Magnus Carlsen verse le premier sang dans le duel face à Ian Nepomniachtchi

Championnat du Monde d'Échecs 2021

Magnus Carlsen | Photo Niki Riga
Après un méli-mélo entre le 30e et le 40e coup de la 6e partie, dans lequel Carlsen et Nepomniachtchi ont eu chacun leur tour l'occasion de prendre l'avantage, le duel s'est achevé au terme de 136 coups et près de 8 heures de jeu en faveur de Magnus Carlsen.

Sixième partie du match de championnat du monde d'Échecs entre le Norvégien Magnus Carlsen, tenant du titre mondial, et le Russe Ian Nepomniachtchi, vainqueur du tournoi des candidats et challenger. Du 24 novembre au 16 décembre 2021 pendant l'Expo de Dubaï, aux Émirats arabes unis,

Le site officiel https://fideworldchampionship.com propose les parties en direct, un streaming de haute qualité, ainsi que les commentaires du quintuple champion du monde Viswanathan Anand, accompagné par la grand maître ukrainienne Anna Muzychuk.

Retrouvez toutes les informations sur le match : programme, cadence, départages, prix, etc. sur le premier article du dossier du championnat du monde 2021 https://www.europe-echecs.com/art/championnat-du-monde-d-echecs-2021-8622.html

Les debriefings du Maître FIDE Sylvain Ravot

Le Maître FIDE Sylvain Ravot, entraîneur diplômé FIDE et FFE, auteur de la rubrique « Finales » dans la revue Europe-Echecs, vous propose une playlist de vidéos avec debriefings et coups du jour.

Les moments clés de la partie N° 6

- Carlsen revient à 1.d4 comme dans la 2e partie mais il change son ordre de coups et entre dans un schéma de type catalan mais pas dans une véritable Catalane
- Il joue le très rare
8.c4 et a préparé le gambit inconnu 10.Cbd2!?
- Nepomniachtchi ne tente pas le diable, il refuse le gambit et trouve le très inspiré
11...b5! qui libère son aile-Dame et lui permet d'égaliser
- Le 17e coup est critique, Nepomniachtchi peut échanger les Dames et avoir une position confortable voire meilleure mais, plus ambitieux, il préfère les laisser sur l'échiquier avec
17...gxf6!?
- Le 2e moment critique est
25...Tac8 quand Nepo accepte l'invitation de Carlsen de troquer ses 2 Tours contre une Dame. Les 2 joueurs veulent un déséquilibre !
- La position est objectivement égale mais le déséquilibre matériel pimente la partie, tout comme le manque de temps de Carlsen (3 min vs 14 min au 31e coup)
- Le zeitnot est fou, les 2 joueurs commettent des erreurs ou des imprécisions, Nepomniachtchi refuse deux fois de prendre en b4, jouant pour le gain
- Après le 40e coup, la position est objectivement égale mais le Russe a causé quelques dégâts à sa position en perdant son pion "e", ce qui ruine sa structure à l'aile-Roi. Il peut néanmoins compter sur son pion passé en a3.
- Nepo se montre imprécis avec
52...De4 qui laisse 53.Txa3! à Carlsen qui transposerait dans une finale gagnante. Les Noirs troquent donc a3 contre h4.
- La finale est difficile à évaluer mais c'est Carlsen qui joue pour le gain. Les joueurs atteignent le 60e coup et récupèrent 15 minutes ainsi que 30 secondes par coup.
- Carlsen trouve
80.Txf7+! qui modifie le rapport matériel en TCppp vs Dp. De longues manoeuvres commencent. Les joueurs ont moins de 5 minutes à la pendule.
- La dernière "partie dans la partie" survient au 115e coup avec la finale TCpp vs D. Cette finale est nulle selon les tables de finales si les Noirs jouent précisément. Comme l'a déclaré Nepomniachtchi après la partie, avec peu de temps, c'est délicat à défendre.
- Le Russe se trompe finalement avec
130...De6? (au lieu de Db1 ou Dc2) et Carlsen finit impeccablement.
- Une partie historique : 136 coups et 7h45 de jeu. La 1ere victoire en classique en championnat du monde depuis 2016 et la plus longue partie de l'histoire !

Le score du match Carlsen vs Nepomniachtchi

NomFédElo0102030405060708091011121314Total
Ian Nepomniachtchi
2782½
½½½
½
0








2,5
Magnus Carlsen

2855 ½
½ ½ ½
½ 1








3,5

Carlsen vs Nepomniachtchi : Partie N°6

Après 1.d4 dans la deuxième partie, 1.e4 dans la quatrième, Magnus Carlsen pourrait débuter la sixième par 1.c4 et continuer ainsi à passer en revue les premiers coups blancs... Selon le journaliste norvégien Tarjei J. Svensen : « Carlsen a déclaré aujourd'hui [jeudi] que Nepomniachtchi est plus solide qu'il ne l'avait prévu, mais que ses choix d'ouvertures sont à peu près comme prévu. »

Carlsen - Nepomniachtchi, après 10.bd2

Désormais convaincu par la qualité de la préparation générale de son adversaire dans les grandes lignes, Magnus Carlsen a joué au plus fin dans les premiers coups de cette sixième partie : 1.d4 f6 2.f3 [Et non pas une Catalane comme dans la 2e partie avec 2.c4 ½-½ (58) Carlsen,M (2855) - Nepomniachtchi,I (2782) Dubai 2021] 2...d5 3.g3 e6 4.g2 e7 5.0-0 0-0 6.b3 [À nouveau pour ne pas transposer dans une Catalane avec 6.c4] 6...c5 7.dxc5 xc5 8.c4 dxc4 9.c2 e7 10.bd2 Et là, nous avons une position inconnue des bases de données, qui a plongé « Nepo » dans ses réflexions.

Vladimir Kramnik : « J'ai joué ce type de Catalanes toute ma vie, aussi bien avec les Blancs qu'avec les Noirs, mais je n'ai jamais vu cette position.»

Le GM norvégien Jonathan Tisdall n'a pas tort lorsqu'il dit : « L'ouverture d'aujourd'hui est un retour de Magnus aux débuts de partie de sa jeunesse. Il n'est pas à la recherche d'un avantage, sinon de quelque chose d'inattendu, pour que ce soit un combat d'homme à d'homme le plus rapidement possible. »

Si 10...c6 a coûté 13 minutes aux Noirs, 11.xc4 pratiquement autant, et le combat d'homme à d'homme était lancé avec le coup critique 11...b5 joué très vite, qui démontre que le challenger est en forme. La position est maintenant particulièrement tranchante. Bizarrement, Magnus Carlsen a dépensé 20 minutes pour jouer le coup évident 12.ce5, même si 12.b2 bxc4 13.g5! d4 14.xc6 était aussi à envisager. 12...b4 13.b2 b7 (diagramme) sur quoi le Norvégien a blitzé 14.a3. La machine hésitait entre le coup de la partie et 14.g5 h6 15.h4 g5 16.a3 gxh4 17.axb4 xb4.

Carlsen - Nepomniachtchi, après 13...b7
Carlsen - Nepomniachtchi, après 17...gxf6

Fabiano Caruana : « Je pense que nous pouvons dire que Ian a confortablement joué l'ouverture, principalement grâce à un bon jeu, plutôt qu'à une bonne préparation » 14...c6 15.d3 b6 16.g5 fd8 17.xf6 laissant aux Noirs le soin de décider de poursuivre la partie avec ou sans les Dames. Et ce sera avec, suite à la reprise 17...gxf6 comme dans le diagramme. À en juger par le langage corporel de Ian Nepomniachtchi, le challenger semble apprécier sa position. 18.ac1 d4 C'est aussi le coup de l'ordinateur, même si cela va provoquer quelques échanges.

19.xd4 xd4 20.a2 xg2 21.xg2 Garry Kasparov : « Si Carlsen ne sort pas en tête au cours des trois prochaines parties, le match va devenir très incertain. » 21...b7+ 22.g1 e4 23.c2 a5 (diagramme). L'ordinateur aurait joué pour l'échange de la Dame blanche contre les deux Tours noires avec 23...ac8 24.xc8 xc8 25.xc8+ g7 26.f4 e5 27.e3, sans se départir de son sempiternel 0.00. 24.fd1 g7 Avec une première divergence entre « Nepo » et la machine, qui aurait préféré : 24...f5 et si 25.e3 f6. Svidler et Kramnik affirment que la position reste vivante si 25.e3 et 26.e2.

Carlsen - Nepomniachtchi, après 23...a5
Carlsen - Nepomniachtchi, après 25...ac8!?

Après avoir fait le tour des commentateurs, il ressort que les avis divergent. Certains pensent que Carlsen a obtenu le type de positions qu'il souhaitait, d'autres que Nepomniachtchi n'a aucun problème. 25.d2 a nécessité 23 minutes de réflexion. Fabiano Caruana : « Cela ressemble à une position simplifiée, mais c'est loin d'être le cas. Elle contient beaucoup de risques potentiels pour les Noirs, moins pour les Blancs. » 25...ac8!? Nouvelle divergence. Viswanathan Anand analysait 25...b4 26.axb4 axb4 27.xb4 xf2+ 28.xf2 xb4...

26.xc8 xc8 27.xc8 d5 28.b4 a4 Deux Tours contre une Dame, Fou contre Cavalier, un pion faible en a3 contre un pion doublé sur le colonne « f » et un autre isolé en h6, même si les modules s'obstinent à juger la position par un obscur 0.00, ces déséquilibres rendent l'équilibre précaire. 29.e3 (diagramme) Sans oublier que Magnus Carlsen n'a plus que 10 minutes à la pendule contre 30 pour Ian Nepomniachtchi. 29...e5. 29...b2!? aurait pu être tenté car 30.xb2? perdait l'important pion a3 après 30...xd3 sa défense par 31.a2? étant réfutée par 31...b1+ 0-1. 30.h4 h5

Carlsen - Nepomniachtchi, après 29.e3
Carlsen - Nepomniachtchi, après 32...d6

31.h2 a laissé le champion du monde avec seulement 3 minutes à la pendule. Le facétieux Anish Giri tweetait à ce moment-là : « Magnus est mieux, et je ne plaisante même pas. » Nepomniachtchi le pensait-il aussi ? Toujours est-il que le challenger a pris son temps avant de continuer par 31...b2? avec encore 14 minutes au compteur. Sur quoi 32.c5! a jailli a tempo et tous les modules ont bondi à +3.00, accordant aux Blancs un avantage décisif ! 32...d6 (diagramme) 33.d1? Magnus, à court de temps, rate la suite gagnante : 33.cc2! xa3 34.f4 xb4 35.d7+-. 33...xa3 34.xb5 d7

Et c'est finalement Magnus qui se retrouve en difficulté ! 35.c5 e5 « Nepo » juge plus important d'empêcher le Cavalier de se poster en f4 que de prendre le pion par 35...xb4. 36.c2?! avec seulement 1 minute et 10 secondes Magnus ne joue pas le plus précis. 36...d5?! [36...xb4 avec avantage noir selon les machines. 37.cc1 a3! Montré par Anand. 38.a1 g4 39.d2 e7...] 37.dd2 b3 38.a2 e4!? 39.c5 xb4 40.xe4 b3 et le contrôle du temps est atteint dans le diagramme. Lors des dix derniers coups les deux joueurs ont eu l'occasion de remporter la partie !

Carlsen - Nepomniachtchi, après 40...b3
Carlsen - Nepomniachtchi, après 43...a3

Vishy Anand : « C'est l'un des moments cruciaux du match. Les deux joueurs ont probablement pensé aux coups précédents et ils se sont rendu compte qu'ils avaient raté des choses. Peu importe. Ce qui compte maintenant c'est la position qui se trouve devant eux. » 41.ac2 Après 16 minutes. 41...f8 A tempo ! 42.c5 b5 43.d3 a3. Vishy Anand : « Ian pensait que tout était sous contrôle alors que ce n'était pas le cas ; mais que faire ? Vous savez que vous avez gâché quelque chose, vous ne savez pas exactement quoi, et maintenant vous devez défendre ça. » 

Le pion h5 est indéfendable à la longue et le pion a3 n'est pas très fringant non plus. 44.f4 a5 45.a2 b4 46.d3 h6 L'ordinateur persiste à afficher son 0.00, mais le chemin risque de s'avérer trop étroit pour un humain. 47.d1 a4 48.da1 d6 49.g1 b3 50.e2 d3 51.d4 h7 (diagramme) 52.h2 e4 53.xa3 xh4+ 54.g1 e4 55.a4 e5 56.e2 c2 57.1a2! b3 58.g2 d5+ 59.f3 d1.

Fabiano Caruana pense que c'est toujours un match nul - mais il ne sait pas comment les Noirs devraient jouer...

Carlsen - Nepomniachtchi, après 51...h7
Carlsen - Nepomniachtchi, après 60...c7

L'entraîneur de Ian Nepomniachtchi, Vladimir Potkin, est confiant. Il prétend que Nepo aime jouer avec sa Dame.

Judit Polgar : « C'est fou de défendre cette position avec les Noirs. C'est pénible - à chaque coup ! C'est tellement difficile à sauver, si c'est possible. »

60.f4 c7 et le second contrôle du temps est atteint dans la position du diagramme. Les joueurs ont reçu 15 minutes pour le reste de la partie, avec un incrément de 30 secondes par coup à partir du 61e coup. 61.f2 f6 62.a1 avec 14 minutes. 62...b3 avec 23 minutes.

63.e4 g7 64.e8 f5 65.aa8 avec 11 minutes.

Romain Edouard : « Appelez ça un match nul si vous voulez, mais je n'aimerais pas jouer cette finale contre Magnus ! »

Ian Nepomniachtchi doit certainement penser la même chose vu le temps pris avant de continuer par 65...b4 avec 8 minutes et un diagramme. 66.ac8 Retour en défense 66...a5! Menace d'entrer en e1. 67.c1 b6 68.e5 b3 69.e8 d5 70.cc8 h1 71.c1 d5 72.b1 a7 73.e7 c5 74.e5 d3 Rassurez-vous si vous ne comprenez pas tout, vous n'êtes pas seuls 😀

Carlsen - Nepomniachtchi, après 65...b4
Carlsen - Nepomniachtchi, après 82...d5

En revanche, les joueurs commencent tous deux à manquer de temps. Magnus Carlsen est sous la minute, Ian Nepomniachtchi en a encore quatre. 75.b7 c2 76.b5 a7 77.a5 b6 78.ab5 a7 79.xf5 Le Norvégien grappille d'abord un pion. 79...d3 Avant de transposer dans la finale suivante par 80.xf7+ xf7 81.b7+ g6 82.xa7 d5 (diagramme) 83.a6+ h7 84.a1g6 85.d4 b7 86.a2 h1 87.a6+ f7 88.f3 b1 La Dame tente s'empêcher l'avancée du pion « e » 89.d6 g7 90.d5 a2+ 91.d2 b1 92.e2 Les Blancs insistent. 92...b6 Les Noirs aussi.

93.c2 b1 94.d4 h1 95.c7+ f6 96.c6+ f7 97.f3 b1 98.g5+ g7 99.e6+ f7 100.d4 h1 101.c7+ f6 102.f3 b1 103.d7 b2+ 104.d2 b1 105.g1 b4 106.d1 b3 107.d6+ g7 108.d4 b2+ 109.e2 b1 110.e4 Carlsen a enfin trouvé le moyen de pousser son pion en e4. 110...h1 111.d7+ g8 112.d4 h2+ 113.e3 h4 114.gxh4 h3+ 115.d2 xh4 116.d3 Avec une modification importante de la position suite à de longues manœuvres et l'entrée en piste des tables des finales : 0.00, mais entre machines seulement.

Carlsen - Nepomniachtchi, après 116.d3
Carlsen - Nepomniachtchi, après 125.d2

Après 125.d2, nous avons avec cette partie entre Magnus Carlsen et Ian Nepomniachtchi la plus longue de l'histoire des matchs de championnat du monde d'échecs ! Le précédent record était de 124 coups de la partie entre Anatoli Karpov et Viktor Korchnoi 1978, qui s'était soldée par une nulle. 125...b3 126.d5 e7 127.e5+ f7 128.f5+ e8 129.e5 Petit à petit Carlsen avance, la machine lui donne pendant quelques secondes un avantage, puis affiche « Nulle théorique ». 129...a2+ mais sur 130.h3 la partie a basculé en faveur du champion du monde !

130...e6? [Selon les machines 130...b1! conservait une situation de nulle théorique] 131.h4 h6+ 132.h5 h7 133.e6 g6 134.f7 d8 135.f5 g1 136.g7 1-0

Le duel s'achève enfin au terme de 136 coups et près de 8 heures de jeu ! On s'en doute, cette affrontement va laisser des traces tant sur les organismes que psychologiquement, et nous pourrions en voir les conséquences dès demain, avec une question : Comment va réagir Ian Nepomniachtchi ?

Quant à Magnus Carlsen : « Je suis épuisé, mais après une victoire je suis ravi ! »

Carlsen - Nepomniachtchi, après 136.g7 1-0

À la question de Maurice Ashley : « Ian, comment comptez-vous rebondir ? » Nepomniachtchi a répondu : « J'espère avec style ! »

Ian Nepomniachtchi : « Magnus a réussi à capitaliser sur les très rares occasions qu'il a eues dans cette partie... De manière générale, je pense que cette finale avec une Dame contre une Tour, un Cavalier et deux pions devrait être nulle, mais une fois que vous êtes en blitz et que vous ne connaissez pas la configuration, cela peut devenir délicat. »

Garry Kasparov : « Partie incroyable ! 7 heures et 45 minutes de concentration maximale au plus haut niveau. Rappelez-vous de ceci lorsque vous entendez que les échecs ne sont pas un sport ou que la condition physique n'est pas si importante. Ou quand ils disent que les échecs classiques sont morts ! »

Photo Éric Rosen

En attendant la sixième partie du match...

Après la cinquième partie nulle, il a été demandé à Magnus Carlsen si cette série de duels sans victoire pouvait commencer à le rendre nerveux. Le Norvégien a répondu : « C'est certain que ça peut arriver, mais nous n'en sommes pas encore à devoir franchir le Rubicon. » Comme l'a parfaitement exprimé un autre champion du monde en son temps, Garry Kasparov : « Parfois, la chose la plus difficile à faire dans une situation de tension est de la laisser persister. La tentation est grande de prendre une décision, n'importe quelle décision, même inférieure. »

Personne ne peut nier que la situation se tend au fur et à mesure que le temps passe sans qu'aucun des deux belligérants ne réussisse à prendre l'avantage. Si nous n'en sommes pas encore à envisager des départages, nous sommes loin de voir - pour le moment tout du moins - un Magnus Carlsen étaler la supériorité que la majorité des commentateurs lui accordait avant le début du championnat.

Le N°1 mondial depuis 10 ans, champion du monde depuis 2013, considéré comme le meilleur joueur de l'histoire des échecs, se casse les dents, jusqu'ici, sur un Ian Nepomniachtchi que l'on reconnaît à peine. Le Russe, dont la réputation s'est surtout construite sur son jeu dynamique, tactique, risqué, parfois même désinvolte - Il n'y a qu'à voir la partie Ian Nepomniachtchi (2792) - Aryan Tari (2642), Norway Chess du 15.09.2021, 0-1 au 34e coup, après une attaque à la desperado qui n'a mené nulle part - se révèle être aussi solide et bon partout, tout en conservant son rythme de jeu rapide.

Au sujet de ce changement de style, Ian Nepomniachtchi a déclaré : « Chacun est libre de penser si j'ai changé de style ou non. J'essaie de jouer de bons coups pour que mon adversaire sente la pression et commette des erreurs. Si je joue bien, c'est sûr, j'aurais des opportunités. »

À propos des parties nulles, Georges Bertola nous rappelle qu'en 1966, le match Petrosian vs Spassky a débuté avec 6 nulles pas toutes combattues : 15 coups dans la sixième. En 1995, le match Kasparov vs Anand a débuté avec 8 nulles, toutes sur proposition de Kasparov. La huitième en 22 coups, Kasparov jouait pourtant avec les Blancs. Alors qu'entre Magnus Carlsen et Ian Nepomniachtchi, au contraire, les nulles sont de véritables combats. Nous ne résistons pas à placer la petite pique de Garry Kasparov pour taquiner ceux qui pensent qu'il ne se passe pas grand-chose dans les parties de Magnus et Ian : « Souvent, l'un des meilleurs indicateurs qu'une partie d'échecs est intéressante, c'est quand les amateurs pensent que ce n'est pas le cas ! » 

Toujours à propos des nulles à répétition, il est même possible de remonter au match Lasker vs Schlechter 1910, puisque le problème s'était déjà posé, bien avant l'arrivée des ordinateurs, des secondants et de l'encyclopédie des ouvertures. Nos abonnés au Pack intégral ont justement deux vidéos récentes du MF Sylvain Ravot à leur disposition sur ce match https://www.europe-echecs.com/apprendre-les-echecs/flashback-sylvain-ravot.html Bien que les historiens ne soient pas tous d'accord, il est possible que Schlechter - qui menait contre Lasker par 1 victoire à 0 après la neuvième partie - ait eu besoin de deux points d'avance pour remporter le titre, et n'avait donc d'autre choix que de jouer pour le gain dans la dixième et dernière partie, dans laquelle il a d'abord manqué le gain, puis la nulle, avant de perdre la partie. 

Terminons ces réflexions en abordant un thème apparu lors des derniers matchs de championnat du monde : « la zone de confort ». Et posons simplement la question : Qu'est-ce qui pourrait pousser nos combattants à vouloir être héroïques ? Certainement pas la répartition des prix : 2.000.000 € avec 60% au vainqueur et 40% au finaliste (55% et 45% en cas de départages), la différence n'est pas énorme. De plus, quoiqu’il arrive, leur place est assurée pour le prochain cycle. Alors quoi ? Même en cherchant bien, le principal fil conducteur qui semble dicter leur façon de jouer est juste d'éviter de se prendre un 3 ou 4 à 0 dont ils ne se relèveraient jamais. Et donc, à ne pas prendre trop de risques !

L'histoire l'a démontré avec les deux 6-0 infligés à Mark Taïmanov et Bent Larsen par Robert James Fischer, puisque Taïmanov et Larsen ne s'en sont justement jamais relevés. « Une expérience traumatisante, comme d'avoir survécu à un crash aérien ! » a dit Larsen. Alors que la vie de Fabiano Caruana et Sergey Karjakin n'a pas franchement été bouleversée en perdant uniquement lors des parties rapides du départage, après avoir fait jeu égal en parties classiques.

Leontxo García, dans son article du 3 décembre 2021, « La perfection est ennuyeuse » https://elpais.com/ajedrez/actualidad/2021-12-03/la-perfeccion-es-aburrida.html a interrogé Bachar Kouatly, vice-président de la FIDE, grand-maître et organisateur du Championnat du monde de Lyon 1990 (Kasparov-Karpov) : « Nous maintenons un format néandertalien au XXIe siècle, alors que le monde change à toute vitesse. Il faut établir un rythme de jeu suffisamment rapide pour garantir des erreurs importantes. Ainsi, il y aura des victoires, des défaites, de l'émotion, de l'incertitude… Et le sport l'emportera sur la science ».

Les parties annotées du match de championnat du monde Magnus Carlsen vs Ian Nepomniachtchi

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Les réactions (29)

  • pat217125

    Merci GeorgesHenri!
    Ton dernier commentaire, je crois que nous pouvons nous dire tu, est extrêmement intéressant, et même fondamental, même s'il dépasse le jeu d'échecs.

  • GeorgesHenri

    Ce qu'expose remarquablement pat217125 aura bien des difficultés à trouver un avis contraire. Mais prolongeons son idée, supprimer les parties classiques sélectionnerait "à l'unilatéral" un type d'ouvrages, de matériel pédagogique, de plateformes, de joueurs etc. Et déjà nous avons déjà moult ouvrages qui promettent des victoires rapides, des plateformes quasi dépourvues de matériel pédagogique et d'histoire. Allez trouver un seul équivalent de Georges Bertola ailleurs qu'ici! L'idée que tout se vaut, que les classiques sont substituables par des rapides selon le moment,(comme le Bordeaux par du Coca) ferait disparaitre ou altérerait profondément la culture échiquéenne (racines, profondeurs, recherche, créativité, beauté etc...). Que Carlsen (et surtout lui!) remporte sa première victoire de cette manière atteste bien le propos de Pat217125.

  • pat217125


    Oui, il y a trop de parties où il ne se passe pas grand chose à part des coups d'ordinateur joués et peu de coups très intéressants ; tous les commentateurs français commentant ce championnat du monde l'ont signalé; MVL a commencé à s'ennuyer hier à un moment en disant que la partie prenait tranquillement la direction de la nullité avant de devenir un combat extraordinaire.
    Si les cadences sont raccourcies, comme le souhaite la majorité des joueurs et des GM, dont MVL et d'autres, il n'y aura plus jamais de parties comme celle que nous avons vécue hier! Ce sera alors la mort des échecs classiques. Ces échecs classiques ne sont pas encore morts et j'espère qu'ils ne le seront jamais mais il faut savoir ce que l'on veut: soit des parties rapides qui n'atteindront jamais l'intensité dramatique de la partie d'hier, soit la conservation des parties longues même si elles peuvent être ennuyeuses. On ne peut pas s'enflammer hier et raccourcir les cadences de jeu demain; c'est contradictoire!

  • bolja000

    après 29 parties classiques de championnat du monde depuis 2016 je crois , un verdict. Les amateurs d'échecs étaient en droit de se poser des questions , et il aura fallu 136 coups , ces joueurs sont très forts positionnellement et voisinent à certains moments la perfection , on se souvient tous du défi homme-machine et les moteurs de recherche ont continué d'évoluer sans tenir compte des facteurs humains car la machine donnait toujours nulle théorique après le 130ème coups et Magnus en a décidé autrement un effort sporif et mental incroyable des 2 joueurs

  • pat217125

    Cette partie fut passionnante parce que:
    1/ les joueurs ont cherché à vaincre l'adversaire dans un combat psychologique qui ne se voyait pas
    2/ Carlsen a choisi une variante d'ouverture inconnue qui ne lui donnait aucun avantage, si ce n'est d'obtenir une partie d'homme à homme, SANS PREPARATION à partir du 10ième coup environ
    3/ Nepo a joué en ce début de partie de bons coups et a refusé le gambit, se méfiant
    4/ A partir de là, la vraie partie a commencé avec des rebondissements et une énergie incroyable dépensée par les deux champions, surtout Carlsen parce qu'il a été en manque de temps avant le 40ième coup (toujours cette règle idiote de contrôle de temps) et parce qu'il dictait le jeu pendant toute la deuxième moitié de la partie avec ses 2 tours contre la dame, puis sa tour et son cavalier en avançant petit à petit ses pions; Nepo empêchant l'amélioration progressive de la position blanche et cherchant un perpétuel.
    5/ C'est Carlsen qui a lancé le combat dès le début pour gagner