Quatrième match nul entre Magnus Carlsen et Ian Nepomniachtchi

Championnat du Monde d'Échecs 2021

Magnus Carlsen | Photo Éric Rosen
Magnus Carlsen change son fusil d'épaule, choisit 1.e4, et Ian Nepomniachtchi répond par une inattendue défense Petrov. La nouveauté 18.Ch4!? du Norvégien fait long feu face au Russe hyper-préparé et le champion du monde en titre doit se contenter du demi-point au 33e coup.

Quatrième partie du match de championnat du monde d'Échecs - du 24 novembre au 16 décembre 2021 - pendant l'Expo de Dubaï, aux Émirats arabes unis, entre le Norvégien Magnus Carlsen, tenant du titre mondial, et le Russe Ian Nepomniachtchi, vainqueur du tournoi des candidats et challenger.

Le site officiel https://fideworldchampionship.com propose les parties en direct, un streaming de haute qualité, ainsi que les commentaires du quintuple champion du monde Viswanathan Anand. Il est accompagné par la grand maître ukrainienne Anna Muzychuk.

« Dans un microcosme rempli de démoniaques modules, l'analyse approfondie de Vishy Anand du match Carlsen contre Nepomniachtchi est susceptible d'entrer dans l'histoire des retransmissions comme d'authentiques masterclass, exécutées avec patience, éloquence et sans aucune suggestion informatisée. » Olimpiu G. Urcan

Vous pouvez retrouver toutes les informations du match - programme, cadence, prix, etc. sur le premier article du dossier du championnat du monde 2021 https://www.europe-echecs.com/art/championnat-du-monde-d-echecs-2021-8622.html

Les debriefings du Maître FIDE Sylvain Ravot

Le Maître FIDE Sylvain Ravot, entraîneur diplômé FIDE et FFE. auteur de la rubrique « Finales » dans la revue Europe-Echecs depuis 2020, vous propose ses debriefings et ses coups du jour.

Les moments clés de la partie N°4 par Sylvain Ravot

- Carlsen ne rejoue pas 1.d4 mais choisit cette fois 1.e4
- Nepomniachtchi opte pour la solide défense Petroff 1.e4 e5 2.Cf3 Cf6...
- Les joueurs suivent longtemps une grande variante théorique, avec beaucoup de parties de référence, Carlsen innove avec
18.Ch4 puis l'agressif 19.g4!?
- Nepomniachtchi n'est cette fois pas surpris, bien préparé contre cette nouvelle idée il réagit vite et bien
- Après 24 coups, Carlsen obtient néanmoins 25 minutes d'avance à la pendule
- Nepomniachtchi lance son pion passé avec 27...a4, il a bien jugé/calculé la position
- Carlsen dépense plus d'une heure pour trouver un plan gagnant (qui n'existe pas) et choisit finalement de répéter la position
- Après 4 parties, l'équilibre du match est maintenu, mais la route est encore longue.

Le score du match Carlsen vs Nepomniachtchi

NomFédElo0102030405060708091011121314Total
Ian Nepomniachtchi
2782½
½½½










2,0
Magnus Carlsen

2855 ½
½ ½ ½










2,0

Carlsen vs Nepomniachtchi : Partie N°4

Sven Magnus Øen Carlsen fête ce 30 novembre 2021 son trente et unième anniversaire ! Le champion du monde en titre a certainement profité de la journée de repos pour concocter, avec l'aide de son équipe de secondants, une mauvaise surprise à son adversaire, Ian Nepomniachtchi, dans l'espoir de s'offrir une victoire en guise de cadeau !

Nous avions écrit avant le premier affrontement que « la meilleure chance de Nepomniachtchi résidait dans les premières parties. Et que le Russe devait absolument tenter de profiter des débuts de compétition parfois poussifs de Carlsen. » Néanmoins, il faut reconnaître que la stratégie théorique de Ian échoue à mettre Magnus en danger. Et même si Carlsen n'a pas encore joué à son meilleur niveau, il est désormais bien rentré dans le match. Attention, danger pour le challenger !

Carlsen - Nepomniachtchi après 18.h4

Magnus Carlsen change son fusil d'épaule et choisit 1.e4 comme premier coup, au lieu de 1.d4 de la partie numéro 2. Plus surprenant, le choix de Ian Nepomniachtchi : une défense Petrov, ou défense russe, au lieu de son habituelle défense Sicilienne variante Najdorf. 1.e4 e5 2.f3 f6 3.xe5 d6 4.f3 xe4 5.d4 d5 6.d3 d6 7.0-0 0-0 8.c4... La suite est une récitation de la théorie... jusqu'au 18.h4!? du diagramme, une nouveauté de Magnus Carlsen jouée en seulement 7 secondes, au lieu de 18.bxa6, que l'on ne retrouvait que dans des parties par email. 18...g6 a été la riposte du Russe.

19.g4 est rapidement joué. Nepomniachtchi n'a vraiment pas l'air surpris et le rythme des coups ne baisse pas. 19...d7 et le Russe s'est levé, sûr de lui, en jetant au passage un regard vers son adversaire. 20.g2 Avec l'évidente idée d'échanger la meilleure pièce des Noirs, leur Fou de cases noires. 20...fc8 21.f4 xf4 Après 11 minutes. 21...f8 était une alternative analysée par Vishy Anand. 22.xf4 xc3 23.xd5 d3 24.e7 f8 Tous ces coups, joués très vite, laissent penser que les deux joueurs sont encore dans leur préparation. Les Blancs semblent un peu mieux, mais le pion passé noir en a5 ne doit pas être négligé.

Carlsen - Nepomniachtchi après 24...f8
Carlsen Nepomniachtchi après 27.d5

Les Blancs possèdent un pion passé sur la colonne « d », les Noirs sur la colonne « a », et une course à la promotion vient de démarrer. Il reste à savoir qui sera le plus rapide. Il faut remarquer que si les Noirs ont encore leur pion a5, c'est parce que Carlsen a innové par 18.h4 au lieu de prendre « en passant » par 18.bxa6. Pour la première fois de la partie Magnus Carlsen a pris du temps de réflexion, sans doute pour considérer la répétition de la position par 25.f6+ g7 26.e8+ g8 27.f6+ avec une partie nulle. 23 minutes plus tard est arrivé 25.f6+ g7 26.e8+ g8 et le Norvégien décide de jouer avec 27.d5!?.

Les avis des commentateurs divergent ici. Pour Anish Giri : « Je pense personnellement qu'il y a un piège quelque part, et Magnus est en train de le mettre en place ! » En revanche, pour Anna Muzychuk : « Excellente préparation de Ian Nepomniachtchi ». Fabiano Caruana fait l'éloge du choix d'ouverture de Nepomniachtchi et ajoute qu'une Petroff bien préparée peut vraiment stopper complètement 1.e4 de l'adversaire. Après 21...f8, Simon Williams est « extrêmement impressionné » par cette préparation. « Je pense que c'est une ligne que personne n'aurait pu prédire, et il semble que Ian trouve tous les meilleurs coups... » 

27...a4 a évidemment été joué très vite. La différence de puissance entre les deux pions passés se situe dans le fait que la case de promotion du pion blanc est contrôlée deux fois par les Noirs, alors que pour promouvoir le pion « a », il suffit de le pousser et de jouer la manœuvreb3 et b1. 28.f6+ g7 Carlsen renonce une nouvelle fois à prendre le demi-point - même si l'option est toujours sur la table - et préfère 29.g5 a3 Le pion devient un peu plus menaçant et Carlsen va prendre 34 minutes avant de continuer avec 30.e8+ g8 31.f6+ g7 0h33 - 1h08. 32.e8+ g8 33.f6+ ½-½

Carlsen - Nepomniachtchi après 33.f6+ ½-½

Magnus Carlsen : « Pas grand chose à dire. J'ai choisi une nouvelle variante, tranchante, mais il semblait savoir quoi faire. J'ai essayé de trouver quelque chose, mais je n'ai pas pu. » Et aussi : « L'option de la défense Petrov par Nepomniachtchi n'était pas une surprise. »

Ian Nepomniachtchi : « La ligne qui s'est produite devrait être connue de beaucoup de ceux qui jouent la Petroff... Ch4 est un essai très intéressant, et peut-être que je le jouerais même un jour avec les Blancs ! »

Pavel Eljanov : « Nepo semble être le challenger le plus digne à ce stade : brillamment préparé, confiant et vif. Je suppose que beaucoup de gens pensent que ce match est ennuyeux, moi je pense que c'est assez intéressant. La tension monte ! »

Magnus Carlsen : « C'est bon. J'ai déjà commencé avec beaucoup plus de nulles que ça. Quand vous jouez une ligne forcée, comme aujourd'hui, vous ne vous attendez pas à frapper très souvent, mais l'idée est de frapper de temps en temps en prenant votre adversaire par surprise. »

Magnus Carlsen | Photo Éric Rosen

En attendant la quatrième partie du match...

C'est devenu une habitude, et ce match de championnat du monde 2021 n'y fera pas exception : la remise en cause des parties nulles. Commençons par le tweet de Douglas Griffin, écrivain sur l'histoire des échecs soviétiques et traducteur de littérature d'échecs russe : « Si votre idée de rendre les échecs plus intéressants exclut les parties nulles, alors peut-être que vous n'aimez pas les échecs autant que vous le pensez. »

Rose Bertin (1747-1813), « ministre des modes » de la reine de France Marie-Antoinette le disait déjà : « Il n'y a de nouveau que ce qui est oublié. » Ceci pour rappeler ce que Mark Taïmanov a écrit au sujet des parties nulles en championnat du monde : « Juger le match Kasparov - Karpov sur le nombre important de parties nulles avec des statistiques nues, est un exercice aussi stérile que, par exemple, tenter d'apprécier un opéra en lisant seulement le libretto, mais sans entendre la musique ni voir l'action sur la scène. » 

Depuis les deux interminables séries de 17 et 14 nulles consécutives du match entre Garry Kasparov et Anatoly Karpov 1984/1985, le monde a changé. De nos jours, la majorité des joueurs d'échecs amateurs jouent principalement sur Internet, en rapide et en blitz, et ont du mal à apprécier des parties de 3, 4, voire 5 heures, s'achevant par le partage du point.

Cette absence de parties décisives en championnat du monde commence malgré tout à chagriner Magnus Carlsen - 10 nulles sur 12 parties en 2016 contre Sergey Karjakin, et 12 nulles sur 12 en 2018 contre Fabiano Caruana. Le tenant du titre a ainsi déclaré, dimanche, espérer que l'on se souvienne de lui dans 50 ans « comme quelqu'un qui a remporté une partie classique dans un match de championnat du monde après 2016 ! » Lorsqu'il lui a été demandé si quelque chose pouvait être fait pour réduire le pourcentage de parties nulles des matchs pour le titre, le champion du monde a répondu : « C'est un débat entre sport et science. Soit la cadence actuelle est accélérée, soit le duel pourrait être une combinaison de parties lentes et de parties rapides. »

Nous ne devons toutefois jamais perdre de vue qu'il s'agit d'un match de championnat du monde - le top du top, la finale des finales, l'Everest du joueur d'échecs - et l'objectif est uniquement de réussir à marquer 1 point de plus que l'adversaire à la fin des quatorze parties, rien de plus ! Magnus Carlsen et Ian Nepomniachtchi ne sont pas là pour épater la galerie en se lançant, baïonnette au canon, dans des attaques douteuses. Et encore moins dans les premières parties, où chaque joueur teste d'abord son adversaire et tente de cerner l'étendue de sa préparation.

« Les coups d’ouverture sont plus ou moins les mêmes et c’est difficile de prendre l’avantage. Pendant la première moitié de la partie, il est presque impossible de gagner. Quelquefois il n’y a que 10 coups pour faire la différence, parfois même pas. » Veselin Topalov

Alors évidemment, aujourd'hui, habitués aux nombreux tournois en ligne, en rapide et en blitz, avec leur lot d'erreurs et de jauges d'évaluation bondissantes, les gens veulent du spectacle et attendent du jeu flambloyant. Toutefois, Garry Kasparov le disait déjà il y a quelques années : « Vous ne pouvez pas crier : « Allez ! Allez ! Joli coup ! » Les échecs sont un art et non un sport de spectateur. »

Alors qu'autrefois les joueurs pouvaient tenter des coups risqués pour déséquilibrer leurs adversaires, ils ont désormais tendance à jouer de manière plus solide pour éviter les erreurs. « Je pense que l'ère du style [dynamique et créatif] de Kasparov est révolue. Je pense qu'il est désormais impossible de jouer de cette façon », a déclaré le grand maître ouzbek Rustam Kasimdzhanov à propos du match. Source Financial Times

Ajoutons encore ce texte de William Cluley publié en 1857 dans "The Philosophy of Chess", que les lecteurs de la revue Europe-Echecs retrouveront dans l'excellente rubrique historique de Georges Bertola : « Si nous considérons les deux camps au début d'une partie, nous voyons un exact équilibre de la position, du rapport de force, du territoire et de la liberté d'action. Le joueur en premier menace généralement de détruire l'équilibre, tandis que le joueur en second cherche constamment à le maintenir, aucune des parties n'y gagnant un avantage tant qu'il est conservé. On reconnaît ainsi la loi de l'égalité ou du match nul. Toute partie conduite logiquement, combien même le jeu peut être prolongé, ou aussi varié soit-il, doit se terminer par un match nul. » 

Et terminons par une citation qui laisse entrevoir que ce match ne s'achèvera pas sans quelques parties décisives : « Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger. » Julien Gracq  (1910 - 2007)

Ian Nepomniachtchi | Photo Éric Rosen
Les parties du match de championnat du monde Magnus Carlsen vs Ian Nepomniachtchi

Pendant le match de championnat du monde, 12 jeunes de la Chessable Academy ont eu la chance de venir à Dubaï pour suivre le match, visiter l'EXPO, et s'entraîner avec les anciens champions du monde Viswanathan Anand, Vladimir Kramnik et le vainqueur de la Coupe du monde 2021, Jan-Krzysztof Duda. Photo ci-dessous en présence de Bachar Kouatly, vice-président de la Fédération Internationale des Échecs.

FIDE Chessable Academy Dubai Camp | Photo Niki Riga

Publié le , Mis à jour le

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Les réactions (18)

  • Caravelle

    Proposition à la Fide : les deux premiers coups des blancs sont joués par les noirs et inversement 😁😁

  • SylvainRavot

    La nulle est le résultat logique d'une partie bien jouée. Or les joueurs ont accumulé 2 siècles de connaissances et y ont ajouté l'apport des ordinateurs. Je trouve qu'on oublie un peu vite que le championnat du monde 1910 a vu 8 nulles et 2 gains, celui de 1921 : 10 nulles et 4 gains, celui de 1927 25 nulles et 9 gains, celui de 1984 40 nulles et 8 gains. Avoir mis une cadence KO plutôt qu'un incrément tend à favoriser les erreurs avant le 40e coup. Enfin il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions dans ce match en particulier puisque si on commence à dénombrer les séries de 4 nulles dans l'histoire des championnats du monde d'échecs, on en a pour fort longtemps.

  • pat217125

    Conclusion(fin),
    Jusqu'où irons-nous?
    4/ Certaines règles du jeu d'échecs doivent être changées pour inciter les joueurs à jouer la gagne à chaque partie et pour essayer, si c'est possible, de contrebalancer l'influence beaucoup trop grande, à la limite de la triche, des "préparations" en accordant plus de temps de jeu pour les milieux de parties qui sont tellement complexes que les joueurs ne pourront jamais connaître entièrement et parfaitement.
    5/ S'il existe encore des joueurs qui aiment ce jeu pour les satisfactions intellectuelles qu'il procure, il y en a certainement, ils doivent demander ces changements que la FIDE n'a pas l'air de désirer. Sinon, ce jeu ne sera plus qu'un combat d'ordinateur contre un ordinateur par le truchement d'êtres humains ou bien un jeu pratiqué exclusivement en parties très rapides, amusantes, truffées d'erreurs inéluctables qui plairont au public comme un amusement supplémentaire de leur quotidien.

  • pat217125

    Conclusion,
    1/ Il y a de moins en moins de parties passionnantes, même s'il y en a encore, à notre époque des échecs "modernes", surtout pendant un championnat du monde.
    2/ L'intelligence artificielle a tué les vrais échecs, les échecs de parties longues, au profit des parties rapides et des blitz. S'il y a encore des passionnés du jeu d'échecs chez les joueurs de l'élite, ils devraient demander de la part de la FIDE, de nouvelles règles.
    3/ Les préparations extrêmement "poussées" incitent les joueurs de l'élite ( MVL hier) à demander des cadences semi-longues (une heure plus 10 secondes par exemple) parce que les 30 premiers coups de nombreuses lignes de jeu leur sont connus d'avance; ainsi, ils n'ont pas besoin de beaucoup de temps pour jouer le reste de la partie. Mais, raccourcir les cadences va inciter les joueurs à se préparer de plus en plus en apprenant de plus en plus de lignes avec leurs plans de jeu associés: ce seront les logiciels qui joueront par humains interposés!

  • Azimut

    Si pat217125 a raison, dans ce cas il faudrait décerner le titre de champion du monde de la mémoire !
    Oui, mais voilà, le cerveau humain ne peut tout mémoriser, et je pense que tôt ou tard le joueur restera avec ses seules possibilités devant l'échiquier.
    De mon point de vue, c'est immanquablement ce qui va se produire, et le joueur le plus talentueux, le plus téméraire et le plus audacieux l'emportera !
    "Allez Magnus ! " 😀