bxc4 [14...c6 avait été joué dans ½-½ (20) Asrian,K (2582)-Tkachiev,V (2672) Ohrid 2001.] 15.xc4 c6!? Un nouveau coup, difficile à expliquer ; le Cavalier ayant joué 13...c6-e7 et le revoilà en c6. C'est cependant le premier coup de la machine, et puisqu'il a été effectué en seulement 1 minute et 33 secondes, ce n'est pas une improvisation du champion du monde. Cinq minutes de réflexion pour 16.c1 démontre que Nepomniachtchi n'a pas été pris par surprise. Diagramme. 16...a5.

Nepomniachtchi - Carlsen après 16.c1

Au sujet des préparations théoriques, le commentaire de Viswanathan Anand, en 2020, est intéressant : « Prenons par exemple une longue variante où l'évaluation du moteur donne l'égalité du début à la fin. Tout semble avoir du sens... Et puis, vous vous asseyez devant l'échiquier et vous vous retrouvez plus ou moins en panique. Le mot panique semble même trop faible parce que presque chaque coup vous effraie. Vous n'arrivez pas à comprendre comment tout ça a pu vous paraître aussi inanimé chez vous... Tout ce qui semblait évident, toutes les questions que vous ne pensiez pas vous poser, se révèlent soudainement et apparaissent sur l'échiquier. Et il est clair aussi que vous n'avez aucune réponse satisfaisante. »

Nepomniachtchi - Carlsen après 20...e6

17.c3 c8 Après le va-et-vient du Cavalier, voici celui du Fou. Ian Nepomniachtchi doit maintenant décider s'il pousse d4 sans attendre ou pas. Et sept minutes plus tard 18.d4 est arrivé sur l'échiquier. 18...exd4 19.xd4 xd4 20.xd4 e6 Diagramme. Il est très difficile de savoir si les joueurs sont encore dans leur préparation. Peut-être ne sont-ils pas exactement dans des variantes analysées, mais ils ne sont pas non plus en terra incognita. Même si Nepomniachtchi s'est ici plongé dans une longue réflexion. La position blanche est sympathique, mais la poussée ...d5 menace, ce qui nivèlerait le jeu.

Malgré 30 minutes de réflexion, Ian Nepomniachtchi n'a pas trouvé le moyen d'empêcher cette poussée égalisatrice et a joué 21.h3. Deux variantes que les Blancs devaient rejeter : 21.xa5?? perdait sur 21...xc4! 22.xc4 xa5 23.xf7+ h8 24.xc7 ae5. Et si 21.xa5?! est moins mauvais, les Noirs sont quand-même mieux après 21...c5! 22.d2 xb3 23.e5 xa4 24.exf6 xe1+ 25.xe1 g6. Après le coup du challenger, le calculateur analysis.sesse.net hésite entre pousser ...d5 immédiatement et le préparer par ...c6. Magnus Carlsen a choisi 21...c6 comme dans le diagramme, après 17 minutes. 0h51-1h06. 22.c2 d5.

Nepomniachtchi - Carlsen après 21...c6

Nigel Short : « C'est un peu mieux pour les Blancs. Le challenger va devoir gagner des positions comme celle-ci s'il veut devenir Champion. »

Nepomniachtchi - Carlsen après 27...xg7

Avec leurs deux Fous braqués vers le roque noir les Blancs semblent menaçants. Cependant, la poussée égalisatrice ayant été réalisée, sur 23.e5 de nombreux échanges sont désormais forcés. Selon Viswanathan Anand « C'est égal mais pas mort ! » 23...dxc4 24.xd8 exd8 25.exf6 b4! 26.fxg7 xc3 27.bxc3 xg7 comme dans le diagramme. 28.f1 avec égalité, malgré les pions doublés noirs sur la colonne « c ». D'ailleurs, les Noirs pourraient même en perdre un des deux, que les chances de gain des Blancs resteraient inexploitables. 28...ab8 29.b1 f6

La suite n'a que peu d'intérêt : 30.xb8 xb8 31.b1 xb1+ 32.xb1 e5 33.e2 f5 34.c2 f4 35.b1 c5 36.c2 d7 37.f3 f6 38.h4 e5 39.f2 f6 40.e2 e5 41.f2 ½-½ — Première journée de repos lundi 29 novembre.

Quelques coups avant de partager le point | Ian Nepomniachtchi et Magnus Carlsen

Magnus Carlsen : « À chaque match nul ça devient un peu plus tendu, mais pour l'instant c'est seulement 3 parties, il reste beaucoup de temps et, comme vous l'avez vu hier, cela aurait pu être facilement un résultat décisif. Personnellement, comme j'ai eu 2 fois les Noirs, je suis assez satisfait. » 

Ian Nepomniachtchi : « L'ouverture s'est achevée en ma faveur, j'ai eu un léger avantage qui semblait être à long terme. Le coup 16...a5 de Magnus est sûrement discutable sur le plan positionnel, mais il semble qu'après quelques coups précis les Noirs sont proches de l'égalité. »

À la question : Comment se souviendra-t-on de Magnus Carlsen dans 50 ans ? Le champion du monde a répondu : « Parler d'héritage pendant un match est un terrier de lapin dans lequel je ne veux pas descendre, mais j'espère que ce sera comme quelqu'un qui a remporté une partie classique dans un match de championnat du monde après 2016 ! »

« Jusqu'à présent, je trouve Ian très bien préparé, mais ses coups sont trop passifs dans le jeu. Je m'en inquiète un peu. » Igor-Alexandre Nataf

En attendant la troisième partie du match...

Après les deux premières parties, nous pouvons déjà remarquer plusieurs éléments. Ian Nepomniachtchi ne se jette pas en avant comme on aurait pu le croire, voire le craindre, sinon qu'il reste assez solide. C'est même Magnus Carlsen qui a sacrifié du matériel dans les deux parties. Ensuite, Magnus Carlsen et son équipe de secondants ont réussi à surprendre le challenger dans l'ouverture dans les deux parties, avec 8...a5!? et 8.e5!?. Ainsi, malgré deux résultats nuls, on peut considérer que le tenant du titre mondial mène aux points.

Dans la troisième partie, avant la première journée de repos prévue lundi, nous verrons si Ian Nepomniachtchi a une autre ouverture à proposer que l'Espagnole, ou au moins une variante plus incivive que 8.h3 pour éviter le gambit Marshall, bien que Magnus Carlsen pourrait brouiller les cartes avec un autre premier coup que 1...e5.

Au risque de nous répéter, souvent l'évaluation des parties varie selon les commentateurs ; certains voient une position favorable pour celui-ci, d'autres pour celui-là, et il est finalement impossible d'acquérir d'absolues certitudes. De plus : « Il y a des éléments scientifiques et artistiques, mais ils s’effacent devant l’élément principal : le combat. » Emanuel Lasker.

« Nous sommes tous des génies, assis là sur nos fesses, avec des moteurs qui travaillent pour nous. C'est quand même un jeu très complexe. Pas étonnant qu'ils commettent des erreurs et des imprécisions. »

Ainsi, même si nous ne parvenons pas à connaître la « Vérité », comme le souligne le GM australien David Smerdon, nous pouvons quand-même apprendre de certaines positions : « Au moins, tous les entraîneurs d'échecs savent maintenant quelle partie montrer lorsqu'un élève demandera "Qu'est-ce qu'un avant-poste ?" » Et Nigel Short a ajouté : « La question pourrait être aussi "Qu'est-ce qu'un homard géant tentaculaire ?" » en référence aux Cavaliers en d3 et d6 de la deuxième partie.

Et pour démontrer une fois de plus que rien n'est simple au jeu d'échecs, si tout le monde connaît la phrase de Wilhelm Steinitz : « Donnez-moi un Cavalier en sixième et je gagnerais toutes mes parties. » On notera que dans la 2e partie les Noirs étaient un peu moins bien alors qu'ils possédaient un « Cavalier pieuvre » en d3, puis ce sont les Blancs qui se sont retrouvés un peu moins bien lorsqu'ils avaient un « Cavalier pieuvre » implanté en d6.

Les parties du match de championnat du monde Magnus Carlsen vs Ian Nepomniachtchi

Publié le , Mis à jour le

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Les réactions (13)

  • pat217125

    suite,
    contre Caruana au Grand Swiss). Par contre, si les deux joueurs jouent des lignes archi-connues, ils n'ont pas besoin d'autant de temps, c'est vrai, mais la partie offre peu d'intérêt; il n'y a pas de combat, ni de créativité, les deux adversaires cherchant à amener l'autre dans une ligne qu'ils espèrent moins connue de leur opposant. C'est ce qui s'est passé hier et ce qui se passe trop souvent malheureusement. Conclusion, les parties sont "cadenassées" par les préparations informatiques et seuls les échecs rapides plaisent au public et aux sponsors. De toute façon, toutes ces "préparations" sont une forme de triche, non par rapport aux autres joueurs puisque tout le monde peut s'aider de logiciels, mais par rapport au jeu d'échecs lui-même puisque c'est surtout la mémoire des lignes et la connaissance des plans qui leur sont associés qui sont le plus important et non la recherche intellectuelle sans aide d'aucune sorte des meilleurs coups selon les positions.

  • pat217125

    GeorgesHenri,
    Comme je l'ai dit il y a quelques jours, il est vrai qu'on assiste plus à de longues parties rapides qu'à de véritables parties longues et j'aimerais connaître les cadences de parties de tous les précédents championnats du monde jusqu'au premier pour mieux juger si la cadence actuelle est une bonne cadence. Sylvain Ravot a donné quelques informations à ce sujet pour quelques championnats du monde seulement. Pour ma part, je laisserais encore plus de temps aux deux protagonistes, surtout pour le milieu de jeu où c'est là que se joue souvent le destin de la partie alors que le temps de jeu restant, après le quarantième coup, est souvent trop important. Deux heures ou une heure et demie avec l'incrément de trente secondes est un temps de jeu trop peu important pour le milieu de partie, empêchant les joueurs de réfléchir suffisamment: regardez "Firou", ce jeune joueur génial qui cherche à gagner à tout prix, est souvent en manque de temps avant le 40ième coup.(cf sa défaite

  • GeorgesHenri

    Pat 217125 J'approuve largement votre commentaire.(sauf un point, "si on ne souhaite pas supprimer le championnat du monde en partie longue", il n'empêche qu'on l'a fait, chacun peut le vérifier) J'ajoute que les sociétés marchandes poussent leur avantage en multipliant les conditions spectaculaires et absurdes. Or, il y a peut-être des sponsors éthiques, on ne sait jamais. C'est a FIE de produire un cahier des charges, et de faire appel à des candidats sponsors qui respecteraient le jeu, les joueurs et les conditions déroulement, le réglement d'une authentique épreuve de championnat du monde de parties longues.

  • pat217125

    Suite
    Il faudrait trouver un règlement qui incite FORTEMENT les joueurs à chercher la victoire à tout prix en pénalisant la partie nulle au profit de la gagne.
    De plus, je suis favorable à un nombre de parties plus important, permettant aux joueurs de prendre plus de risques en se disant qu'ils auront plus de parties pour rattraper leur retard. Un mois et demi de compétition, (le double du système actuel) avec 30 parties me parait correct: assez de parties pour légitimer le champion avec 2 victoires d'écart et non un ridicule demi-point. Mais, si je comprends bien, il faut trouver des sponsors qui acceptent de financer une épreuve aussi longue. Encore une fois, nous risquons de nous heurter au monde de l'argent qui empêche en réalité le développement des vrais échecs, le jeu de parties longues dans lesquelles la réflexion profonde et la créativité l'emportent sur les connaissances et les réflexes.

  • pat217125

    Je ne pense pas GeorgesHenri, que l'on veuille supprimer les parties longues pour le titre suprême. Le problème est de trouver une durée raisonnable pour le championnat du monde, ni trop courte (comme actuellement), ni trop longue (comme il y a quelques décennies). Un titre de champion du monde doit vouloir dire quelque chose et de ce point de vue, Carlsen est depuis 2016, moins légitime de le posséder que ses glorieux prédécesseurs quel que soit le champion exceptionnel qu'il est. Carlsen mérite plus d'être champion du monde car il est numéro 1 mondial depuis 10 ans que grâce à ses victoires en championnat du monde depuis 2016. Le problème, depuis que les joueurs sont énormément aidés par les ordinateurs, ce sont les parties nulles. En effet, leurs préparations très poussées augmentent la probabilité de faire nulle. Attention, je sais que la partie nulle est consubstantielle du jeu d'échecs, qu'elle fait partie intégrante de ce jeu et c'est normal. Il ne faut donc pas l'interdire.